L’air froid du début de soirée lui comprime les poumons malgré la chaleur excessive des derniers jours, demoiselle marchant presque joyeusement sur le sentier qui la mènera au lieu discuté par téléphone avec le garçon qui doit la rejoindre d’un instant à l’autre. Rien ne semble réellement entraver son entrain passager, gamine sur le point d’accomplir ce qu’on redoutait d’elle il y a encore quelques mois. A tous croire qu’elle n’en était pas capable, Sieun terriblement sous-estimée dans la démarche qu’elle a accepté de faire sans avoir réellement conscience que les émotions avec lesquelles elle joue pourraient se retourner contre sa propre personne. Les conséquences commencent ainsi dangereusement à pointer le bout de leur nez, gamine écervelée qui n’a pas voulu écouter les avertissements de son meilleur ami, Sieun ne réalisant pas encore que le mensonge dans lequel elle ploie devient doucement réalité, et que les sentiments qu’elle croit faux s’éparpillent un peu plus en elle et particulièrement dans son cœur, ce dernier papillonnant chaque fois qu’elle se retrouve avec celui qu’elle est supposée manipuler. Gamine sûrement un peu trop prise à son propre jeu de séduction, ne réalisant pas encore qu’elle n’apprécie plus Yungjae comme cible, mais bien comme garçon qui trône lentement dans ses pensées.  

Si au départ, c'est le pari lui a fait prendre toutes ses intentions de rapprochement avec Yungjae, aujourd’hui, elle n’est plus très sûre de ses motivations personnelles.

Ses baskets galopent les escaliers menant à l’aile des arts, complètement déserte malgré avoir croisé des dizaines d’étudiant sur son chemin, Sieun repérant sans vraiment de difficulté la salle qui leur a été réservée. Soupir de soulagement quand elle s’aperçoit qu’elle est la première à être arrivée, ponctualité qu’elle a souvent du mal à appréhender mais qu’elle essaie de respecter quand il s’agit de Yungjae, par pur respect. Refermant la porte derrière elle, elle allume les quelques lampes éparpillées dans l’espace et dépose son blouson en cuir sur l’une des chaises, voguant entre les quelques tables et chevalets présents. Pressentiment éphémère que l’endroit sera plus chaleureux si tout y est préparé, la demoiselle s’attarde à chercher les outils qui serviront à l’activité, fouillant dans les meubles pour y trouver bonheur. La peinture n’a jamais été son point fort, Sieun toujours plus douée pour admirer que pour créer, préférant trouver loisir autre part. Pourtant, le challenge proposé à Yungjae il y a plusieurs semaines a provoqué en elle l’envie de s’atteler une nouvelle fois aux arts plastiques, aimant éphémèrement se trouver une âme abstraite de peintre.

Elle entend la porte s’ouvrir non loin derrière elle, l’extirpant instantanément de ses recherches temporaires et pourtant fructueuses, Sieun préférant porter son attention par la silhouette qui vient d’entrer. Oh tu es là, salut ! Sourire égayé alors qu’elle se retourne pour le regarder, bouteilles de peinture dans ses mains. J’ai réussi à trouver la peinture et les pinceaux. Ses pieds s’approchent mécaniquement du garçon qu’elle attendait, regard porté sur les yeux de ce dernier, puis sur la tâche rouge qu’elle décèle non loin de là. Plaie qu’elle remarque derrière les mèches noires, arcade sourcilière abîmée, provoquée par un coup ou un choc, elle en est persuadée. Je... Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? Question posée alors qu’elle s’approche rapidement de lui, mains posant les bouteilles sur une table et voulant pousser les cheveux d’ébène du garçon. Mais Sieun se ravise avant de faire quoi que ce soit, phalanges qu’elle ramène contre elle, se rappelant des mots dont il lui a déjà fait part, Yungjae n’aime pas être touché sans permission.

Lundi. Le lendemain de ce qui est probablement le plus grand traumatisme de son existence. Yungjae évite de se regarder dans le miroir et chaque mouvement lui provoque une douleur infinie dans tout le corps. Il les a vu se former, les ecchymoses sur son épiderme, le colorant de bleu et de violet ; parfois de jaune et de vert. Il n'en a jamais eu autant en même temps. Il en a sur l'abdomen et les côtes ; dans le dos, il en est persuadé. Ses bras en abritent, mais un peu moins qu'ailleurs. Ses jambes ont, en grande partie, été épargnées. Son arcade sourcilière accueille un peu de rouge là où s'est formé la plaie. Entourée d'un peu de bleu et de jaune. Une ecchymose qui se répand jusque sous son oeil, mais de façon un peu plus subtile. Et il y a son genou qu'il a trop poussé dans sa course effrénée pour échapper à son père et rejoindre le logement de sa grande soeur. À cause de lui, il boîte un peu lors de ses déplacements et il a du mal à le plier sans que la douleur ne le foudroie.

Il ne s'est pas présenté à ses cours durant la journée, également. Il n'en avait pas la force. Il avait surtout honte de s'afficher avec le visage abîmé. C'est plus difficile de cacher sa terrible réalité lorsque rien n'est visible. Yungjae au sentiment d'être pitoyable, car incapable de tenir tête à son paternel cauchemardesque. Qui a failli annuler sa sortie avec Sieun à beaucoup trop de reprises. Il a tout sauf envie qu'elle le voit dans cet état, mais... Il a aussi envie de la voir. Il ne veut pas s'empêcher de continuer sa vie par peur de son géniteur. Même si c'est plus facile de l'affirmer que de le faire. Néanmoins, il pense que ça commence par cette soirée peinture avec la demoiselle qui rend ses sentiments terriblement confus. Elle a doucement commencé à habiter ses pensées plus souvent qu'elle ne le devrait. Pourtant, il se refuse encore à analyser ce qu'il ressent pour elle, parce qu'il a peur. Au final, Yungjae se dit qu'il a peur de trop de choses, alors que c'est simplement qu'il est traumatisé par trop de choses.

Bien couvert malgré les températures saisonnières et ses mèches ébènes devant son visage, il entreprend de rejoindre l'université dans le pôle des arts pour s'acquitter de sa promesse de présence. Heureusement, à cette heure, il ne reste plus beaucoup d'étudiants qui parcourent les couloirs et qui pourraient remarquer sa silhouette qui se cache à l'aide de ses vêtements et de ses cheveux. Et qui avance la tête baissée et avec les mains dans les poches de sa veste. Il est bien loin de ce Yungjae rempli d'assurance que tout le monde connaît. Dans le silence, il ouvre la porte du local indiqué par Sieun en sms et y fait son entrée. En posant la main sur la poignée, il se rend compte qu'il tremble légèrement, mais décide de l'ignorer. Son palpitant a commencé à s'affoler, également. Il n'aurait pas dû se présenter. La pensée tourne en boucle dans son esprit, si bien qu'il porte très peu d'attention à ce que Sieun lui dit dès qu'il franchit le seuil de porte et referme derrière lui. Elle s'approche de lui et il constate une certaine panique qui commence à l'envahir plus elle se rapproche de lui. Elle fait un geste vers ses cheveux et même si elle l'annule à mi-chemin, le garçon a un mouvement de recul. "Ça va, ce n'est rien." L'une de ses mains vient lisser ses mèches noires pour tenter de mieux cacher son oeil abîmé et il contourne doucement son... amie? Force lui est de constater qu'il est incapable de soutenir son regard.

Si elle s’est toujours montrée trop insistante avec Yungjae, notamment au cours du festival, elle a drastiquement décidé de faire des efforts avec lui et de ne pas envahir son espace personnel, prise de conscience qu’il est un garçon qui aime avoir son intimité et surtout, à déceler chez lui un quotidien qui ne semble pas toujours de tout repos. Elle se mord la lèvre sans s’en rendre compte, alertée par cette tâche rouge qu’il tente désespérément de cacher derrière les mèches d’ébène qu’il replace rapidement. Elle le sait, que ce n’est pas un accident, Sieun anciennement habituée à voir son père biologique revenir à la maison drogué ou alcoolisé, mais toujours couvert de coups au visage. C’est la haine qui a provoqué une telle chose, elle en est convaincue. Mais elle n’ose pas poser la question qui peut potentiellement fâcher, et qui ferait d’elle une gamine bien trop intrusive, gardant silencieusement pour elle ses désirs de savoir comment il s’est fait une blessure pareille. Eloignement soudain du garçon qui la fait définitivement changer d’avis alors qu’elle n’a presque pas bougé ses mains, Sieun un soupçon déçue mais à ne pas pour autant lui en vouloir d’instaurer une distance entre eux. D’accord… Mais une plaie qui n’a pas été soignée peut faire des dégâts. Assurance qu’il ira bien doucement désirée, alors qu’elle se retourne pour installer les affaires sorties à la hâte, laissant Yungjae dans le silence sans réellement le vouloir, gamine toujours préoccupée par ce qu’elle vient d’observer.  

Au fond de son palpitant, se logent tendrement les espoirs d’une gamine aux désirs de proximité dont il ne semble pas réellement avoir envie, pensées papillonnant pourtant de positivité dès lors qu’il a accepté cette activité qui leur permet de se découvrir autrement, rapprochement inévitable et dont ils ne seront pas fautifs. Le pari s’envole au fil des jours, à force de penser à des probables évidences qu’elle se refuse encore d’admettre, ne réalisant pas que Yungjae est beaucoup plus qu’un simple jeune homme à qui elle doit mentir pour remporter ce qu’elle souhaite. A penser à lui plus qu’elle ne le devrait, à se rendre en revanche compte qu’elle aimerait davantage le connaître, et percer cette aura de garçon froid et distant qu’il inflige à tout le monde, elle y compris, même si Sieun est parvenue à lui dérober un semblant de sourire quelques jours plus tôt.

Elle dispose le matériel à la hâte sur une bâche transparente au sol et déroulée pour l’occasion, peinture, pinceaux, eau, palette, et écarquille plusieurs fois les yeux, constatant avec peine l’indisposition ou la gêne qu’elle ressent dans le regard fuyant de Yungjae. Ils se sont mutuellement accordés sur une chose au cours de leur séance commune de peinture, le défi proposé par Sieun a été remporté ensemble, ils ont donc tous les deux gagné la récompense promise : peindre sur l’autre. Proposition audacieuse de la belle sur le point de se concrétiser, elle n’arrive pourtant pas à être heureuse quand elle l’observe moins confiant qu’à l’accoutumée, réfléchissant à un moyen de lui faire oublier le tracas deviné mais dont elle ne connaît pas les raisons. Tu sais quoi ? Elle se décide finalement à proposer quelque chose, enlevant son débardeur noir, demeurant en brassière fine et en jean. Sieun lui offre un sourire sincère alors qu’elle lui tend des pinceaux, incitant le garçon à les attraper d’un geste de la tête. Tu peux peindre ce que tu veux, là où tu veux. Fais-toi plaisir. L’étudiante s’assoit sur le sol protégé en quelques secondes. Si Yungjae n’a pas envie qu’elle décore sa peau, elle ne sera pas fâchée.