La soirée entamée, une couronne de fleurs surplombant ses cheveux blonds et une sucette à la fraise entre ses lèvres décorées d’une légère touche de gloss. Elle réarrange sa coiffure en feuilletant sereinement le livre tenaillé par ses doigts fins – le chant d’achille, qu’elle dévore douloureusement pour la centième fois, au moins. Le calme autour d’elle est plat, l’odeur des pétales envahit ses narines de délicates et plaisantes effluves lorsqu’elle atteint enfin le point de rendez-vous, le carton-marque page enfermé entre la quatrième de couverture et l’ultime page de l’œuvre de madeline miller. Nino passe la porte en sifflotant quelque air coincé dans son esprit, prisonnier de ses pensées et titillant quelque pulsion artistique. Malheureusement, le lieu de rencontre se situant dans les ateliers et non pas au cœur d’une salle de musique, elle ne pourrait combler son besoin de faire vibrer les touches d’un piano ; pour se consoler, elle se met à fredonner en toute quiétude et l’émail d’un sourire fend son visage à l’instant où elle tire une chaise pour s’y installer, attendant patiemment l’autre partie de son rendez-vous.

Et c’est une légère pression qui endolorit ses épaules, la petite sino-coréenne peu habituée à ce genre d’activités ; plus tôt lors de l’événement, elle s’était diligemment proposée pour animer certains stands, dans l’espoir de s’acclimater petit à petit aux foules. La capitale est bien plus vive qu’elle ne s’y était attendue et, par extension, elle avait du mal à se fondre dans la masse. Pourtant ce soir, l’appréhension est presque annihilée par l’excitation certaine de faire une nouvelle rencontre – et quand le bruit familier des pas de celle qu’elle suppose être sa future partenaire de la soirée (supposition due au carton que nino entr’aperçoit dans sa main) attire son attention, l’esquisse décorant son faciès poupin s’accentue dans une torsion gracieuse. Elle se lève de son siège et range l’ouvrage dans son sac, s’inclinant légèrement face à la jolie demoiselle ; l’occasion de se faire une nouvelle amie, probablement. « bonsoir ! tu dois être la deuxième à avoir le symbole du crayon ? » en guise de preuve, elle tire du livre son propre carton, un infime rire agitant ses épaules. « je m’appelle nino. » soulagée d’avoir à faire à une demoiselle à l’apparence aussi frêle, elle remet non sans une pointe de nervosité une mèche rebelle de sa tignasse en place. « est-ce que je pourrais savoir quel âge tu as ? » curiosité mêlée à la question fatidique du respect dû aux aînées – et peut-être un moyen de s’en rapprocher, ne serait-ce qu’un peu.

Le sourire retroussant d’ores et déjà les lippes de la sino-coréennes s’accentue en reconnaissant raiponce sur le t-shirt de sun, sans qu’elle ne le commente ouvertement – plus tard, peut-être. Elle hoche la tête en apprenant le nom de la douce, dont le visage rappelle cette soirée gorgée d’émoi qu’avait organisé la présidence de leur société commune ; vingt ans, il s’agit donc de son aînée. « dix-sept ans. » elle souffle avec un peu plus de réserve, presque complexée par sa jeunesse – dans un autre pays, elle atteindrait sa majorité à noël et ne s’offusquerait pas des potentiels oublis de ses délicates connaissances. Livre serré entre ses fines phalanges, son visage s’illumine en constatant que sa partenaire connaît ; un fait bien trop rare à son humble avis.

« n’est-ce pas ! tu l’as lu en anglais, ou traduit ? j’ai tenté les deux, et je trouve sincèrement que la version originale est bien meilleure. » elle s’avance dans la pièce pour tirer deux chaises, invitant l’inconnue à s’asseoir à son tour. « tu aimes la mythologie ? » claironnante – une des rares autres personnes calée à ce sujet étant owen, ça faisait plaisir à la petite fleur de rencontrer une nouvelle férue de mythes grecs. « je suis tombée sur une auteure, récemment, qui fait des fictions basées sur la mythologie. Elle a retranscrit le couple – tragique – d’icare et d’apollon dans un monde contemporain, et je crois que c’est l’une des œuvres qui m’a le plus chamboulée. » elle laisse un rire faire vibrer ses cordes vocales, et caresse la couverture de son ouvrage, presque nostalgique. « l’histoire d’achille et patrocle est terrible, mais ce livre ne respecte pas vraiment les femmes. Enfin, déidamie n’était pas aussi horrible que madeline miller le laisse penser, haha. » personnage détestable dans le livre, elle était décrit par d’autres comme une épouse bafouée – une enfant, somme toute.

Les yeux de la plus jeune se relèvent vers son interlocutrice, brillants de curiosité. « est-ce que tu as lu d’autres retranscriptions de la guerre de troie ? » une autre pièce de théâtre, notamment, avait su rendre gloire à hélène et cassandre – pièce que nino adorerait voir jouée.