⊱ mary magdalene would never let her loved ones down

de la façon dont j'admire les étoiles dans le ciel qui sont déjà mortes, dans les yeux de ma mère j'ai l'impression de ne plus rien voir, pourtant ces hommes qui l'objectifient, pourtant ces hommes qui reviennent sans cesse la voir malgré tout… elle brille toujours à sa façon même si à des années lumières quelque chose est mort en elle.

                                    

______________________________________

2014

mes pas s'animent dans la neige alors que j'entends les chiens aboyer dans mon dos. et si je cours assez vite j'aurais passé le grillage de la maison principale. juste un peu plus vite. j'entend sa voix qui m'appelle. je ne peux plus me souvenir du prénom qu'elle utilise. j'entend les aboiements des chiens mélangés aux cris mécontents des hommes de main de dorofei qui semblent s'être rendu compte de notre supercherie. avec l'adrénaline je ne me rend pas compte de la neige qui prend une couleur écarlate et de la chance que j'ai d'échapper aux crocs des chiens de dorofei. on me tire en passant des bras sous les miens. à trop me débattre, je perds conscience pour me réveiller dans la voiture de adrian celui qui s'avère être mon passeur, je l'ignorais encore à ce moment là.

nous arrivons le soir même dans un hôtel en dehors de la ville et il m'annonce que demain nous ne serons plus en russie mais en chine et qu'à présent je m'appelle aeri. j'ai si mal mais je ne saurais localiser la douleur, dire qu'il s'agit du coeur serait un mensonge car le coeur n'y est pour rien et ce soir je suis si chimique que je ne sens pas les blessures physiques. si c'est un cauchemars j'aimerais me réveiller à l'instant. si c'est un cauchemars j'aimerais me réveiller maintenant.

______________________________________

2015

la chine est si vaste… si adrian me laissait aujourd'hui je serait submergée par la foule. plus personne ne me retrouverait et moi même je finirais par me perdre dans ce mélange de langues que je suis incapable de comprendre. c'est le jour où nous prenons l'avion pour la corée. ma mère a des origines coréennes et chinoise pourtant je n'ai jamais rien vu de ces deux pays avant aujourd'hui. et je ne me suis jamais sentie aussi étrangère. je marche d'un pas pressé restant près d'adrian pour l'embarquement.


je n'avais jamais pris d'avion de ma vie avant aujourd'hui. il n'y a aucune expérience similaire qui nous fait réaliser aussi rapidement à quel point notre existence est insignifiante et en même temps si importante. oxymores fascinant. je me demande comment va ma mère et dès que j'y pense je me retiens de pleurer. je ne sais pas pendant combien de temps encore je tiendrais avant de m'effondrer à nouveau.

______________________________________

2016

cela fait quelques mois que nous sommes ici dans ce loft. et je reste dans ma chambre la majorité du temps. je pense devenir folle pourtant je regarde à la fenêtre et je vois des gens se lever tôt à l'heure où le soleil n'est pas encore là pour aller au travail ou quelque part d'autre. je m'imagine leurs vies, ça m'occupe car à défaut de vouloir sortir je trouve autre chose à faire. et je le sais, je le sais bien que les gens changent et s'animent au gré des saisons mais je pensais que adrian était différent. pourtant à travers la porte je l'entend parler d'un échange dont je fais partie. je prétend dormir quand il tape à la porte. adrian compte me vendre à un stripclub et si je n'essaie pas de m'en sortir, si je reste là à ne rien faire, alors ma vie restera la même pour toujours. je me décide dans la nuit d'été, demain je partirai. le ventilateur semble respirer à ma place tant je suis nerveuse…


je me réveille donc plus tôt que quiconque. je sais que adrian a sa routine maintenant. dans la matinée il se réveille pour nous chercher de quoi déjeuner et puis ensuite il fume sa petite cigarette et s'endort devant la télévision. j'en profiterai pour partir après avoir pris soin de récupérer mon passeport dans son sommeil. dans mon lit je tend ma main droite tremblante, s'il l'attrape c'est terminé… "aeri !" je l'entend crier pour me dire de venir déjeuner ; il est dix heures. je prends mon temps pour venir m'installer dans la cuisine à ses côtés. il semble plus heureux que d'habitude. il y a plus de choses que d'habitude aussi. il me dit de manger et de prendre des forces. silencieuse je devine qu'il s'agira de notre dernier repas ensemble et le remercie avant de prendre place sur le canapé. toujours la même émission télé. je pose ma tête sur l'accoudoir du canapé à son opposé. je n'arrive pas à me concentrer là dessus. je ne pense qu'au prochain geste. son sac est sur la chaise dans la cuisine.


deux heures passent avant que ses yeux ne se ferment et je m'active, marchant d'un pas fantôme dans la cuisine pour prendre uniquement mon passeport… je le porte à mon coeur avant de le ranger dans ma poche et au fond de son sac je trouve un pendentif avec la photo de ma mère. je m'empresse de le prendre et finalement prendre son passeport, le maudissant dans mes songes. je me rend directement vers la porte de sortie, il n'y a plus rien qui me retiens ici et une fois mes chaussures dans mes mains j'ouvre la porte et la referme immédiatement en silence. seulement des bruits sonores se font entendre et dans la panique je me met à courir, frappant à toutes les portes du couloir avant de passer à un autre couloir. je l'entend crier en russe que j'ai intérêt à vite me ramener. je tape alors plus vivement aux portes avant que l'une d'entre elles ne s'ouvre alors que j'aperçois la silhouette d'adrian. je me glisse dans l'encadrement pour me cacher derrière cette personne. c'est là qu'il essaie de se justifier avec de beaux sourire mais la porte se ferme et j'ai l'impression qu'une planète a bougée et que ma vie elle aussi va changer.

______________________________________

2021

cela fait maintenant quatre ans que je suis dans mon propre appartement. il est petit et le prix du loyer n'est pas très élevé mais je suis contente, il y a assez de place pour paca et moi mon animal de compagnie. et c'est tout ce dont j'ai besoin pour le moment. peut être que si j'économise assez nous déménagerons dans un endroit un peu plus grand mais pour l'instant c'est suffisant. machinalement je vais au travail et puis je rentre le plus vite possible et les jours libre nous sortons. évidemment tout le monde nous regarde et tout le monde souhaite prendre des photos de lui mais ce n'est pas embêtant. cela ne fait que quelques mois que je l'ai avec moi, c'est encore un peu étrange mais ça réchauffe mes émotions de ne pas être toute seule dans la capitale. ça occupe mes pensées insoutenables.