I.

yue comme une évidence le soir où il les a rencontrés ; les joues rougies par le froid, l’oreille tendue vers le bruit il s’est approché, s’est retrouvé face à ces trois autres gamins tous aussi perdus que lui dans ce local trop sombre. il s’est assis sans même leur laisser le temps de réagir. y’a pas eu de protestation -pas dans ses souvenirs en tout cas, seulement un t’es qui ? à la fois intrigué et enjoué. et alors sa réponse l’a lui-même surpris : les yeux tournés vers la lune qui les observait depuis la fenêtre brisée, yue il a articulé. ce soir-là mingyu est mort et avec lui tous ces sentiments confus ont fané mais surtout, ce soir-là grâce au wolfgang yue est né.

II.

alors c’est la renaissance ; une renaissance qu’il n’espérait même plus. faut dire que yue les observait depuis un moment ces gamins, que ce sont leurs rires qui l’ont arraché à sa léthargie funeste. malgré lui. yue devenu orphelin aussi rapidement qu’il s’est habitué à sa nouvelle famille, à chacun de ces enfants perdus qu’il chérit désormais plus que tout. yue assis auprès d’eux sourit à nouveau. c’est dur pas parfois : il y a le froid qui lui mord la peau, le ventre qui se tord certains soirs mais alors les rires s’élèvent. rires d’enfants, rires de fous mais rires remèdes surtout ; et alors, yue assis auprès d’eux sourit à nouveau.

III.

yue n’a prononcé que son nom le soir de son arrivée ; si le wolfgang l’a débarrassé de son patronyme encombrant, le mutisme symptôme des traumatismes passés l’a longtemps accompagné. mais peu à peu la langue s’est déliée : entre les sourires fanés, quelques mots se sont intercalés - involontairement d’abord, alors qu’il ne pensait pas être écouté. puis des phrases, des colliers de mots que les autres n’attendaient plus, se sont rependues avec parcimonie entre ses silences habituels. tout le monde à fait le choix d’ignorer ce changement de comportement chez lui, personne ne lui a jamais reproché le mutisme passé et il leur en ait reconnaissance : merci d'oublier l'avant.

IV.

les mots sont précieux, ils valent de l’or disait maman ; alors depuis toujours il les utilise avec précaution, leur prête grande attention. yue écoute bien plus qu’il ne parle, lit beaucoup aussi car comme maman, il pense que les mots sont des trésors. des trésors qu’il préfère glisser dans l’oreille de ses amis, griffonner sur des morceaux de papiers plutôt que de les dévoiler nonchalamment. mais comme tout le monde parfois yue s’énerve, prononce des mots trop durs, des mots qu’il ne pense pas et le regrette si fort qu’il n’ose plus rien dire, mutisme intermittent car les mots sont trop forts pour yue.

V.

puis il y a eu l’errance ; les jobs miteux pour des patrons véreux qui se sont enchaînés. le soir, dans un coin du local l’impression que ça n’en finira jamais, d’être voué à reproduire l’échec de la matriarche envolée pour toujours. et tout autour de lui les tentations, les vices de maman à sa portée tandis que la réussite le fuit. l’envie de se perdre à tout jamais, de goûter les élixirs, d’avaler les dragués qui font rire les autres si fort… mais autour du poignet endoloris par le travail et le froid, le bracelet enfantin fait office de promesse : il faut tenir pour lui, il faut tenir parce qu’il n’a pas pu.

VI.

le woolfgang comme une promesse ; une promesse que tout s’arrangera. les rangs qui s’élargissent, l’amour qui se démultiplie et les sourires de yue aussi. leur relation comme un prisme qui fait relativiser : les déceptions qui s’empilent, yue, c’est l’escalier qui t’emmena au sommet tu sais ? puis si tu tombes, nous on sera là pour te rattraper… alors yue envie moins le rire des fous, les élixirs et les dragués lui semblent moins attrayants. il ne doit pas seulement tenir pour les fantômes de la vieille tour dans laquelle il vivait mais parce qu’il le veut aussi, désormais.

VII.

c’est dur de réapprendre à vivre ; pourtant, à la grande surprise de yue chaque jour le palpitant semble battre plus fort. c’est la faute au gang -à la gamine aux cheveux roses surtout, à ses idées candides qui le pousse toujours à sortir, à réapprendre les couleurs qu’on ne voit pas depuis l’abris, celles qui éblouissent, celles qui étourdissent. celles qu’avant mingyu admirait… yue il a été déconnecté du monde trop longtemps, enfermé dans une routine qui creuse les cernes et terni la peau mais il fait de son mieux pour guérir, secoue fort la cheville en espérant que ses démons le lâchent.

VIII.

mais récemment le soleil s’est remis à briller ; plus fort même qu’il ne le faisait avant. le planétarium, refuge de toujours devenu gagne-pain. tout est allé si vite… il y a le vieux gardien, celui qui a tant de fois sêché les larmes sur les joues du petit frère -celles de yue aussi- alors que maman avait disparue. il y a ces quelques mots, prononcés alors qu’ils étaient assis l’un à côté de l’autre, le regard fixé sur les constellations reproduites au-dessus d’eux : tu sais petit, tu connais sûrement autant les lieux que moi désormais... puis je suis trop vieux… la lettre déposée entre eux sur le banc froid, la lettre qui a tout changé mon chef a déjà accepté. emploi miracle, comme tombé du ciel et qui réconcilie passé et présent. yue est prêt à avancer maintenant.

IX.

elle a été dure la première nuit dans la petite chambre ; celle que le gardien novice a enfin pu se payer il y a quelques mois. s’il faisait chaud et le lit était confortable, il n’a jamais aussi mal dormi yue. il a fallu réapprendre à exister mais à vivre aussi, s’installer dans ce nouveau refuge, faire le deuil de l’abris -il y retourne souvent, ne peut se passer de ces moments avec le woolfgang… elle est à moi, cette chambre il a fallu se dire. cet espace minuscule qui semble pourtant si vide… alors yue collecte, yue accumule : il y a les disques, les livres et les babioles qui s’empilent partout dans la petite chambre. comme s’il fallait se rattraper : gamin dépossédé pendant des années accumule pour exister ; comme si le poids des possessions allait le maintenir au sol, l’empêcher de se perdre encore.

X.

la rentrée comme un nouvelle étape ; un moyen en plus pour se réancrer dans le séoul qu’il semblait avoir quitter depuis longtemps. après la haine, c’est l’amour des mots qui le rapproche de maman ; l’envie de mettre à profit toutes les lectures, de découvrir et d’échanger sans grande ambition pourtant. certains ont trouvé cette décision bête : il faut payer les frais d’inscription, enchaîner entre les cours le jour et les gardes la nuit mais yue à hausser les épaules : ça ira. yue il avait besoin d’un nouveau départ et il pense le mériter, yue il veut arrêter d’agir par obligation et par raison, il veut vivre un peu… rire aussi fort que les autres sans élixir et sans dragués juste grâce aux livres, aux étoiles et au woolfgang.