La venue des jumeaux a été une bénédiction pour les parents Ryu. Même si les problèmes financiers n'ont pas tardé à apparaître après leurs naissances, les géniteurs n'ont jamais manqué de les aimer ni de s'occuper d'eux, travaillant sans relâche pour pouvoir leur offrir un futur digne de ce nom. Sans doute par peur de ne pas y arriver, c'est une légère pression qu'ils ont commencé à leur mettre, voulant au moins être sûrs que dans le pire des cas, les enfants parviendraient à assurer leurs avenirs eux-mêmes.

C'est en tout cas ce que Seon-Ho a ressenti. Pression qui n'a fait que croître malgré la subtilité des parents, s'accumulant pendant les années. Des « il faut que tu travailles dur pour avoir un avenir meilleur » par-ci et par-là et, en constatant la situation actuelle de la famille, Seon-Ho n'a pu que conclure que ses parents dépendaient entièrement de lui et de son frère et qu'il devait les rendre fiers.

On ne peut pas vraiment dire qu'il a eu une enfance. Seon-Ho s'est donné corps et âme à ses études depuis qu'il en a réalisé l'importance - ce qui est arrivé très tôt, vu leur situation instable. Un enfant modèle et très studieux, c'était lui le prodige de la famille, rendant constamment ses parents fiers de lui. Il ne vivait pratiquement que pour leur approbation, surmontant tous les obstacles juste pour continuer à la recevoir. Un trait qu'il possède toujours, lui qui ferait pratiquement tout pour ne pas décevoir.

Bref, rien d'anormal, mis à part le fait qu'un adolescent n'est pas censé sacrifier sa jeunesse pour ses études mais dans la société coréenne, ça n'a rien d'atypique. Seon-Ho a continué de trimer, finissant ses études secondaires avec mention et obtenant une bourse pour une prestigieuse école de commerce que ses parents n'auraient jamais rêvé de pouvoir payer tous seuls. Les deux premières années qui se passent très bien, Seon-Ho trop habitué au surplus de travail pour avoir une quelconque difficulté, et il rencontre même le grand amour.

Certes, il n'a pas été facile à trouver, ni à accepter. Après tout c'était un homme, et quand on n'a pas eu le temps d'avoir une vie sociale dans son adolescence, on n'a pas non plus eu le temps de découvrir ses préférences. Pourtant, la lutte pour s'accepter en valait la peine, ça oui ; c'était la première fois que Seon-Ho tombait amoureux, et il ne voulait pas qu'il y ait d'autres fois. Il voulait juste le garder, lui, pour toujours. Maintenant qu'il y pense, c'était atrocement naïf. Et con.

Surtout con.
Seon-Ho n'était pas aussi cynique, avant. La possibilité que tout parte en couilles et se termine mal lui avait complètement échappé. Ou peut-être qu'il vivait juste dans son déni. Toujours est-il que la rupture a été aussi difficile qu'inattendue, ce qui n'a fait qu'empirer les choses. C'était l'expérience la plus humiliante de toute sa vie, et il est tombé dans le gouffre, comme ça. On peut dire que même après toutes ces années, il n'en est pas encore sorti.
Inévitablement, il a sombré dans la dépression, refusant de chercher de l'aide. Après tout c'était à cause d'un homme. On lui dirait sûrement que c'était sa faute, sa punition pour ce péché. Il n'avait pas besoin d'entendre ça. Il se disait déjà suffisamment de mal lui-même.

Croulant sous le poids de sa dépression, Seon-Ho était quasiment handicapé. Même sortir de son lit était une épreuve le matin ; il ne voyait plus la peine de vivre et, par conséquent, encore moins de poursuivre ses études. Pourtant il n'oubliait pas à quel point c'était important - pas pour lui, évidemment. Mais pour ses parents, qui comptaient sur lui, pour son jumeau et le reste de son entourage qu'il ne fallait absolument pas décevoir. Alors il s'est tué à la tâche, tentant désespérément de garder sa tête hors de l'eau. Le stress n'a pas tardé à le rattraper, ni à l'anéantir. Une seule année ratée, et c'était la fin. On se demandait ce qui lui arrivait, ce qu'il foutait, lui répétait qu'il devait se ressaisir et que ça ne lui ressemblait pas. Des remarques passives agressives qui se faisaient passer pour de l'inquiétude mais ressemblaient plus à des reproches qui lui rappelaient à quel point il était foutu.

Et le pire c'est qu'il ne pouvait pas se défendre. Livré à lui-même, Seon-Ho encaissait sans jamais rien dire, accumulait le stress jusqu'à développer une anxiété générale, due à son incapacité à gérer. Toutes ses compétences et talents s'étaient brisés et la seule chose pour laquelle il restait doué était de prétendre que tout allait bien devant sa famille. Même Byeong-Ho n'a pas eu droit à sa confiance. Parce qu'il avait honte de montrer ses fêlures à son jumeau qui restait fort. Parce qu'il avait honte tout court, indépendamment du reste. Ou peut-être simplement parce qu'il ne voyait pas l'intérêt de se sauver.
Il a tout de même pris une année sabbatique qui, au final, ne lui a pas servi à grand-chose à part recevoir encore plus de remontrances et tenter de mettre fin à ses jours, étant sauvé seulement par un mauvais dosage de somnifères et une overdose dont il se sera remis tout seul sur le sol de sa salle de bain.

Existence léthargique où tous les jours sont aussi maussades et pénibles les uns que les autres. Seon-Ho ne sait toujours pas comment il a fait mais il a réussi ses études avec une moyenne acceptable. Rappel de tout le potentiel qu'il a gâché, de quoi accroître son envie de mourir, mais au moins il en avait fini pour de bon.
Sauf que ça ne finit jamais. Seon-Ho a 24 ans et il vit toujours avec ses parents car il n'a pas trouvé de travail. Seon-Ho a 25 ans et il vient de déménager mais il déteste son job et ça lui pèse. Seon-Ho a 26 ans et il n'est toujours pas capable de nouer une relation stable et sincère. Seon-Ho a 27 ans et il vient de se faire virer pour la énième fois, fond en larmes quand il  n'y a plus d'oeufs et pense souvent à mourir.
Byeong-Ho a 27 ans et il est chirurgien interne, brillant autant par son intelligence que son rayonnement. C'est lui le nouveau chouchou depuis des années et sa seule existence suffit à rappeler à  Seon-Ho ce que la sienne aurait pu être. Il ne le supporte plus.

Il a appris à s'y faire. Tous les jours il sort jusqu'à pas d'heure, boit comme un trou, couche dans tous les sens. Comble le vide par tous les moyens possibles, jusqu'à épuisement, jusqu'à ne plus être capable de penser. Et tous les soirs il s'affale sur son lit, ses yeux se refermant tous seuls, espérant qu'au réveil il aura oublié qu'il haït son frère.
Ou qu'il ne se réveillera pas.

001. Il est dépressif depuis 7 ans. Fun times. 002. Evidemment, ça veut aussi dire qu'il est alcoolique. Le duo imbattable quoi. 003. Il fait une crise de panique en moyenne deux fois par semaine. 004. C'est un grand fan de Carly Rae Jepsen. 005. Il aurait aimé être drag queen mais il a sans doute assez déçu ses parents comme ça. 006. Il n'a jamais réussi à garder un job plus de 5 mois. Il finit toujours par être renvoyé ou démissionner car il ne supporte pas la pression. 007. Sa dépression est un secret car il a peur que personne ne le comprenne mais il a appris à l'accepter et quand il en parle, c'est de la façon la plus décontractée possible. Du genre, "ah ! quelle belle journée pour se faire écraser par une voiture" avec le sourire. 008. Il boit en moyenne un demi-litre d'eau et compense avec de la vodka, sous prétexte que "ça a la même couleur". Il entend parfois son foie implorer sa pitié dans son sommeil. 009. C'est un grand passionné de musique et il joue de la guitare et du piano. Cependant il a grandement mis cette passion de côté pour se consacrer à ses études et sa carrière. Un de ses plus grands regrets. 010. En réalité, il a pratiquement tout sacrifié pour assurer son avenir et, maintenant que ça n'a pas marché, il n'a plus rien. Il a l'impression de ne pas avoir de personnalité outre sa débauche démesurée et d'être simplement une épave.

le wqt est un animal aquatique nocturne