I. Why don't I have a dad, mom ? You don't need one. C'est ce que Park Minji lui avait répondu avec toute la confiance du monde épluchant des patates dans la cuisine d'une précision et vitesse effrayante. La cardiologue toujours directe et honnête lui partagea son côté de l'histoire. Les hommes la ralentissaient dans la vie. Elle avait voulu d'un enfant et s'était trouvé un candidat avec de bons gênes une soirée. Elle ne lui avait jamais dit qu'elle était enceinte. C'est pourquoi Jude portait son nom de famille à elle et non celui de l'inconnu. Avait-il même manqué de quoi que ce soit ? Pas vraiment.

II. Will it hurt ? No, baby, you'll be asleep the whole time. Un baiser à son front, petite douceur nécessaire dans la situation difficile. Sa mère avait remarqué quelque chose d'étrange à sa gorge et après évaluation, un cancer avait été trouvé. Six ans et il devait passer sous le scalpel, terrifié. Heureusement, on pouvait éliminer le tout d'une simple opération. Tout irait bien.  

III.Hey, mom, can I tell you something ? I think... I'm gay. That's nice, sweety, can you pass me that file over there ? Comme n'importe quel jeune adolescent dans une société hétéronormative, Jude avait sué des mains avant de se décider à informer son seul parent de ses préférences romantiques et sexuelles malgré qu'il avait su d'avance que Minji n'en serait pas ébranlé. Sa réponse lui donna un faible sourire, rassuré que sa mère n'allait pas changer. Plus tard, il continua de sourire, amusé, alors qu'il écouta la cardiologue lui exprimer ses opinions. C'était dommage, les hommes étaient idiots. Il était la preuve qu'on ne choisissait pas sa propre sexualité. La déception de courte durée se termina d'un doux sourire et d'une main tendre dans ses cheveux bruns.

IV. I can't... Yes, you can. Il se souvenait de la détermination, la colère peut-être, au fond des yeux de sa mère. La peur. Dire que ses camarades de classe se préparaient aux examens et que lui se battait pour sa vie. Un second cancer. Celui-ci avait été discret, destructeur, de la fumée qui l'avait étouffée peu à peu. Un scalpel n'avait pu le sauvé cette fois. Les solutions chimiques brûlaient ses entrailles, les thérapies de radiations tuaient tout ce qui lui restait de sain. Dans le reflet de la fenêtre, il ne se reconnait plus. Il est fatigué, épuisé, en douleur, constamment. C'est intolérable. Il n'en veut plus. Il veut lâcher prise et s'éteindre juste pour éteindre la souffrance avec sa conscience. Sauf que sa mère ne lui pardonnerait jamais.

V. I think it could be good if... I think we should focus on our main writer this week. Au travail ? Ce n'était pas surprenant. Sa voix si douce et petite ne s'élevait pas haute. Elle s'écrasait à l'inspiration des autres. On ne remarquait pas lorsqu'on lui coupait la parole puisqu'on ne remarquait presque pas son existence. Who are you again ? Jude... been working here for the last three years. On croit ses sourires à des pardons et on continue notre chemin. Il est petit. Il est discret. Il mange seul.

VI. Cheers ! Hell yeah ! Elles sont trois. Sa famille, ses anges gardiennes, ses muses et ses soleils. Sarah, Hope et Elise, Jude's Angels. La première avait été une ex d'un ami lointain. La deuxième, très extravertie, s'était assise à son côté durant leur premier cours à l'université - ou comment une extravertie adopte son intraverti. La troisième était musicienne de bar à ses temps perdus tout comme lui. S'il y avait une chose qu'il ne changerait jamais dans sa vie, ce serait leur présence. Avec elles, il se sentait lui-même, plus honnête, plus grand, plus drôle, plus passionné. Elles formaient un triangle protecteur, un espace sécuritaire et sans jugement.

VII. I stayed because you didn't want to go. Well, I never asked you to do that, did I ? Colins. Rencontré au travail, premier homme fièrement homosexuel qu'il avait connu et Jude s'était dit, pourquoi pas ? Bien sûr, il n'était pas parfait, mais qui l'était ? Ils avaient quelques trucs en commun, exemple... le travail. Et il n'aimait pas Sarah, ou Hope, ou Elise. Elles ne l'appréciaient pas beaucoup en retour. Plutôt du genre à vouloir avoir le dernier mot. Sa mère ne l'appréciait pas non plus. Borné, inexpérimenté, Jude persévérait contre toute attente et travaillait, seul, sur la relation dans l'espoir que cela devienne plus facile. Spoiler alert: ça ne fonctionna pas.

VIII. How unlucky can you get, right ? Ses larmes perles sur son sourire et il sèche ses joues de sa manche étirée contre sa paume ne pouvant supporter le regard rempli de pitié de l'oncologue. Trois jours plus tôt, sa mère, la fameuse Park Minji, était décédée sans avertissement. Une affreuse attaque cardiaque l'avait forcé à être administrée en urgence sans en sortir. Les funérailles n'étaient pas même passées. C'était presque comique. Et voilà que le cancer revenait. Jamais deux sans trois, qu'on disait. Dans l'instant, Jude se demanda s'il avait été une horrible personne dans sa vie passée. Sûrement. Voulait-il savoir le plan ? Non. Il remercia le médecin et quitta.

IX. Même les yeux fermés, il pouvait voir le magnifique soleil. Le sel dans l'air chatouillait son nez. Le sable séchait de sous ses pieds lentement. Le son de la mer le berçait. Le goût du limoncello sur sa langue rafraichissait de la chaleur italienne. Lorsque ses lourdes paupières se relevèrent, c'était voir Salerno pour la première fois. Chaque fois. Tout était doré. Magnifique. Ses yeux se baissèrent sur sa liste où se trouvait pays, activités, nourritures à découvrir. Le plan ? Vivre le plus possible jusqu'à ce que le poison l'assassine. Sans regarder en arrière, toujours devant, toujours à la prochaine destination.

X. And then there was you. La gorge serrée, les larmes noyant son visage, ses épaules, sa respiration tressautants. Ce n'était pas le plan. Tombé réellement amoureux, ça n'avait jamais été dans le plan. Après des mois de flirt, de sorties, de baisers et de promesses, Jude n'avait pu lui mentir plus longtemps. Il avait créé un monstre qui le suivrait jusqu'à la fin des temps, le supporterait dans sa plus grande misère. Il n'avait désiré que de la folie encore et encore, puis quitter la Corée avec le coeur léger, mais il était devenu si lourd. Do you wanna live ? No... I don't know. What now ?