gunhee il a pas une histoire triste,
en tout cas pas au début. parce que ça a débuté avec l’odeur de brioche dans la maison le matin, les bisous mouillés de maman le midi, les mains de papa qui ébouriffent les cheveux le soir. parce que ça a débuté à quatre – papa, maman, les jumeaux. une famille soudée, peut-être un peu clichée ; un couple amoureux et marié, des enfants souriants et bien éduqués. sur la vieille photo de famille au fond d’une des armoires de gunhee, c’est à ça qu’ils ressemblent – à un joli petit cliché, à un truc qui aurait pas dû se briser.

gunhee il a pas une histoire triste,
mais pas vraiment drôle non plus. parce que ce cliché, il était modeste, il payait pas de mine, et il avait de stable que les apparences. ce cliché il reposait sur un équilibre un peu précaire, et que les fins de mois, elles devenaient de plus en plus complexes à gérer. les gosses ils comprenaient pas, il voyaient pas, le fil qui commençaient à s’user, et leur équilibre tendrement menacé. on fermait leurs paupières, on bouchait leurs oreilles. on leur murmurait que tout irait bien, et de dormir sans crainte jusqu’au lendemain.

gunhee il a pas une histoire hors du commun,
mais pas si banale que ça non plus. parce qu’il a fallu que tout éclate, un beau jour. parce qu’il a fallu glisser la clé sous la porte de la petite boulangerie, un beau jour. parce qu’il a fallu faire ses valises et déménager, un beau jour. parce qu’il a fallu quitter la maison pour un appartement qui semblait si petit, un beau jour. changer de quartier, changer d’école, changer d’amis, changer de vie. mais on s’y fait comme on dit, et il paraît qu’on s’adapte quand on est petit. pourtant, cette fois quelque chose était cassé, surtout chez sunhee – parce que gunhee, lui, il comprenait toujours pas, ou peut-être qu’il préférait pas, comprendre. peu importe, peu importe. quelque chose été cassé chez sunhee, et ça risquait de casser un peu gunhee aussi.

gunhee il a pas une histoire qui fait rire,
mais pas une qui fait pleurer non plus. parce que c’est l’histoire qu’on connait que trop bien, dont on connait déjà la fin. parce qu’on voit déjà le père qui passe ses journées sur le canapé, bière dans une main, télécommande dans l’autre, et sous-entendus graveleux lancés à une femme éreintée, une femme fatiguée, qui épluche ses légumes dans la cuisine comme un automate mal réglé. cette femme, sans surprise c’est maman, maman qui est la seule à travailler, mais tout ce qu’elle a trouvé c’est faire les ménages là où on veut bien l’accepter. et maman elle a des cernes, maman elle est pâle. maman elle va mal.

gunhee il a une histoire qui surprend pas tant,
mais qui suffit à attiser la pitié quand on l’entend. parce qu’irrémédiablement, le petit cliché au fond de l’armoire, c’est à ce moment-là qu’il s’est déchiré. y’a gunhee qui bouche les oreilles de sa sœur parce que y’a plus personnes d’autre pour le faire, ni père ni mère. ils sont trop occupés à crier, crier si forts qu’une fois ils ont alerté le quartier. et les voisins ils ont dit que c’était pas grave, qu’au moins il ((papa)) la tapait pas ((maman)). mais quel besoin y a-t-il à frapper une femme au bord de la rupture, déjà marquée par les brisures ?

gunhee il a pas une histoire jolie,
mais pas non plus une histoire qui terrifie. parce que tout à coup, les cris se sont tus. et ils étaient trois, dans l’appartement ténu, à retenir leur souffle comme s’ils craignaient que le calme ne soit là qu’en prévision de la tempête – qui n’est jamais revenue. et il a fallu, ressouder tout ça – maman, gunhee, sunhee. mais c’était peut-être trop tard, peut-être plus possible. parce qu’une femme fragilisée, esseulée, n’avait plus les bras assez grands pour y accueillir ses deux enfants. et c’est gunhee qui y a renoncé – à l’amour comme à ses responsabilités. c’est gunhee qui a voulu jouer à l’indépendant, qui a voulu se persuader que l’enfant qu’il était était déjà grand. c’est gunhee qui a laissé le poids et la peine sur les deux femmes de sa vie, et qui a pris l’amertume et la haine au péril de la sienne.

gunhee il a pas vécu un conte de fée,
ou plutôt il a connu le conte moderne de nos sociétés polluées. parce que maman est tombée malade, quelques séjours à l’hôpital et quelques aller-retours qu’ils pouvaient pas vraiment se payer. parce qu’il a fallu faire ses valises à nouveau, et dénicher le studio dans lequel ils vivent – parfois à deux, parfois à trois, quand maman parvient à nouveau à marcher droit. parce que c’est comme ça que ça se termine – ça se termine cassé, brisé, ça se termine sans jamais vraiment se terminer, c’est sans fin et pourtant tout semble avoir été pré-écrit, quelque part, dans un chapitre intitulé destin.

gunhee il a pas une histoire jolie,
mais pas si moche non plus. il est pas malheureux, il a des amis, il a des amours, il connait pas toujours leur nom et il s’en fiche de toute façon. il est pas malheureux, il a des passes temps et même quelques passions. il est pas malheureux, il a de quoi vivre à sa façon, de quoi apporter des couleurs aux joues de sunhee, et aux joues de maman aussi. il est pas malheureux, il mène sa petite vie de petit con sans façons, il mène sa routine indécente et brûle les étapes de sa vie à une vitesse ahurissante. c’est vrai, il travaille pas vraiment, il étudie plus vraiment. c’est vrai, il est pas sérieux, il est pas consciencieux. c’est vrai, il aurait pu faire mieux. c'est vrai.

mais gunhee il veut pas faire mieux,
parce qu’il sait que c’est moyen, que c’est pas fameux,
mais que quelque part c’est le juste milieu,
le seul angle qui leur permet de trouver l'équilibre, entre eux.

on dit que c’est un clochard parce qu’il passe son temps à squatter chez ses potes voire à dormir dehors quand il a la flemme, mais la vérité c’est qu’il a un studio un peu minable qu’il partage avec sa sœur (famille de pauvres quoi) + il rappe depuis ses quinze ans environ, et il commence juste à esquisser son nom sur la scène underground séoulite, avec son crew + son crew c’est lui, sa sœur jumelle et quelques autres bouffons de leur genre, sa famille, son tout, son squad, ceux à qui tu touches pas si tu veux pas que les autres te tombent dessus + il se nourrit exclusivement de junk food + il fait beaucoup d’urbex et passe des journées entières à explorer des bâtiments abandonnés + du coup, il connait énormément de recoins où il emmène ses potes pour se poser et chiller un max + il a toujours quelques bombes de peintures dans son sac, et là où il passe, les murs blancs trépassent (bref, il souille la ville un max à coups de tags) + depuis qu’il est tout petit, quand il fait une connerie il rejette la faute sur sa jumelle (ceci-dit elle fait pareil, et c’est sa faute, c’est elle qui a commencé ok) + pour pas finir complétement à la rue non plus, et parce qu’ils sont menacés d’expulsion, il enchaîne les petits jobs mais il finit toujours par se faire renvoyer pour une raison x ou y, mais d’une manière générale ça se résume par « je m’en foutisme » + si les profs avaient d’ailleurs pu l’écrire aussi franchement sur ses bulletins de notes, ils se seraient pas gênés eux non plus + vulgaire, il est une machine à insultes, et plus il t’insulte plus il t’aime (en tant que pote ok no homo bdp) + il est né quelques minutes avant sunhee, et pour ça il mérite le respect p a r t o ut, donc allez, à genoux + il s’était inscrit en philo à l’université un peu par dépit, mais il a laissé tomber au bout d’une année à rien glander + il fume trop, boit trop, sort trop + il a pas d’avenir, c’est écrit, enfin c’est ce qu’on dit, parce que lui il sait qu’il sera bientôt tellement famous que vous regretterez d’avoir glissé une pièce de monnaie à ses pieds de clochard + oui, parce que quitte à avoir l’air d’un clochard, il joue au clochard, donc il fait la manche et se fout bien de votre gueule + il a environ zéro once de respect, par contre il aime pas trop qu’on le respecte pas même si lui il se respecte pas, y’a que lui qui a le droit + il adore les chats, faiblesse inavouable pour pas avoir l’air d’un pd + en vrai, il insulte beaucoup ses potes de pd, mais il a déjà eu une aventure avec un mec qu’il assume pas du tout, et au fond il a plutôt kiffé (c’était lui le top qu’on se mette bien d’accord là-dessus) + il s’est sûrement fait déshérité cent fois par ses parents, c’est encore sa sœur qui va récupérer toute la thune quand ils seront morts, de toute façon ça a toujours été elle la préférée + sa sœur c’est sûrement celle qu’il insulte le plus, mais touche à un de ses cheveux et tu comprendras le sens du mot douleur + il est pas violent sinon + il a jamais eu de grande histoire d’amour, il s’est foutu de la gueule de quelques nanas, quelques nanas se sont foutues de sa gueule (plus particulièrement cette nana qui en fait n’en était pas une et qu’il a fui dès qu’il en a aperçu l’attirail)(pd), mais y’a jamais rien eu de sérieux + d’ailleurs, il est le premier à se foutre de la gueule de ses potes quand ils lui confient qu’ils sont amoureux + oui, il est encore au niveau cp + on a déjà cru que sa sœur c’était sa copine, et ils en ont déjà joué pour obtenir des réducs genre spéciales couple etc + il trouve aucun intérêt à l’automne, genre c’est moche, c’est gris, il pleut, et on peut même pas envoyer des boules de neiges pleines de cailloux dans la tronche de ses potes, à quoi ça s e r t il vous le demande + le printemps aussi, c’est genre une saison pour les faibles (en vrai il est juste allergique au pollen mais c’est suffisamment relou pour décréter que ça a pas d’intérêt) + il aime pointer des gens du doigt dans la rue juste pour les rendre parano + mais c’est bien lui la personne la plus parano du monde, regarde le de travers et il vient t’agresser + il aime aussi insulter des inconnus de façon très gratuite, surtout en leur disant qu’ils sont moches + il tape ses potes quand il voit des roux, des twingo, et des voitures jaunes ; je vous laisse imaginer le carnage si un jour il voit un roux dans une voiture jaune.

    bye (jvm)