Trois heures et trente-huit minutes, c’est le temps qu’il a fallu à Nayoung pour calmer ses envies de rendre à son père tous les maux provoqués et qu’il provoquera encore, elle en est persuadée. Mais les supplications de son cadet de ne pas l’abandonner, tremblotant dans ses bras, ont réussi à tourner sa colère en un sentiment bien différent : l’angoisse qu’il revienne déverser ses vagues de violence sur Yungjae, et qu’elle ne soit plus capable de le protéger si Nayoung en venait à réellement prendre sa revanche sur le tyran qu’est leur figure paternelle. Elle s’en voudrait, de laisser Yungjae, de laisser tous les autres, et de ne plus être en mesure d’être avec le garçon à qui elle a ouvert son cœur, Hyunjae, si Nayoung se déchaînait. Alors elle trône dans sa chambre, à contempler toutes les possibilités de scénarios qui pourraient arriver depuis l’incident exécrable d’aujourd’hui, le seul qu’elle a envie de voir s’exaucer étant celui dans lequel les enfants Jung n’entendent plus parler de leurs parents indignes, à ne plus subir le courroux du patriarche et à vivre sans la crainte qu’il ne débarque une nouvelle fois dans leur existence compliquée.

Elle n’a pas eu le temps de changer son tee-shirt désormais imbibé de sang, ni même de ramasser les bouts de verre du cadre brisé au sol qu’elle regarde nonchalamment, pupilles oscillant de l’objet cassé à la silhouette recroquevillée de Yungjae sur son lit. Grande sœur a réussi à le faire rejoindre les bras de Morphée malgré toutes les appréhensions qu’il a exprimé, à l’étreindre pendant des heures, image d’une demoiselle redevenue adolescente, quand elle laissait son petit frère dormir à côté d’elle les nuits suivant les excès de fureur de leur père, gamin à l’impossibilité de se coucher sans Nayoung. Demoiselle qui s’est relevée en parvenant à ne pas le réveiller, à pour autant ne pas réussir à bouger davantage, coincée dans la spirale aux centaines de pensées qui s’entremêlent. Le bruit du code qu’on entre sur le pavé numérique et la mélodie qui s’en suit pour signifier que la porte est ouverte, qu’elle entend depuis la pièce dans laquelle elle est assise sans rien faire, espoir de réconfort venant instantanément l’envahir, à se douter de la silhouette s’engouffrant dans l’appartement. Tornade décide finalement de se lever, ses pieds bougeant d’eux-mêmes alors qu’elle ferme la chambre derrière elle, laissant le garçon aux trop nombreuses plaies dormir, l’air momentanément paisible. Un seul regard échangé avec le petit-ami désormais arrivé suffit pour que les yeux de la belle brillent de consolation.

Si Yungjae a eu besoin de Nayoung. Nayoung quant à elle, a besoin de Hyunjae.

En s'approchant de son appartement, Hyunjae laissa ses pensées vagabonder, errant d'une idée à l'autre. La silhouette de Nayoung se dessinait dans son esprit à mesure qu'il rentrait chez eux, lumineuse et complexe, un enchevêtrement de douceur et de force. Il ne pouvait s'empêcher de penser à l'amour qu'il lui portait, cet amour qui grandissait à chaque sourire échangé, à chaque instant passé à ses côtés. Mais dans cette affection débordante, un doute sournois s'immisçait : était-il à la hauteur de la flamme qu'elle représentait pour lui ? Était-il suffisamment bon, suffisamment fort pour la soutenir dans les tempêtes qui parfois balayaient leur vie ?
Il se surprit à imaginer leur avenir ensemble, un rêve où leurs chemins se rejoindraient, unissant leurs cœurs dans une danse éternelle. L'idée de l’épouser lui traversa l'esprit comme un éclat de lumière, une pensée fugace et précieuse qu'il chérissait en secret. Mais la réalité s’imposait avec son cortège de doutes. Pourrait-il être cet homme dont elle avait besoin ? Celui qui l’élèverait sans la briser, qui saurait la protéger sans jamais entraver son éclat ? Les questions s’entremêlaient dans son esprit, tissant une toile d’incertitudes.
Quand il poussa la porte de l'appartement, une scène troublante s'offrit à lui. Nayoung, sa Nayoung, était là, bouleversée, son visage empreint d'une douleur qu'il n'avait jamais voulu lui voir. Son tee-shirt, imbibé de sang, était le témoin silencieux d'une violence qu'il ne pouvait comprendre.  « Qu'est-ce que... » Le cœur de Hyunjae se serra, et il se sentit désemparé. Que pouvait-il dire pour apaiser cette tempête qui l’assaillait ? Chaque mot semblait dérisoire face à la gravité de la situation.
Il s'approcha lentement et plutôt que de poser des questions, il choisit le silence, conscient que parfois, le plus grand réconfort réside dans la présence calme de ceux qui aiment. Avec une tendresse infinie, il l’enveloppa de ses bras, une étreinte protectrice qui parlait d'amour sans avoir besoin de mots. Dans cette étreinte, il offrait son cœur prêt à recevoir sa douleur.
Il se pencha légèrement pour l’embrasser sur le front, un geste simple mais chargé de promesses silencieuses. Sa main trouva le chemin jusqu'à son visage, et il l'observa, ses yeux cherchant les siens, pleins d'inquiétude mais aussi d'un soutien inébranlable. Chaque battement de son cœur résonnait comme une mélodie, une promesse d'amour inconditionnel, un refuge où elle pourrait se laisser aller sans crainte.
Finalement, il brisa le silence: « Je suis là Nayoung et je t’aimerai toujours »

Lumière revient instantanément et darde ses rayons sur la pénombre qui a jusque-là enveloppé l’appartement, dès qu’il se dévoile devant elle. Hyunjae, protecteur de son existence toute entière, cœur prêt à exploser, tant la simple vision du garçon lui procure le sentiment de consolation dont elle a tant eu besoin ces dernières heures. Si elle a été la grande sœur vaillante de Yungjae, elle recommence à devenir la petite-amie au besoin d’être elle aussi, réconfortée, à le laisser venir à elle, proximité soudaine qu’elle accueille comme nécessité. Elle pourrait s’écrouler dans ses bras tant la fatigue l’assaille, pourtant Nayoung s’accroche davantage qu’à l’accoutumée, incapable de laisser l’étreinte disparaître, s’étouffant presque dans ce contact qu’elle ne veut pas éphémère. Geste rempli d’affection tandis que le silence les embrasse pleinement, tranquillité qu’elle apprécie doucement, à ne pas avoir à s’expliquer malgré l’état de son tee-shirt, ou même de sa propre allure. Elle n’a l’air de rien, et Hyunjae lui prodigue tout de même tout ce dont elle a besoin, en ces instants précieux. Corps réfugié contre celui de l’être aimé, abri passager, à laisser les notes de son parfum qu’elle adore envahir son odorat, à apprécier la chaleur de sa silhouette l’enveloppant momentanément, à sentir les lèvres de Hyunjae assaillir son front d’une tendresse inouïe. Paupières se refermant lentement, et se rouvrant tout aussi vite lorsque la main de son petit-ami vint s’échouer sur son visage ébranlé, ses yeux s’exprimant à sa place, certitude qu’elle a sa protection, et qu’il ne la jugera pas. Jamais. Elle fait un instant naufrage dans ses prunelles, l’écoutant à nouveau parler, mots résonnant comme une promesse jusqu’à ses oreilles, jusque dans son âme affolée. Je voulais le tuer. Elle le sent, son cœur tambouriner à nouveau de colère contre sa poitrine. Nayoung n’ose plus prononcer son nom, de peur que de trop affreuses nouvelles surviennent à nouveau. Prénom maudit, à leur porter malheur, à tous. Elle replonge instantanément contre le torse de son amoureux, incapable de bouger davantage. Mais quand Yungjae m’a supplié de ne pas l’abandonner, je me suis dit que je ne pouvais pas vous faire ça… Et j’ai changé d’avis. A avoir réussi à se défaire de ses envies de prendre sa revanche, à avoir échangé ces dernières pour des menaces, qui ont réussi à le faire fuir. Je le déteste. Lui, maman, et tout ce qu’ils ont fait. Ses poings se serrent terriblement dans le dos de Hyunjae, larmes de frustration qui viennent vivement perler ses joues cramoisies d'énervement, puis se déverser sur les vêtements de son petit-ami. Nayoung ne pleure jamais, pas même lorsqu’elle usait de son corps pour protéger les derniers nés de la famille, et qu’on la punissait à leur place. J’ai cassé le cadre que tu m’as offert pour mon anniversaire. Il est fichu… Je suis désolée Hyunjae. Crâne du paternel asséné avec la première chose trouvée sous la main, cadeau donné à Nayoung et qu’elle a brisé sans le vouloir. En mille morceaux, ode aux âmes fracturées des enfants Jung.

Hyunjae resta figé face aux mots de Nayoung. « Je voulais le tuer. » Ils flottaient dans l’air, lourds, comme une tempête silencieuse qui ébranlait son monde. Il la regardait, cherchant dans ses yeux quelque chose, n’importe quoi, qui lui prouverait qu’il l’avait mal entendu, qu’elle n’avait pas vraiment voulu plonger dans cette obscurité-là. Mais non. La vérité était là, dans ses pupilles tremblantes, dans la tension de son corps. Et il sentit son propre cœur se fissurer, sous le poids de cette douleur partagée.
Il voulait parler, il voulait lui dire quelque chose, mais les mots se coinçaient dans sa gorge, incapables de franchir cette barrière invisible qui le séparait de sa propre émotion. Qu’est-ce qu’on dit, dans ces moments-là ? Qu’est-ce qu’on fait, quand la personne qu’on aime est à deux doigts de se perdre dans la violence, dans la haine ? Hyunjae ne savait pas. Il n’avait jamais su, avec elle. Elle, qui d’ordinaire était le phare, la lumière qui guidait ses pas, était maintenant enveloppée par une obscurité qu’il ne reconnaissait pas. Et lui… lui, il se sentait impuissant.
« Nayoung… » Sa voix était presque un murmure, un souffle fragile qui portait bien plus qu’un simple nom. C’était une question, une prière. Comment était-elle arrivée là ? Qu’avait-elle dû traverser pour qu’elle en vienne à cette pensée ? Il baissa les yeux, incapable de la fixer trop longtemps, de peur que son regard ne trahisse l’effondrement intérieur qui se jouait en lui. Il ne voulait pas la charger de ça, de sa propre incapacité à la comprendre dans ce moment précis. Tout en lui voulait l’apaiser, l’entourer d’une douceur dont il ne savait même plus s’il était capable.
Il posa doucement une main sur la sienne, un contact léger, presque hésitant. « Je… je suis désolé. » Les mots lui échappèrent, et il s’en voulut aussitôt. Désolé pour quoi ? Il ne savait même pas. Désolé d’être là, désolé de ne pas avoir su empêcher cette souffrance qui la rongeait, désolé de ne pas pouvoir tout simplement effacer ce qu’elle venait de dire. Il voulait la comprendre, être cette épaule infaillible qu’elle méritait. Mais au fond de lui, il sentait un vide. Cette violence, il ne la comprenait pas. Pas chez elle. Pas dans cette âme qu’il aimait, qu’il admirait.
« Je ne sais pas quoi te dire » avoua-t-il enfin, sa voix tremblante d’une sincérité presque douloureuse. « Je ne sais pas comment… comment faire pour te sortir de là, pour t’aider. » Ses mots étaient maladroits, mais ils venaient du cœur, de cet endroit profond en lui où son amour pour elle, aussi pudique soit-il, se mêlait à une peur qu’il ne contrôlait plus. « Ça me fait peur… de te voir comme ça. » Il hésita, sentant sa gorge se serrer. « J’ai toujours pensé que tu étais plus forte que tout, que rien ne pourrait te briser. Mais là… »
Il releva les yeux, cherchant à nouveau les siens, même s’il redoutait ce qu’il y trouverait. « Je suis là, tu le sais, pas vrai ? Je serai toujours là, mais… mais ça me fait mal de te voir comme ça, de voir que tu as dû traverser quelque chose d’aussi terrible pour en arriver à cette pensée. » Il inspira profondément, tentant de se raccrocher à un fil de calme, mais il sentait cette vague d’émotions le submerger. Il voulait la protéger, de tout, de ce monde qui semblait vouloir la détruire. Mais que pouvait-il faire face à ça, face à cette haine qu’elle portait en elle ?
« Dis-moi… dis-moi ce qui s’est passé. » Sa main serra un peu plus la sienne, comme une ancre, un rappel qu’il était là, même si cela lui paraissait dérisoire. « Est-ce que… est-ce que tu vas bien ? Ton frère, ton père… qu’en est-il ? » Sa voix était plus basse, presque tremblante, l’inquiétude et l’amour se mêlant en un même souffle. Il avait besoin de savoir, besoin de comprendre pour apaiser ce feu en elle. Il se sentait si désemparé de ne pas pouvoir la protéger comme il l’aurait voulu. « S’il t’est arrivé quelque chose, s’il t’a fait du mal… »
Il ferma les yeux une seconde, cherchant les mots justes dans ce chaos intérieur. « Je ne sais pas quoi faire avec cette colère en toi, Nayoung. Je… je ne veux pas que tu la laisses te dévorer. Parce que ce n’est pas toi. Tu es… tellement plus que ça. » Il baissa la tête, sa voix se brisant légèrement sous le poids de son impuissance. « J’aimerais pouvoir tout effacer pour toi, mais je ne peux pas. Je ne peux que rester là, avec toi, et espérer que tu trouveras un chemin hors de cette tempête. »
C’était tout ce qu’il pouvait faire. L’aimer en silence, comme il l’avait toujours fait.

Il veut perpétuellement s’en prendre à ceux qu’elle aime, Nayoung l’a appris depuis plus de vingt ans. Son père sait comment faire pour l’atteindre : toucher à ceux dont elle se préoccupe, encore plus s’il s’agit de ses cadets, qu’elle ne parvient plus à laisser seuls (malgré la réticence de Jiwon). Leur père s’attaque toujours à Yungjae, parce qu’il sait que son fils ne lui rendra pas les coups – contrairement à Nayoung -, trop terrorisé, effrayé à l’idée que le patriarche ne soit encore plus violent avec lui. Nayoung en a pleinement conscience. C’est pour cela, qu’elle a supplié à Yungjae de ne plus rendre visite à leur géniteur quand il le quémande dans la maison familiale à Busan, par peur de le voir une énième fois revenir avec des coups sur le visage, ou pire encore, avec un bras ou même une jambe de cassés. C’est de ma faute s’il est revenu… Yungjae m’a dit que notre père voulait qu’il vienne à Busan. Je lui ai dit de ne pas y aller et il m’a écouté. Pour la première fois Yungjae, tu te rends compte ?! Il a préféré faire ce que je lui disais, je l’ai même félicité, parce que j’étais super fière de lui. Elle s’autorise un instant à sourire, relevant la tête pour regarder son petit-ami. Mais faut croire que papa n’a pas aimé qu’un de ses autres enfants se rebelle. Alors il s’est déplacé jusqu’à Hongdae, est allé à l’appart de Yungjae, et il l’a tabassé. Il l’aurait fait à Busan aussi. Parce que leur père a toujours fonctionné de la même manière. Terriblement prévisible. Peu importe l’endroit, la haine est constante, et la violence aurait été la même. Degré d’agressivité abominable d’un patriarche trop autoritaire, ancré dans ses opinions moyenâgeuses, à ne pas avoir changé d’avis malgré les dizaines d’années passées, croyant toujours et encore que la discipline doive venir par la contrainte et les sévices. C’est pas mon sang, c’est celui de mon petit frère... Il voulait un endroit en sécurité, mais papa l’a suivi jusqu’ici. Je l’ai viré de l’appartement, je lui ai brisé le cadre sur le crâne… Fierté dissimulée par ses reniflements et les larmes salées qui viennent couler le long de ses joues empourprées de tristesse et de colère. Au fond d’elle, naît lentement l’espoir qu’elle ne réveille pas son petit frère, et qu’il n’entende pas les supplices de son aînée à bout de force, Yungjae déjà trop préoccupée par les démons qu’elle a chassé pour lui. C’est mon père le problème Hyunjae. Il vient tout gâcher à chaque fois. C’est toujours lui. Et Hyunjae sait constamment trouver les mots pour la calmer, alors Nayoung l’écoute doucement. Demoiselle à deviner qu’il se sait impuissant, à savoir qu’il veut la protéger quoi qu’il en coûte, mais qu’il ne sait pas quoi faire pour que la situation change. Elle ne lui en veut pas, jamais.

Nayoung à s’enfouir plus profondément dans ses bras qui lui apportent un flot de sérénité inouïe, elle, jusque-là sirène échouée sur le rivage du désespoir. Ce que tu peux faire c’est.. Serre-moi fort s’il te plaît. C’est tout ce dont j’ai besoin. Les mains de Nayoung remontent vivement sur le dos de son petit-ami, à chercher encore davantage la chaleur qui apaisera son âme bien en peine. Je te promets que je ne vais pas faire de bêtises… Conscience de son propre tempérament.