⠀⠀⠀⠀L’enfant des blés, du vent, des océans, des road-trips sableux et du beau temps. La peau satinée par le soleil, les joues pincées par le froid scandinave, les pieds noyés dans la saison des pluies sans fin. Gamin à l’éveil bercé par les flots de paroles étrangères et le tintement triomphant des verres, les caresses de sa mère et les longues histoire de son père le long des routes austères. L’enfance terrestre, l’enfance solaire. Dans le frimas des rues et des marchés clandestins, des pieds nus qui se baladent à l’aube, la beauté la plus pure et la plus sauvage. Le bruit des villes et le silence des campagnes, les couleurs de l’Afrique et la candeur des rues enneigées moscovites.

 Ta grande soeur a eu un accident. On retourne en Corée, Armel.

Il revoit encore les toits des montagnes se faufiler entre les nuages blancs derrière le hublot. Le silence bourdon de l'avion. Les larmes mouillent ses joues. Le sentiment de n’avoir aucuns repères, là-bas, en Corée, alors qu’il y est né, lui et ses parents, l’effraie encore plus que la conception soudaine de la mort. De douze ans son aînée, sa soeur lui semble être une étrangère. Les souvenirs de ses traits reposent dans les cadres de la maison, le son de sa voix dans les enregistrements vidéo, les bribes de sa personnalité dans les histoires de famille. Il ne la connaît qu’à travers les autres. L’avion plane, Armel prie pour qu’il ne s’arrête jamais.


⠀⠀⠀⠀« Les contes de mon père constellaient nos voyages, quand la Jeep foulait les terres subsahariennes. Elles m’aidaient à m’endormir, à imaginer une encore plus belle réalité que celle qu’on traversait depuis des années. Le long des arbres fruitiers, quand la nuit venait à se pointer, il racontait souvent l’histoire d’un aventurier. Sans nom, il n’était qu’un enfant sauvage que la civilisation avait rattrapé. Il n’avait connu que le froid de la hauteur des montagnes alpestres, les yeux sombres des bêtes qui l’avaient élevé, vu grandir dans une sauvage et libre nature. Mais les chasseurs finirent par brûler les terres, tuer les êtres, et envoyèrent le garçon à la ville la plus proche. L’école le mata, le formata, le lava de ses pieds terreux ; la société l’ennuyait, le révoltait, le faisait remuer. Mon père disait qu’il était aussi exotique que les mangues qu’on voyait derrière la fenêtre, suspendues aux branches des arbres. Et les choses exotiques ont la cote, tu sais, mon père disait. La popularité lui plaisait. Mais il rêvait d’aventures, d’expéditions, d’air frais. Le vent de la ville l’étouffait. Alors il s’échappa, alla se réfugier dans les bras des montagnes qu’il avait toujours aimé. Et puis dans la Jeep,  moi aussi j’en rêvais.

Bref. On n’a pas atteri dans un lit pour causer, pas vrai ? »
 

lui et ses parents ont arrêté leur cavale pour vivre deux ans à Moscou, d’où ses bases solides en russe, ainsi qu’en français, grâce à la francophonie des pays d’Afrique qu’il a traversé, et le précieux anglais appris au gré des traversées, l’accent fort qui s’est peaufiné, les mots absorbés et recyclés : autodidacte, Armel, qu’il est ≠ râleur, aussi, contre cette Corée, trop pudique, trop cachée, trop polie, ces bonnes manières et tabous qu’il aime bien faire chier ≠ corps allongé et visage doucet qui a attiré le regard des photographes, pas toujours très pros, pas toujours très bienveillants ≠ s’en fiche, tant qu’il a son argent et son bon temps ≠ couche tard matinal, toujours un tac de trucs prévus dans la journée, toujours à filer, à bouger ≠ supporte les faiblesses des autres, mais pas les siennes ≠ a bouffé du Maïakovski pendant toute son adolescence ≠ le genre d’ami qui squatte souvent, qui fout le bordel chez toi mais qui te paye des trucs pour se faire pardonner ≠ emmenez-le faire du patin, du bowling, du surf, Armel sait tout faire, sans même faire d’efforts ≠ les couleurs de ses vêtements qui contrastent avec le noir de ses cheveux, son rire enfantin avec sa bouche débordante de vulgarités ≠  barman à la chemise transparente, l’entrain derrière le comptoir, le réconfort des verres et des mots qu’il vous prépare doucement ≠ ses coups de tête, ses coups d’un soir, ses coups de poings : son carpe diem dont la Corée est le terrain ≠ son dégoût pour la bouffe grasse, mais paradoxalement, aussi pour le culte de la minceur ≠ est tombé amoureux, une fois (amertume, laissée dans l'avion) ≠ sent le gel douche au lait ≠ supporte la clope, mais qu'aux lèvres des autres ≠ rigole fort, aigu, sourit jusqu'aux dents du fond ≠ indépendant de papa et maman, vous verrez jamais armel venir leur gratter de l'argent ≠ journaliste en devenir, cliché de l'étudiant médisant sur les bords ≠ amant ou ami, chez armel, il n'y a souvent qu'un pas ≠ goût de la désobéissance, de la révolte, en cavale contre la routine, la vieillesse et le temps qui file ≠ il l'a bien cherché : sa quête de liberté lui vaut le goût de n'avoir sa place nulle part, finalement, et ça, Armel, ça le terrorise, quand il y pense trop ≠ armel, le pansement : il soigne et protège, mais s'arrache, fait mal, et laisse une cicatrice ≠ armel, il sait plus trop si les autres le divertissent, ou si c'est lui, l'amusement exotique.

reboot  :wut: