life is a ( f a i r y ) tale

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I. 22 mars 2000. Quelques heures plus tard, les portes de l’édifice s’ouvrent et on la trouve. A l’intérieur du panier tressé, emmitouflée dans une épaisse couverture usée, elle observe ces nouveaux visages penchées au-dessus d’elle. Des iris remplis de vie mais des joues de bébé qui en manquent cruellement. On la ramène au chaud. Dans le panier, on trouve aussi un mot. Un kanji. 希子. Indéchiffrable à cet instant mais dans quelques jours, après quelques recherches, ils sauront qu’il signifie espoir et qu’on peut le prononcer “Kiko”. Dans quelques jours, c’est ainsi qu’on baptisera cette enfant abandonnée devant les portes d’un foyer où ses autres jeunes résidents ne savent plus ce qu’est un papa ou une maman.

II. Des recherches sont menées mais aucune trace de la parenté. Au foyer, les adultes ne sont pas sans piste. Ce kanji est leur premier indice. Et il y a bien une japonaise qui vit, rôde, dans ce quartier de Daejeon. On sait peu de choses sur elle si ce n’est ce que les passants racontent, les rumeurs qui sifflent. Une silhouette frêle, de long cheveux noirs qui couvrent partiellement un visage qui, à une époque, fut peut-être d’une grande beauté, mais qui aujourd’hui ne révèle plus que la peine avec laquelle elle traîne la vie. Sans le sous, c’est comme ça qu’on dit. Ce qu’elle fait ? Des métiers de misères. Plusieurs. Et rien n’est suffisant. Alors on dit aussi qu’elle vend son corps, qu’elle s’adonne à d’autres activités illégales et immorales pour subsister. La vérité, au fond, personne ne la connait vraiment. Mais certains évoquent bien un bébé. Des pleurs au creux des bras décharnés. Des gazouillis étouffés contre une poitrine sans générosité. D’autres murmures, d’autres regards dénués de bienveillance… Où est le père ? Qui est-il ? Un passant, un client, un mort... ? Des théories à foison. Mais qui pour dire où cette femme a disparu à présent ? Personne. Les rumeurs se taisent. Kiko demeurera orpheline. Une parmi tant d'autres.  

III. Livre dans les mains, regard fixé sur les pages, loin du brouhaha vivant, Kiko bulle dans un coin qui forme son monde. Encore quelques lignes, toujours une de plus, l’avidité de lire encore un chapitre… Depuis qu’elle a appris à lire, Kiko dévore chaque histoire qui lui tombe sous la main. Quand les livres du foyer n’ont plus été suffisants, elle est partie seule en quête d’une bibliothèque pour découvrir d’autres ouvrages. Ses livres, elle les connaît mieux que les autres enfants du foyer. Bien trop sage gamine avare de paroles, elle acquiert le don de se faire oublier. Timide, un peu peureuse, parcourir les pages d’un livre la rassure quand s’adresser à ses semblables lui tord facilement le ventre. Trop gentille, on en profite parfois. Trop docile, elle apprend et suit les règles strictes du foyer et son dogme chrétien. Croyante, elle ne sait pas vraiment si elle le devient pour autant. Mais évidemment, loin d’elle l’idée de contester… Dire non, se rebeller, elle ne sait pas, n’apprend pas. Rêver, en revanche, devient sa spécialité…

IV. 16 ans et sur ses épaules, pèsent déjà le poids d’une dette. Quand elle entre au lycée, dans ce pensionnat pour jeune fille, Kiko sait très bien qu’elle n’a pas l’argent pour payer sa scolarité. Quand les élèves vont au cours du soir, elle cherche déjà un petit boulot pour amortir les coûts. Elle veut apprendre mais elle nettoie, range, accueille… Elle étudie mais elle sait. Ses rêves d’université, d’études et de littérature lui seront inaccessibles. Qui sait pourquoi elle ne baisse pas les bras ? Quitter le pensionnat, trouver un métier plus accessible, fuir Daejeon et démarrer une nouvelle vie… Elle peut être têtue Kiko. Sa soif d’apprendre, de prendre tout ce qu’on lui offre avant de ne plus pouvoir. Elle s’accroche Kiko… mais à quoi ? A ce rocher glissant qui finira par lui échapper tandis qu’elle se fera inexorablement rattraper par le torrent de la réalité ? A un espoir vain qu’un miracle puisse arriver et changer sa vie déjà toute tracée ?
Au fond, elle a peur, Kiko. Peur de ne pas y arriver. Peur de quitter les seuls repères qu’elle connaît. Peur de finir comme cette mère qu’elle n’a jamais connue…
Alors elle se réfugie encore dans ses livres, là où les miracles et les rêves sont possibles. Là où les jeunes filles pauvres et sans avenir finissent comme les plus heureuses princesses du monde. Mais Kiko, elle, sans le savoir, n'est qu’au début de son histoire…

V. Dans la littérature, on appelle ça l’élément déclencheur ou perturbateur. Probablement que le second qualificatif lui convient le mieux. Quand Choi Mi Ran passe la porte de cette chambre, Kiko a déjà terminé le lycée. Un diplôme en poche comme une clé qui n’ouvre aucune porte. Pas même un parent à rendre fier. Alors Kiko reste. Elle se fait employer comme assistante à la bibliothèque… et un peu comme assistante à tout ce qu’on voudra bien lui donner. Mais au milieu des livres qu’elle doit sans cesse ranger derrière les élèves, elle se complait dans l’illusion d’un demi rêve. A défaut de pouvoir s’offrir un autre toit, elle garde son ancienne chambre de lycéenne. C’est dans celle-ci que Mi Ran débarque. Elève transférée qui revient de l’étranger. Face à Kiko, c’est comme si l’on venait de mettre un miroir qui reflétait tout sauf son reflet. Mi Ran est plus jeune mais elle est belle, déjà mille fois plus assurée que son aînée, a de l’argent - ou du moins ses parents en ont - et surtout semble entretenir un amour particulier avec l’infraction des règles. On a du mal à savoir qui a le plus d'années sur la Terre quand on les regarde. Mi Ran a déjà voyagé, rencontré bien plus de monde que Kiko qui, quand elle ne travaille pas, retrouve le confort de sa bulle. Mi Ran, elle, ne s’embarrasse pas du couvre-feu, ni des portes fermées. Le soir, elle s’enfuit, elle va vivre la vie que Kiko semble craindre. Et comble de l’insolence, elle lui demande de la couvrir, de mentir pour elle. Mentir… elle ne l’avait probablement jamais fait avant elle. Kiko n’est pas spécialement douée pour l'exercice, mais elle est encore plus misérable dans l’art de refuser. Aussi met-elle presque chaque soir son coeur à l’épreuve en se répétant une excuse plausible pour expliquer l’absence de sa camarade de chambre…
Mi Ran, c’est en théorie sa Némésis. Elle devrait la craindre, la fuir, la dénoncer… Mais elle ne l’a jamais fait. Parce que Mi Ran, au-delà de cette aura fascinante qu’elle dégage, de cette flamme de rébellion qui brille dans ses yeux, elle est loin d’être méchante. Elle est même plutôt gentille avec Kiko. En douceur, Mi Ran s'immisce dans sa bulle et la crève. Emportée par sa fougue et son insouciance, Kiko fait chaque jour un pas de plus vers le Monde aux côté de sa cadette. Elle apprend, découvre…. Si les livres restent son refuge, elle s’efforce de ne plus vivre entièrement par procuration.
Et puis un jour, marcher ne suffit plus. Face au gouffre de l’inconnu, il n’y a que deux choix : faire demi-tour ou faire le grand saut.


VI. Elle a peur Kiko. Encore. Toujours. Elle a vécu avec tant d'années, il faut dire. Comme une vieille amie. Celle qui retient votre main face aux dangers. Les entrailles nouées, elle regarde le train. Puis, un coup d'œil en arrière, elle se figure la chambre qu’elle vient de quitter. Elle lui paraît si étroite, si sombre et pourtant, si rassurante. Faire demi-tour, y retourner… c’est tentant… Mais elle y serait seule. Mi Ran a obtenu son diplôme et retourne à Séoul. Elle lui a proposé de partir avec elle. A la capitale, loin de tout ce que Kiko a connu jusqu’ici. Loin du foyer sans chaleur où elle a grandi. Loin du pensionnat où elle s’est terrée. Elle a hésité, Kiko. C’est absurde, elle l’a pensé. Elle n’a pas d’avenir à la capitale. Mais pas moins qu’à Daejeon. Elle ne pourra pas aller à l’Université, mais peut-être qu’elle pourra trouver du travail… Mais si elle n’y trouve pas sa place ? Son coeur se gonfle dans son étroite poitrine. Car… qui voudrait d’elle finalement ? Elle qu’on a abandonné alors qu’elle n’existait même pas tout à fait. Elle qui ne connaît rien de la vie. Debout, sur le quai, elle sert les dents. Elle sait qu’elle pourrait se mettre à pleurer. Elle a peur, Kiko… mais Mi Ran lui tient la main. Elle n’est pas seule. Elle n’est plus seule. Et même si elle a peur, elle a envie, au fond, de monter dans ce train. Partir. Laisser cette ville derrière elle. Expérimenter… Elle sait que la vie n’est pas aussi idyllique et simple que ce qu’elle a pu lire. Mais elle sait aussi qu’elle n’est pas aussi terrible que dans certaines histoires.
Il est temps pour elle d’écrire ses propres lignes, de briser ses craintes et franchir les obstacles qu’elle s’imagine insurmontable. Elle se fera mal, mais il le faut. C’est ça de vivre. Et elle en a envie. Alors, avant que le sifflet ne retentisse, elle pose un pied sur la marche, et s’engouffre dans le train…