⊱ two faces of the same coin

« Moi plus tard, quand je serai grand, je deviendrai magicien !
Tu t’en souviens ? C’est le genre de conneries que je racontais quand j’étais gamin ?
On deviendra un duo de frères magiciens célèbres avec mon frère et on fera des spectacles partout à travers le Monde !
Le premier tour que tu m’as montré… je pourrais bien le nier, mais je me souviens encore avec quelle admiration je t’ai regardé. T’avais l’air si cool pour moi…. Tu sais, je crois que c’est vrai ce qu’on dit. On a tous un héros dans notre vie, et si généralement c’est notre père… pour moi, c’était toi.
Tu parles d’une réussite dans le choix du modèle ! Tu trouves qu’on se ressemble toi ?
T’as toujours été mieux que moi…
Même à cette époque où je parlais de faire des tours de magie avec toi, c’était déjà le cas... »

↝↝↝↝↝↝↝↝

L’éclat de rire qu’il avait entendu en reposant son bol vide sur la table lui avait fait relever un regard étonné vers leur gouvernante. Un regard qu’il avait ensuite tourné vers son frère aîné sans comprendre ce qu’il y avait d’amusant.

« J’en ai vu des moustaches, mais jamais d’aussi belles ! »

Evidemment, la magnifique moustache de chocolat chaud qui venait surligner le dessus de ses lèvres, il ne pouvait pas la voir.
Comme beaucoup de choses à cette époque-là… il le comprendrait plus tard….
Ce jour où leur gouvernante avait relevé avec affection son visage pour venir essuyer du pouce son chocolat, il n’avait pas pensé que ça ferait partie des moments qu’il regretterait, ceux dont il aurait bien aimé profiter un peu plus.
Parce qu’à 5 ans, il n’était qu’un Wu.
Et c’était pourtant déjà tellement de choses.
Fils du Ministre des Affaires Étrangères en Chine et d’une chirurgienne esthéticienne, Wu Zi Qian et Wu Jia Xi. Oui, ça voulait dire beaucoup de choses. ça voulait dire, qu’en théorie, ni Dan, ni lui, ne deviendraient de grands magiciens malgré les tours de passe-passe qu’un aîné enseignerait à son cadet. Malgré son talent des années plus tard pour vider une poche sans que son propriétaire ne s’en aperçoive.

Et pourtant, pour lui, à cet âge-là, il y avait déjà un sentiment étrange naissant.
Un début d’impression de ne pas faire tout à fait partie de l’équation.
Cette barrière qui commençait à se dresser en Yu Dan et lui…

« Remontre moi… avec la pièce ! S’il te plait ! »

Parce que ce frère avec lequel il voulait tout faire, il ferait toujours partie d’un univers qu’il n’aurait jamais le droit d’atteindre complètement….

⊱ one theft after another

« Je ne comprenais vraiment pas tu sais…
Pourquoi mes bonnes notes faisaient toujours moins d’effets que les tiennes….
Pourquoi… quand j’essayais si fort de faire quelque chose de bien… je finissais toujours déçu… blessé….
Pourquoi, pour l’anniversaire de “maman”, les fleurs que j’avais cueillies… je les avais retrouvées dans la poubelle plus tard.
Pourquoi quand je me retrouvais seul dans une pièce avec elle, elle la quittait toujours…
J’ai toujours essayé si fort… trop fort… et aujourd’hui j’en ai honte de ce gamin ridicule qui essayait de trouver les fleurs préférées de “maman”.
Je t’en ai parfois injustement voulu, c’est vrai…
Et pourtant… pourtant, c’était toujours grâce à toi que je me sentais moins seul.
C’était toi qui était là ces jours où je me sentais plus triste que d’autres.
Je crois… que je ne t’ai jamais remercié pour ça…
Ce serait bien qu’un jour, au moins rien qu’un jour, je me montre un peu moins con et que je prenne la peine de le faire…. »

↝↝↝↝↝↝↝↝

« Attention avec les épines ! Je vais le faire pour vous. »
« Non ! C’est à moi de le faire, sinon ce sera plus mon cadeau ! »

Il avait ramené le sécateur vers lui avant que la gouvernante ne s’en empare. Il pouvait être borné, oui, déjà gamin. Et ce jour-là, il s’était mis en tête qu’il ferait le plus beau bouquet pour l’anniversaire de sa mère. Il le savait, elle adorait les roses. Ce n’était pas pour rien qu’il y en avait autant dans leur jardin. Ce n’était pas non plus pour rien que son père lui en offrait quand elle avait l’air fâchée.
Alors ce matin, il était sorti et la gouvernante l’avait suivi dans son plan. Il n’en n’avait pas parlé à son grand frère parce qu’il voulait vraiment que ça vienne de lui tout seul… et aussi parce qu’il craignait un peu qu’il en retire tous les laurriers… oui, c’était un peu stupide mais Dan… c’était toujours lui qu’on félicitait….
Alors c’était seul qu’il avait tenu à choisir les plus belles couleurs. Et s’il sentait l’angoisse de la gouvernante à côté, il ne s’en n’était pas moins borné.
Comment est-ce qu’elle l’avait pris la veille ? Quand il lui avait demandé avant de se coucher ?
❝ Si vous aviez un fils, qu’est-ce que vous aimeriez qu’il vous offre pour votre anniversaire ? ❞
Il se l’était demandé des années plus tard…

« Voilà ! Je vous avais prévenu, donnez votre doigt ! »

❝ Un sourire. Le plus beau qu’il puisse me faire… ❞
Le gosse de 8 ans avait trouvé ça nul, il avait répondu que ce n’était pas un vrai cadeau.
Et puis un jour, il avait fini par le comprendre… que tout ce qu’elle avait toujours voulu, c’était qu’il soit heureux….

« C’est rien ! Vous êtes une vampire ? »

Et que la douceur avec laquelle elle s’était permise de porter son doigt à sa bouche, ça faisait partie de tous ces petits gestes qu’elle ne pouvait pas retenir mais qui n’étaient normalement pas permis entre une gouvernante et le fils d’un homme trop important pour lequel elle travaillait.

« On rentre. Y’a bien assez de roses comme ça et je suis certaine que c’est une vilaine toux que j’ai entendue ce matin au petit déjeuner. »

Il s’était senti volé… volé de tous ces moments qu’il aurait pu connaître avec elle… de tous ces instants où il aurait pu comprendre ce qu’était vraiment l’amour d’une mère.
Et il s’en était voulu… de l’avoir parfois rejeté, les mauvais jours… parce que ce n’était pas sa tendresse qu’il espérait

« Attendez. Celle-là, elle est pour vous, en attendant que vous ayez un fils vous aussi. »

La jaune. La seule du bouquet. C’était celle qu’il avait volé pour lui tendre. Parce que leur gouvernante, elle lui avait toujours un peu fait penser au soleil. Alors, évidemment, il lui avait offert avec son plus grand sourire….
Plus tard, quand son regard s’était embrumé devant son bouquet dans la poubelle, quand sa gouvernante l’avait amené dans sa chambre pour qu’il lui raconte la cause de son ❝ gros chagrin ❞ et qu’il avait vu cette rose jaune dans un vase… ça lui avait fait encore plus mal au coeur… et les sanglots étaient finalement sortis….
Pourquoi elle et pas sa mère ?

Le bouquet entier… c’était ce qu’il lui donnerait aujourd’hui s’il avait le pouvoir de remonter le temps…
Ou mieux encore, toutes les fleurs de leur jardin. Il les couperait toutes, il n’en laisserait aucune à “sa mère” pour rendre tout ce qu’on leur avait volé à eux….

⊱ one last memory

« Tu t’en souviens ? Du jour qui a précédé notre départ en Corée ?
Aujourd’hui encore, ça reste le plus beau jour de ma vie. Si je ne devais en vivre qu’un en boucle, c’est celui que je choisirais.
Nos valises étaient prêtes, on avait fini par le parler assez bien le coréen, notre père avait décroché le boulot rêvé et ta mère rêvait déjà de sa nouvelle clinique.
Je ne sais pas si j’attendais grand chose de Séoul mais je me souviens, toi comme moi, on pensait qu’elle allait beaucoup nous manquer notre gouvernante… ma maman.
J’ai pas vraiment compris pourquoi elle ne venait pas avec nous. A l’époque, j’ai fini par accepter l’excuse facile du coréen qu’elle ne parlait pas.
Et elle est arrivée, ce matin-là, alors qu’on terminait de prendre nos petits déjeuners. Elle nous a dit :
❝ Les garçons, aujourd’hui, on va au zoo ❞
Tu le savais ? Qu’elle avait demandé à notre père de pouvoir avoir au moins rien qu’un dernier jour avec moi ? Un dernier jour avant de simplement devenir le vague souvenir d’une gouvernante qui s’occupait de nous gamins ?
Et puis, elle a osé t’ajouter à l’équation, parce qu’elle t’aimais et t’aime encore beaucoup. Elle m’a dit :
❝ J’ai pensé que ça ferait de la peine à ton frère, que je t’emmène toi et pas lui. Qu’il ne comprendrait pas pourquoi il y avait une différence. ❞
Elle a toujours été mieux que les autres…
Même sans savoir que j’étais son fils, elle m’a beaucoup manqué toutes ces années. Y’avait ce vide à Séoul… et je me dis que t’as dû le ressentir aussi…
❝ N’oubliez pas de devenir des grands magiciens. J’irai voir tous vos spectacles ! ❞
Quand elle nous a dit au revoir avant de rentrer à la maison parce qu’elle savait qu’elle ne viendrait pas à l’aéroport le lendemain...
❝ Votre plus grande fan ! ❞
… elle savait aussi qu’on ne se reverrait plus jamais…
… et si tu n’avais pas été là… elle aurait pu ne pas se tromper là-dessus... »

↝↝↝↝↝↝↝↝

« Une pour Yu Dan. Une pour Jin. Et la dernière pour moi. »

Son regard s’était baissé vers la plaquette de photos que la gouvernante lui avait tendue.
Des photos, elle n’avait pas arrêté d’en prendre ce jour-là. Mais le passage par la cabine, elle avait insisté comme un caprice d’enfant.
ça avait été leur dernier arrêt avant de filer vers la sortie du zoo.
Et leur dernier cadeau.
Une entrée au zoo.
La peluche de leur choix.
Et ces photos.

« On est vraiment obligé de rentrer ? On pourrait rester là ! »

La journée avait été parfaite.
Bien sûr, il avait surpris quelques airs étrangement plus tristes de leur gouvernante, et il ne les avait pas compris.
Il avait pensé… qu’elle aussi, elle devait être un peu triste de les quitter.
Mais il n’avait pas compris à quel point.
Il n’avait pas compris que depuis le jour où elle avait su que les enfants Wu apprenaient le coréen dans le but d’un prochain départ pour Séoul, son coeur avait redouté un peu plus chaque jour le moment des adieux.
Quand il avait été si heureux de cette journée au zoo… elle, elle devait lutter à chaque seconde pour ne pas s’effonder à l’approche de la douleur du lendemain.
C’était comme ça.
ça faisait partie d’un marché que lui ne connaissait pas à l’époque…

« Et on reste toujours vivre ici ? Chacun son enclos ? »
« Pourquoi pas ? Au moins, on n’aura pas besoin de se dire au revoir ! »

Il n’avait que 10 ans.
Dan n’en n’avait que 14.
Passer plus de temps avec cette femme qui leur avait tellement donné… oui, ça semblait bien mieux que de suivre des ambitions d’adultes…

« Je suis sûre que Séoul sera une ville merveilleuse ! »
« Sans vous, ça ne sera pas la même chose… hein Dan- Ge ? »

Il ne pouvait qu’être d’accord avec lui !
Ils auraient tant aimé l’emmener avec eux… vivre d’autres journées comme celles-ci…
Avoir d’autres photos, d’autres souvenirs…
… que cette plaquette avec un lémurien dans son coin qu’il avait fini par mettre dans son portefeuille 4 ans plus tard… cette plaquette pour laquelle il avait retourné toutes ses affaires… elle ne l’avait plus jamais quittée…

❝ Toi aussi… hein Dan-Ge ? Toi aussi tu l’as encore non ? ❞

⊱ reborn in hell

« Un accident.
Dans le fond, c’est tout ce que je suis. Si je suis là aujourd’hui, c’est bien parce que notre père a oublié de mettre une capote. Et, on ne va pas se mentir, j’suis sans doute l’erreur qu’il regrette le plus dans sa vie.
J’te vois déjà si j’te sortais un truc comme ça. Tu me répondrais que c’est faux, que j’me trompe avec un air sincèrement choqué, à moitié gêné.
Pourtant c’est vrai….
Sans moi, la vie des Wu serait tellement plus parfaite.
Mais voilà, y’a le fils de la bonne qui vient tâcher votre joli tableau de famille ! Et je le tâche si bien ! ça, on ne peut pas me le retirer, j’ai un talent certain pour foutre la merde.
C’est plus fort que moi tu sais ?
J’ai cette rage en moi. Toute cette colère. Elle est là. Bien là. Et tout ce que je peux faire, c’est la soulager un peu. Mais la faire partir… ça… on sait tous les deux que j’suis loin d’y arriver.
Je suis désolé grand frère.
ça aussi, un jour, faudrait que je pense à te le dire.
Parce que tu paies les pots cassés, t’essaies de les réparer au moins. Et même si je préfèrerais que tu ne le fasses pas, que tu me laisses simplement tout détruire… j’crois bien que j’te dois quand même quelques mercis et le double d’excuses pour ça.
Parce que sans toi… oui, la vérité, c’est que si j’étais né sans frère, sans toi… tout serait tellement pire aujourd’hui. Faut croire que c’est possible d’être pire que Wu Jin finalement !
T’es juste les limites à mon monde de destruction.
Ou la preuve que mon coeur marche encore…. »

↝↝↝↝↝↝↝↝

A bout de souffle, il avait regardé les restes de sa télé sur le sol avant de balayer du regard le chaos qui régnait à présent dans sa chambre.
Il n’y avait plus rien à casser…
Plus rien pour le soulager un peu…
Plus rien pour faire taire un peu les mots dans sa tête…

❝ Mais ce n’est pas mon fils ! Justement, ça ne l’est pas ! Si tu savais à quel point c’est dur pour moi de voir son visage tous les jours depuis 13 ans ! De l’entendre me parler comme si j’étais sa mère ! ❞

Il avait finalement compris… des jours plus tôt… pourquoi sa mère quittait toujours la pièce quand il y entrait… pourquoi elle semblait toujours le rejeter… chaque tentative… chaque effort….
Pourquoi c’était Yu Dan qu’on félicitait et jamais lui…
Pourquoi il avait toujours semblé déranger….
Ce n’était pas parce que Dan était le chouchou.
Ce n’était pas parce qu’elle avait un peu de mal à s’attacher à son cadet.
Non, en réalité, elle l’avait toujours détesté…

❝ S’il est là, c’est parce que tu n’as pas su te retenir de coucher avec cette femme ! Parce que tu m’as obligé à assumer ton erreur avec toi ! Et parce qu’on ne peut pas la faire disparaître maintenant, ton erreur. Et crois-moi, ce serait pourtant bien là mon souhait le plus cher ! ❞

Il aurait pu continuer des années comme ça… en vain…
Et personne n’avait jugé bon de l’informer qu’il se fatiguait pour rien.
Non, personne, pas même Dan qui l’avait appris avant lui…
Son poing s’était serré assez pour blanchir ses articulations… sans se préoccuper de la douleur, il l’avait balancé contre le mur d’une chambre qui représentait à la perfection tous les sentiments qu’il avait en lui.
Un vrai bordel. Oui.

De qui est-ce qu’il était le fils alors ?
Il l’avait demandé… quand il avait finalement manifesté sa présence en passant la porte derrière laquelle il s’était arrêté.
Il avait été obligé de se répéter. ça avait été si dur d’entendre d’eux, juste une fois, rien qu’une fois la vérité.
Et ça l’avait été autant pour lui de comprendre face au visage de son frère, lorsqu’il lui avait demandé, qu’il savait déjà.

Trahi. Blessé. Il était parti avec presque rien dans son sac à dos malgré les tentatives de son aîné pour le retenir.
Il avait dormi plusieurs soirs dans la rue.
Ce ne serait que la première fois mais pas la dernière.
Et puis Dan, toujours Dan, l’avait retrouvé et l’avait ramené à la “maison”.

❝ C’est pas chez moi ! ❞

Oui, est-ce que c’était seulement vraiment chez lui ?
Non. Et pourtant, comme si c’était le cas, il s’était retrouvé puni, enfermé dans cette chambre qu’il avait saccagée.
Jusqu’à cet instant où il s’était laissé tomber en tailleur aux pieds de son lit défait.
Fatigué enfin… mais pas moins en colère.
Fiévreux de ces nuits passées dehors… malade de cette rage.
Jusqu’à s’endormir par terre.
Pour se réveiller étrangement dans son lit des heures plus tard, une couette sur lui… en se rappelant vaguement du rêve brumeux d’un frère, auquel il ne voulait plus parler, penché sur lui… de la sensation d’une caresse sur son front et de mots dont il ne parvenait pas à se souvenir mais qui avaient peut-être un rapport avec cette tasse de thé désormais froide sur son chevet.

❝ Pourquoi t’es encore là… ? ❞

Cette question qu’il avait soufflée en réponse…
Il mettrait tellement de temps à finalement accepter les mots en retour de ce frère qu’il pensait avoir perdu…
Tellement de temps à comprendre que pour Dan… pour eux… ça n’était pas obligé de changer grand chose.

⊱ with a lie came a gift...

« Mais ça, merci pour ne pas m’avoir écouté, pour avoir cherché ma mère malgré ma tête de con et m’avoir traîné jusqu’en Chine même si je faisais le fier encore dans l’avion… faudrait vraiment que j’le mette sur ma “to do list”....
Au lieu de me dire simplement : j’pense qu’il le sait.
Je crois que je m’étais moi même persuadé que j’y allais juste pour entendre la vérité, juste pour qu’elle assume un peu parce qu’elle me le devait….
C’est qu’une fois devant elle que j’ai compris à quel point j’avais envie de la voir… à quel point j’avais envie de la regarder en sachant que c’était elle ma maman….
Merci… merci aussi pour nous avoir laissé seuls à ce moment-là. Ma fierté en aurait pris un coup si tu m’avais vu chialer dans ses bras.
Tu sais, de ma vie, ça a été mon étreinte la plus douloureuse mais aussi la plus douce. J’étais toujours tellement en colère et pourtant, une partie de moi était tellement heureux de pouvoir serrer ma maman dans mes bras.
Parfois… souvent… j’aimerais ne jamais avoir à quitter les siens .
Ce serait si bien, si elle pouvait vivre à Séoul avec nous.
Y’a tellement de choses que j’aimerais lui montrer autrement que via une caméra.
Notre fac. Le café où je préfère aller. Ce parc où je me perds tout le temps avec ma guitare. Tu pourrais même lui faire visiter ton appartement… je suis sûr que ça lui ferait plaisir.
Tu vois, je t’écris ces mots, et je réalise une fois de plus à quel point elle me manque.
Si elle était là… j’aurais pas besoin de sortir mon ordinateur pour essayer de l’appeler. Je pourrais sortir et simplement aller manger avec elle.
Oui, je réponds toujours “j’suis que le fils de la bonne” quand à la maison ça m’emmerde.
Mais en vérité, je suis tellement fier d’être le fils de la bonne.
Tu sais, ma maman, je l’aime vraiment beaucoup.
Et me permettre de la revoir. C’est le plus beau cadeau que tu m’aies jamais fait.
Merci grand frère. »

↝↝↝↝↝↝↝↝

Debout, dans l’allée de cet avion qui les ramenait vers Séoul, vers leur maison, et vers le chaos qui y régnait depuis maintenant un an, il avait attendu que son frère se lève pour se rasseoir à sa place. Evidemment Dan lui avait laissé le hublot.
Et évidemment, il avait fait mine de croire qu’il allait vraiment pisser aux toilettes sans voir les yeux rougis avec lesquels il était revenu.
Installé à sa place, il avait laissé son regard se perdre un instant sur l’immensité d’un ciel qui ne voulait pas dire grand chose.
Ses yeux étaient partis ailleurs, dans les instants qui s’envolaient déjà pour devenir des souvenirs.
Il y en aurait d’autres. S’il ne l’avait pas dit, si pour ce premier voyage il restait un peu sur sa réserve, il savait pourtant qu’il retournerait en Chine… et que Dan serait une fois de plus à ses côtés.

Il reviendrait. Pour elle. Sa maman.
Celle qui l’avait aimé dès sa première respiration sur cette Terre.
Cette respiration trop fragile qui l’avait fait devenir un Wu plus qu’un Yang.
Cette respiration qui lui avait volé une mère… pour lui donner un grand frère…
Celui vers lequel il venait de lancer un regard discret.
Depuis un an maintenant, ça lui arrivait souvent… de le regarder à son insu en se demandant s’ils se ressemblaient un peu.
Dans ses traits qu’il avait toujours trouvé rassurants, il ne cessait jamais de chercher quelque chose pour pouvoir se dire que oui… c’était bien son grand frère…
Et il restait fier que ce soit le cas….

La vie qu’il trouvait toujours cruelle lui avait offert le plus beau cadeau pour s’excuser.
Et comme toujours dans ces moments-là, dans ces moments où son coeur s’exprimait silencieusement dans sa poitrine, il se promettait de rembourser une partie de ses dettes.
Il le lui devait bien. A Dan.

Et puis il y avait cette peur.
Cette peur qui commençait à naître en lui qu’un jour, lui aussi, n’en puisse plus de lui…
Ce gosse qui commençait à crier en lui…
❝ Dis lui… dis lui que tu ne veux pas qu’il te laisse, qu’il ne doit jamais le faire même si un jour, comme un con, tu lui demandes le contraire ❞

« Je vais dormir un peu. »

Pourquoi est-ce qu’il fallait toujours qu’il se montre aussi fier ?
Pourquoi est-ce qu’il était aussi maladroit quand il avait pourtant simplement envie de l’aimer son grand frère ?
Quand il prétendait s’assoupir plusieurs minutes après avoir fermé les yeux pour laisser sa tête retomber sur l’épaule de son aîné d’une façon faussement involontaire…
… pourquoi ne pas simplement les dire à haute voix les mots qu’il avait alors murmurés dans sa tête ?

Je t’aime. Qu’importe quel jour ce sera demain… tu resteras toujours la personne la plus importante pour moi.

⊱ … the best that the life gave to me

« Alors voilà… j’en arrive au point final de cette foutue lettre que la psy du moment m’a demandé d’écrire. Parce que je suis encore puni et que j’irai peut-être la voir une fois ou deux, histoire de !
Écrire une lettre à la personne qui compte le plus pour moi pour pouvoir me libérer et m’ouvrir entièrement à quelqu’un. C’était ça l’exercice. Je suis supposé te la donner… mais j’sais pas… est-ce que je suis capable de parler avec autant de sincérité ?
Je crois qu’on sait tous les deux que j’ai pas assez de courage pour ça. En tout cas moi je le sais.
Pourtant, y’a plein de trucs que j’aimerais te dire, plus que ce que je t’ai écris ici… mais pour ça, faudrait peut-être que je me prenne la cuite du siècle et que je débarque chez toi.
Et puis je suis aussi supposé prendre des engagements, te promettre des trucs. Clairement, cette psy, elle sait cerner ses patients !
Qu’est-ce que je devrais te promettre ?
De faire des efforts ?
J’en ferai pas, ça aussi on le sait tous les deux.
Pour te parler franchement, je pense que j’en ai déjà trop fait avant. Maintenant, j’ai plus envie. A quoi bon ? Les résultats, je les connais déjà.
Pour toi, j’imagine que ce serait cool, tu pourrais te reposer un peu. Tu serais plus obligé de débarquer à chaque fois que papa t’appelle à la rescousse ! Dan 911 !
Mais si tu savais seulement la moitié des conneries que je fais ! Dans le fond, c’est cette partie ignorance mes efforts pour toi…. C’est pas terrible hein ? Des fois j’me dit que c’est pas plus mal que tu vives plus ici même si tu me manques.
Oui, j’imagine que comme j’te donnerai pas cette lettre, ça aussi j’peux le dire au lieu de faire comme d’habitude et de trouver un prétexte à la con pour passer chez toi.
Et comme j’imagine que ça colle plus avec moi de brûler ce papier parce que j’suis une foutue flamme qui demande qu’à tout brûler sur son passage, je peux aussi me permettre de sortir les grands mots. Alors c’est parti je me lance :
Je t’aime grand frère. Merci d’avoir veillé sur moi pendant toutes ces années, et de bien vouloir le faire encore un temps. Merci de me supporter même si je suis clairement celui qui fout la merde dans ta vie depuis… le 6 juin 2001 si on veut être tout à fait honnête.
Ah, et aussi, c’est bien moi qui ait écrit REDRUM sur le miroir de ta chambre pendant que tu dormais. Mais ça, je pense que tu t’en doutes pas mal !
Tu vois ? Même là encore, par écrit, je trouve le moyen de faire une pirouette pour ne pas avoir à dire les vrais mots !
Allez, on va espérer qu’avant de crever, j’arrive au moins un peu à te dire ce que j’ai sur le coeur, et un peu plus que ça... tout ce que tu représentes pour moi. Et puis, peut-être que la prochaine fois que je serai puni chez le psy, et si j’y vais, elle me demandera de te faire une vidéo !
Redrum, récits d’un démon par Yang/Wu Jin.
Ce sera ça son titre. »