(( tenue )) Relents familiers et foudre du passé, et c’est son cœur qui fait vibrer son épiderme de concert avec sa danse endiablée. Elle aurait pas pensé que ça la rendrait si émotionnelle de passer à nouveau les portes de cet endroit. Pas que l’université lui a particulièrement manqué en elle-même, mais c’est le parfum de ses jeunes années ne manque pas de soulever un vent nostalgique dans la poitrine de la journaliste. Bora n’a jamais pris conscience de l’insouciance qu’elles offrait avant de les voir s’éloigner. C’est pas qu’elle regrette sa vie d’avant, non, celle qu’elle mène aujourd’hui a vu apporter son lot de qualité. Mais c’est pas facile de regarder en arrière et d’imaginer que cette époque où elle était étudiante est inéluctablement révolue.  
Elle a abandonné Inseong sur le parking, lui laissant le soin de garer la voiture. La brune ne cache pas son rictus triomphal à l’idée qu’il la renjoindra bientôt. Elle a assez bataillé pour convaincre son ermite de mari de sacrifier leur dimanche en famille pour la suivre à ces retrouvailles. Elle tenait à venir, parce que y a trop de gens qu’elle a perdu de vie, que l’idée de se replonger dans ces belles années la fait frémir… puis peut-être aussi parce quelque part, elle a envie de confronter l’étudiante qu’elle était à la femme qu’elle est devenue. Fière reporter au micro acéré, mariée, mère, les yeux luisant d’une assurance qu’on ne lui connaissait pas autrefois. Elle sait où elle va, et qu’elle a réussi bien au-delà de ses espoirs à l’époque, bien loin de la gamine discrète.
C’est rayonnante qu’elle franchit les portes de la salle aménagée pour l’occasion, serrant la main minuscule d’Hajun, son deuxième fils, âgé de deux ans et demi. L’ainé des deux garçons Yoo est resté accompagner son père. La journaliste entraine avec douceur le petit garçon vers le centre de la salle lorsqu’un faciès familier attire son attention. « Yaaah. Zhang Yao ? » Lance-t-elle en s’approchant comme pour confirmer ses maigres doutes. C’est bien son frère cadet qu’elle a repéré quelques mètres sur sa gauche. « Tu viens à Séoul et tu préviens même pas ? » Râle faussement le jeune femme en enlaçant le jeune homme, avant de soulever son fils pour le mettre à hauteur de son oncle, l’incitant à saluer. « Dis bonjour Hajun-a. Comment tu vas toi ? Frère indigne. » Encore une farce du destin. Y a dix ans de ça, elle n’imaginait pas que sa mère puisse être en vie. A présent elle sait que son suicide n’était qu’un scénario, et c’est avec un certain délice qu’elle a appris l’existence de son frère et sa sœur. Aujourd’hui, si elle n’a pratiquement aucun contact avec l’ancienne maitresse de son père, elle entretient une relation sincère avec les jumeaux Zhang. « Hey Katerina ! » Elle vient d’apercevoir l’ancienne Starchild à quelques pas de là. D’un geste de la main, elle lui propose de les rejoindre, surprise de voir la jeune femme. « ça fait des lustres, j’en reviens pas qu’on soit ici. »

(( tenue )) Atmosphère saturée de parfums tendres et visions-vertiges de ce qu’était sa vie avant. Elle était là 10 ans plus tôt, un sac à dos bourrés de livre et la tête saccagée par tout un tas de doutes où s’entremêlaient quelques rêves qui ont fini par s’extirper de leur prison de ronce. Et les voilà qui aujourd’hui se confondent à sa réalité, dans le remous apaisant du quotidien qu’elle chérit tant.  

Elle avait envie d’être là aujourd’hui, de retrouver ces sensations qui ont bercés l’aube de sa vie d’adulte, et toutes les âmes qui ont vagabondés dans sa vie pendant des années. Certaines effacées depuis, d’autres poursuivant leur gravitation malgré le temps qui passe. Comme Yunpil qui s’est approché, flanqué du grand bébé que Bora avait coutume de garder à une époque où il portait encore des couches. Byul a grandi comme un indicateur du temps qui passe. Elle adresse un large sourire au trio avant que Saewon ne s’éclipse. « T’as encore grandi toi ! » l’adolescent semble boudeur. « on se demande de qui il tient cette tête de cochon hein ? » Une main taquine vient effleurer l’épaule de son ami, et elle sait pas vraiment si c’est l’atmosphère général, mais elle se sent soudain émue de les retrouver ici, eux aussi. Elle a le sentiment de comprendre tout ce que le jeune homme qu’il était à l’époque a pu endurer en élevant son fils seul dans un chambre étudiante. Y a rien dans la vie qui prépare au vertige qu’offre la perspective d’être parent.

Katerina s’est approchée, radieuse, autant que dans son souvenir en tout cas. La jeune journaliste la gratifie d’un immense sourire, surprise et ravie de retrouver la jeune femme, même si leurs relations autrefois compliquées lui font douter qu’il en soit de même pour elle. Elle n’a jamais pu se figurer ce que l’ex-starchild éprouve à son égard. Elle n’a eu que très peu de nouvelles de la rouge et n’en reste pas moins curieuse. « Qu’est-ce que tu deviens alors ? Dis moi tout ? » Y a des choses à raconter après tant d’année. Kate s’est penchée sur son fils, la mine curieuse, et Bora invite tendrement ce dernier à dire bonjour. Le garçonnet semble bien peu à l’aise, agrippé à la nuque de sa mère, les yeux vaguement inquiet. Comme si la foule autour de lui l’effrayait. « Dis lui mon coeur, comment tu t’appelles ? » à force d’insistance, le jeune yoo finit par baragouiner un « Yoo Hachunnie » de sa petite voix qui hésite.. Bora reprend de manière plus audible. « Il s’appelle Hajun, le numéro deux » Elle sonde la salle du regard, cherchant une famille ou un compagnon à Kate sans succès. « Tu es venue seule ? pas de cavalier à nous présenter ? »

Parlant de cavalier, le sien fait finalement son entrée, avec sa discrétion habituelle. A peine le temps de sentir son ombre à ses côtés que ses lèvres effleurent sa tempe, et ses longs bras enlacent sa taille comme il a l’habitude de le faire. Le rire de la journaliste s’envole avec autant de légèreté, et elle dépose brièvement ses lippes à l’aplomb de sa mâchoire. Elle chérit se tableau, cette transe bienheureuse qui, des années plus tard, ressemble encore bien trop à un rêve éternel. Et ça fait peur d’imaginer qu’elle pourrait se réveiller, et perdre tout ça. Les perdre eux. Revenir ici, c’est réaliser le chemin qu’elle a parcouru, d’où elle est partie. Ce à quoi elle ne renoncerait pour rien au monde. Elle coule un regard vers Haneul, l’ainé des fils Yoo, qui s’est déjà approché de Byul, en quête d’un compagnon de jeu qu’il espère sans doute plus réceptif que son petit frère. Inseong le met en garde de le laisser en paix, et le petit garçon revient embêter Hajun de mauvaise grâce. « Sois sage Haneul-a. » Elle sait déjà que l’avertissement est vain. Qu’importe, son regard est déjà attiré par la vue de quelques visages familier ici et là. Elle croit reconnaitre Romee à quelques pas d’ici. Plus loin, Haneul et Sae Won se sont rapprochés, et la journaliste est presque surprise de revoir la professeure. Travaille-t-elle encore ici ? Elle repère aussi Yuta, Noam et leurs frères et sœurs, et la brune se promet de venir les harceler sur leur nouvelles merveilles dès qu’elle le pourra. C’est-à-dire par dans l’immédiat, car Haneul vient de déguerpir dans un cri indien, le doudou de son frère en larme entre les mains. « Si quelqu’un demande, c’est tes fils » lance Bora en levant des yeux dépités vers son mari, soupirant lourdement.

Y a dix ans.
Elle était avide d’amour, de succès, pourrie de rêves, de caprices et d’angoisses. Y a dix ans elle était aussi maladivement heureuse, et elle le comprenait pas. Il aura fallu qu’elle voit sa sœur partir pour réaliser à quel point la vie qu’ils avaient menée jusque-là était parfaite. Et ses problèmes, dérisoires. La mort de Robyn, ça a été le premier truc vraiment irrémédiable dans son existence. Qu’elle a pas pu changer, ni vraiment surmonter. Inéluctablement, c’est à sa sœur qu’elle pense alors qu’elle patiente devant la maison, l’œil vaguement désintéressé coincé sur son frère qui fait des adieux déchirant à sa merveille. C’est pas qu’elle sent fout Ingrid, mais elle a vraiment du mal à accepter que le monde continue d’avancer aussi facilement. 10 ans après, à quelques jours à peine de l’anniversaire de l’accident qui leur a coûté leur grande sœur, cette petite poupée aux joues roses s’est brutalement invitée dans la vie de son jumeau. Et ça fait mal parce qu’elle sait que Robyn, elle l’aurait adoré, ce bébé.

Dix ans à faire du sur-place émotionnel. Tout ce qu’elle a pu essayer de se construire s’est décousu immédiatement. Comme son mariage avorté ou ses conquêtes éphémères. Sa vie sentimentale c’est un putain de fiasco, et ça serait mentir de dire que secrètement, elle jalouse pas les vrais mecs de sa vie, ses frères qui ont l’air si épanouis. Elle soupire, gérant de moins en moins son impatience. « Tu bouges Yang Noam ? Y aura plus de petits-fours si tu te dépêches pas. » Comme si ça constituait une raison valable pour se replonger dans un passé qu’elle sait pas vraiment qualifier.

On peut pas dire que ses années à la fac l’aient aidés à se construire. Son diplôme prend la poussière dans un tiroir, entre l’un des nombreux album photo disséminés dans son appartement et le vieux collier de Snow qu’elle a voulu à tout prix garder après sa mort — « et putain comment t’as pu nous lâcher sac à puce. » Elle l’aura finalement décroché son grand rôle, même si sur le moment ça ressemblait surtout à un futur navet. Drama sans budget et réalisatrice aussi débutante et paumée que l’actrice dont elle s’est entichée pour le premier rôle. Ingrid sait toujours pas par quel miracle ça a pu marcher, mais ça a fait un carton en Corée. Et au-delà d’ailleurs, si on en croit la proposition alléchante qu’elle a reçu de Los Angeles l’année suivante. C’est à partir de là que son fiancé a commencé à se désolidarisé. — « Tu croyais que j’allais m’arrêter au premier vrai rôle, rentrer sagement et te pondre des gosses jusqu’à la fin des temps ? »

C’est loin Los Angeles, même si pendant toutes ses années elle a rêvé d’y retourner. Y aura qu’un film hollywoodien, la suite c’est Ingrid qui rentre en Corée, Ingrid qui regarde son frère embrasser sa fille avec une pointe de jalousie fille – en pensant que bordel, elle l’aime déjà cette gamine, même si ça fait mal d’admettre qu’il a une nouvelle femme de sa vie. Et Kaede qui cherche Romee, et Yuta et Leo qui suivent dans un silence mal à l’aise — parce que dix ans après y a des choses qui ont pas vraiment changé. Elle s’impose à la gauche de son jumeau qui vient de repérer Elena. « Si tu veux mon avis, vue de profil, elle est même venue accompagnée. » Qu’elle soulève en haussant un sourcil dubitatif.