"Je m'appelle Lee Kwang Sun. J'ai seize ans. Je ne connais pas ma vraie date de naissance mais j'utilise le 10 avril 1996. Je suis sûr que mon vrai prénom est Kwang Sun et que mon nom de famille est Lee... j'ai été kidnappé il y a dix ans. Aidez-moi."

Citation :

DIX ANS PLUS TARD, UN ENFANT KIDNAPPÉ EST RETROUVÉ VIVANT

de Jeong Su Hwa

Le petit Lee Kwang Sun n'a que six ans, le 4 décembre 2004, lorsqu'un homme l'approche, à la sortie de l'école. Il lui fait croire qu'il fait partie d'une paroisse et lui demande si sa mère accepterait de faire don à l'église. Lorsque Lee accepte de se laisser raccompagner, une Buick rouge se gare devant eux et l'enfant disparait alors pendant dix ans.

Kwang Sun est le troisième enfant d'une famille de cinq. Il a trois soeurs et un frère, condamné à la peine de mort en 2010 pour le meurtre de cinq de ses collègues lors de son service militaire.

Pyong Jeon Yang a convaincu Shim Li Heo de kidnapper le jeune garçon pour pouvoir "l'élever dans une mentalité religieuse", a avoué Shim lors de son arrestation. Une fois Lee monté volontairement dans la voiture de Pyong, il conduisit alors un Lee confus dans son chalet, isolé dans une vallée quasiment inhabitée sur la côte est de la Corée du Sud. (À l'insu de Lee, la cabane de Pyong se trouvait à quelques centaines de mètres de la résidence de son grand-père maternel.) Pyong molesta Lee la première nuit. Le viol ne commença que douze jours plus tard.

Sentant soudainement un relent acide remonter dans ta gorge, tu te redresses soudainement, t'écartant de cet article maudit. Comment as-tu finis aussi distrait de ton travail initial à tel point que tu en as ressorti un vieil article de journal datant de cinq ans auparavant ? Tu n'as pas besoin de t'en souvenir via un article du journal local, tu t'en souviens parfaitement toi-même. Tu te souviens les abus, les viols, les coups. Tu te souviens de cet homme qui te forçait à l'appeler "papa", qui t'avait renommé et forcé à porter son nom de famille que chaque jour tu vomissais, espérant qu'un jour, tu oublierais ton vrai nom, ta vraie famille, cet homme qui tentait de te convaincre que faire ça à son enfant, à n'importe quel enfant, était un acte normal et toléré par Dieu. Il n'a jamais réussi à te manipuler comme il le souhaitait, tu restais hermétique à ce qu'il psalmodiait à longueur de journée. Tu n'avais pas peur de mourir, ni de souffrir. Tout ce qui te terrifiait, c'était de ne jamais revoir ta famille.

Chaque jour, dix années durant, tu as espéré, prié, pour qu'un jour, il baisse sa garde et te laisse une fenêtre d'échappatoire. Tu n'as jamais perdu espoir et c'est peut-être ce qui t'a sauvé. Ou peut-être est-ce l'avidité d'un homme à qui un seul garçon ne convenait plus. Le jour où il t'a demandé de l'aider à kidnapper un autre enfant, encore plus jeune que toi, tu as vu dans ces actions une manière de t'échapper. Tu as fait ce qu'il t'a demandé, tu as attiré ce garçon dans ses filets. Et puis, au dernier moment, tu as tout fait échoué. Tu as pris ce garçon avec toi et tu as fui jusqu'au poste de police pour l'y déposer. Tu avais peur. Tu as refusé d'entrer dans le poste, de peur qu'on t'arrête. C'est exactement ce qui s'est passé, mais tu n'as pas perdu pied. Tu leur as tout raconté, car il ne voulait que ton bien, n'est-ce pas ?

C'est pour cela qu'ils t'ont ramené à ta famille. Ils ont voulu bien faire. Ils ont voulu te ramener chez les tiens. Pour que tu retrouves une famille dans laquelle tu ne te réadapteras jamais. Tu es revenu un jeune homme mais tes parents te voyaient toujours comme un petit garçon de sept ans. Une fois passée la période où ils ont tenté de te réapprendre les bases, vos relations ont semblé s'améliorer. Mais ton père ne te regardait plus. Tout avait changé. Parfois, encore maintenant, tu te dis que tout est de ta faute. Tu ne savais pas si tu avais bien faire de rentrer chez toi. Peut-être aurait-il été plus simple si tu n'étais simplement jamais rentré ?

Tu as eu droit à un suivi psychologique que tu n'as jamais suivi. Car ton père ne jugeait pas cela utile pour toi. Tu n'en avais pas besoin, c'est ce qu'il répétait. Il avait honte. Honte de son fils. Honte de toi. On se moquait de toi à l'école car tu avais été violé et la nouvelle s'était répandue comme une trainée de poudre. Tu étais destiné à abandonner l'école et devenir un NEET.

Et pourtant.

Tu regardes autour de toi, hagard et perdu, ton regard errant sur ton bureau. Trainent un ordinateur surpuissant ouvert sur des lignes et des lignes de code, une tasse de café froid, des stylos et du papier, ton téléphone que personne n'appelle car tu n'existes pas. Tu es seul, tu l'as toujours été. Mais ces lignes de code te rappellent que des gens, quelque part dans le monde, ont besoin de toi. De tes services.

Dans les eaux obscurs du Dark Web, on te connait uniquement sous le pseudonyme de UnTrace(d)r. Indétectable, introuvable par ceux qui ne te cherchent pas, ceux qui te cherchent savent précisément ce qu'ils cherchent et comment te trouver. Les prix de tes services sont corrects, tu effectues ton travail correctement, tu n'arnaques pas. L'argent coule à flots, ça au moins, tu pourrais t'en vanter, si ton travail n'était pas illégal. Tu es un des rares hackers sérieux du Dark Web. Du très — trop — simple hacking de compte Facebook à celui d'une database d'une entreprise, tu fais de tout. Mais aucun de tes colocataires ne connait ton petit gagne-pain. Ils te pensent tous gamin solitaire et ayant peur du monde extérieur. Tu ne leur en veux pas, ils ne te veulent pas à mal. Même si tu n'en as pas l'air, tu aimes ta fraternité, tu aimes tes camarades. Tu as parfois du mal à leur parler ou à te sentir à ta place, mais ils sont pour toi comme une seconde famille.