I
«
Quand vas-tu comprendre, Sayori ? J’en ai plus qu’assez que l’école m’appelle pour me dire que tu t’es encore battue avec tes camarades. »
Des mots incompréhensibles sortaient de sa bouche, noyés par les sanglots incontrôlables qui la secouaient depuis que son père était venu la chercher à l’école, visiblement très en colère. Essuyant la morve qui coulait de son nez du revers de la manche, la petite fille restait sur la défensive, sachant bien que son père ne comprendrait pas les raisons qui la poussaient à chaque fois à attaquer ses camarades de classe, pour se retrouver couverte d’égratignures et frôlant l’hystérie. Chaque taquinerie, chaque remarque, chaque geste de travers la mettait dans un état pareil. Ça n’était pourtant pas faute d’avoir essayé…pendant longtemps, Sayori avait essayé de se contenir, supportant brimades en tout genre, mais elle avait bien vite fait de se rendre compte qu’elle resterait un bouc émissaire si elle ne trouvait pas un moyen efficace de se faire respecter. Son âme d’enfant avait déjà compris que la vie n’était offerte qu’aux plus forts, aux plus courageux.
«
Tu vas bientôt avoir 9 ans, Sayori. Il faut que tu cesses de te comporter n’importe comment. Pourquoi n’essaies-tu pas de te faire des amis, plutôt que de toujours attaquer quiconque vient te parler ? »
«
Je ne veux pas d’eux comme amis. Papa, tu ne sais pas ce qu’ils disent, ce qu’ils font. Tu ne comprends rien du tout ! »
Qu’est-ce que papa pouvait comprendre ? Son travail ne lui permettait pas de comprendre ce que vivait sa propre fille. C’était ce que la gamine pensait, au fond d’elle, l’amertume la gagnant toujours à cette pensée. Reniflant bruyamment, la petite fille sortit précipitamment de la voiture avec pour idée de s’enfermer dans sa chambre. Papa la retint par les épaules et l’emmena dans le salon pour soigner ses blessures. Apeurée, Sayori se détendit en remarquant que son père n’a plus son visage colérique. Il parait moins effrayant, mais porte une expression dont la petite ne pourrait donner de mots.
«
Est-ce qu’ils sont méchants avec toi ? » Finit-il par demander, n’ayant pas vraiment besoin de réponses. Sa fille n’était pas violente de nature, et loin d’être tyrannique, contrairement à ce que l’école disait. Appliquant du désinfectant sur la joue griffée de la petite qui geignait de douleur, le policier songeait que sa fille n’était plus une enfant depuis bien longtemps déjà. Cela ne faisait que l’attrister. Grandir trop vite n’était jamais une bonne chose.
«
Lève-toi. » finit-il par ordonner, faisant sursauter Sayori qui se leva d’un bond du divan, regardant son père de ses grands yeux noirs. Il la positionna de biais, une jambe en arrière, les poings relevés au niveau du visage. «
Si tu te tiens comme ça, tu recevras moins de coups. Sayori, promets-moi qu’à partir d’aujourd’hui, tu n’utiliseras la force qu’en dernier recours. Par contre, tu as le droit de te protéger si quelqu’un te veut du mal. Est-ce que tu comprends la différence ? Si tu me le promets, je veux bien t’enseigner quelques arts martiaux. »
«
C’est promis !! »
Et à partir de ce jour-là, Sayori cessa de s’acharner sur ses camarades, se contentant de les repousser et d’éviter leurs coups, ayant trouvé une nouvelle passion, celle des arts martiaux.
II Who wants to sleep in the city that never wakes up?
Contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer, je n’ai jamais aimé me battre. Bien sûr, c’est très difficile de me croire avec cette réputation qui me suit partout depuis mes 13 ans. Vous savez comment c’est. A envoyer valser quelqu’un, qui va se plaindre à quelqu’un d’autre qui viendra chercher vengeance et ainsi de suite…. Et pourtant, je n’ai jamais engendré ces batailles. Je me contente simplement de me protéger, utilisant les techniques que mon père et mes cours de self-défense m’ont appris. Se défendre n’est pas un crime, après tout. Je dois être maudite, au fond, pour m’attirer des ennuis si facilement. J’admets ne pas être la fille la plus abordable qu’il soit, mais je n’ai jamais demandé tout ça. Je n’ai jamais demandé à ce que ces gars me suivent en ville et m’encerclent, pour s’amuser à me faire peur et me cracher des insultes au visage. Heureusement, ce genre de choses arrivent de moins en moins, depuis que je suis devenue jolie. La plupart des garçons cherchent avant tout à me draguer, ce qui me répugne sachant que quelques années plus tôt, je recevais des coups de ces mêmes personnes. Mais peut-être suis-je trop rancunière ? «
Tu crains tellement que même ta mère t’as abandonnée petite p*te » Non, ça me répugne et me répugnera toujours. Définitivement. Déglutissant avec difficulté, je me retiens de toutes mes forces de ne pas frapper l’enfoiré qui a osé prononcer ces paroles si blessantes. Oui, ma mère nous a abandonné moi et mon père, et je vis au quotidien le regard apitoyé de mon entourage, ainsi que les moqueries. Analysant les alentours, je cherche un moyen de m’échapper. J’ai beau me défendre assez bien, je suis toute seule contre cinq garçons de carrure plutôt imposante. Mon père n’aimerait pas que je me mette en danger, malgré les paroles horribles que ces types ont osé dire. «
Tu as perdu ta langue ma mignonne ? On dirait que ça va être plus facile que prévu. » Bien évidemment, qui sont ces types pour ne pas vouloir s’en prendre à la fille d’un policier ? Je l’accueille d’un sombre «
La ferme, ordure. » Cette provocation est tout à fait volontaire : il me suffit de mettre à terre ce type pour pouvoir m’échapper. Ce n’est pas des poids lourds comme eux qui réussiront à rattraper une fille aussi athlétique que moi. Pas que je m’en vante, mais j’ai déjà tellement vécu ce genre de situation que j’ai fini par prendre confiance en mon talent pour prendre la fuite.
Mais soudain, une petite silhouette apparut au fond de la rue, criant de toutes ses forces. «
Arrêtez ça ! J’ai appelé la police bande de voyous ! Qui êtes-vous pour vous en prendre à une jeune fille sans défense ?!» Profitant de la surprise du gang pour envoyer mon pied dans les côtes de mon assaillant, je me fraie un chemin pour m’échapper en toute finesse mais l’un des garçons me rattrape par le bras, m’envoyant contre le mur de toutes ses forces. Je grogne sous la douleur, remarquant avec impuissance que les menaces de la jeune fille ne les avaient pas effrayés et qu’ils en avaient profité pour la trainer dans la ruelle, ronronnant des paroles salaces. S’il y a bien quelque chose que je ne supporte pas, c’est de voir quelqu’un en danger…et de voir quelqu’un se mettre en danger pour ma cause me semble encore plus inimaginable et gênant. Me redressant, je lance mon regard le plus venimeux à ces gars qui se contentent de rire comme des biens heureux. «
Vous lui faites quelque chose, vous êtes morts ! Elle n’a rien à voir avec ça. » je crie, mais ils n’écoutent pas. Au moins, leur attention est centrée sur moi le temps de quelques secondes, quelques secondes suffisantes pour que la petite demoiselle s’empare d’un tazer et ne s’en serve sur l’un des hommes. Cette fois-ci, j’envoie mon poing de toutes mes forces dans l’estomac de celui qui me retient et parvient à esquiver de justesse les attaques des trois restants, préférant plutôt attraper la main de la fille et de me mettre à courir de toutes mes forces jusqu’à ce qu’on se retrouve assez loin pour qu’ils aient abandonné l’idée de nous poursuivre. «
Comment peux-tu faire quelque chose d’aussi stupide ! » Je m’exclame à l’inconnue qui est fort essoufflée, respirant difficilement. Je prends le temps de l’observer un peu plus. Elle a de courts cheveux bruns et des grands yeux noirs. Malgré sa très petite taille, on doit probablement avoir presque le même âge. Amusée par mon sermon, la demoiselle hausse les épaules et esquisse un sourire. «
Le plus important, c’est qu’on s’en soit sortie non ? Je n’ose même pas imaginer ce qui se serait passé si je n’étais pas intervenue…tu devrais me remercier, non ? » Je n’en croyais pas mes oreilles. «
Ça t’arrive souvent de risquer ta propre vie pour sauver des inconnus ? Tu devrais pas faire ça…je veux dire ça me rend heureuse, mais si ça s’était mal passé et qu’ils t’avaient fait quelque chose, j’aurais jamais pu me le pardonner. » Elle me regarde avec un air perplexe qui me fait détourner le regard. Je n’ai jamais été très douée avec les gens. Je n’avais pas vraiment d’amies à proprement parler. Qui voudrait rester avec quelqu’un comme moi ? C’est ce que je pensais jusqu’ à ce que cette fille ne risque sa vie pour me sauver. «
Dis, c’est quoi ton nom ? » se contenta-t-elle de demander, comme si on n’avait pas manqué de mourir à l’instant même. «
Sayori… » «
moi c’est Ayumi. Soyons amies ! » Cette fois-ci, c’est à mon tour de la dévisager. Cette Ayumi débarqua dans ma vie sans prévenir, et étrangement, peu de temps après sa rencontre, ma vie se calma considérablement, et je pus finalement vivre paisiblement et heureuse, en compagnie de ma toute première et unique amie. L’année de mes 16 ans s’acheva en douceur, me faisant oublier ma solitude, la laissant de côté, jusqu’au jour où ça sera à son tour de débarquer dans ma vie sans prévenir.
III Yeah, I'm free
From your inciting
You can't brainwash me
4 ans ont passé si rapidement. C’est comme si le temps filait entre mes doigts, aussi éphémère que les premières neiges. J’étais heureuse et je vivais une vie tout à fait banale, à m’amuser, à étudier, à profiter de la vie, tout simplement. Je n’étais plus aussi réticente suite à la rencontre de Ayumi, comme si elle avait réveillé quelque chose en moi. Le seul souci fut le maigre soutien familial auquel je faisais face. Mon père, trop souvent absent, était presque devenu un inconnu à mes yeux. Mais je ne lui en voulais pas pour ça, et lui sautait au cou à chaque fois qu’il rentrait à la maison.
5 ans ont passé, et me voilà âgée de vingt ans. Je me sens étrangement nostalgique. Le temps passe si vite, et je n’ai pas encore eu réussi à vivre pour de vrai. Je me demande si j’en serai capable un jour. «
Encore en train de rêvasser ? » Je sursaute, mon amie ayant eu la bonne idée de me pincer les côtes. «
Tu peux parler. » Je lui réponds avec un sourire malicieux, m’étirant avant de reprendre la marche. « T
’as l’air triste. Ton père est chez toi pourtant. » Je souris faiblement. « J
e ne suis pas triste, juste…j’me disais juste que le temps passait vite. » Ayumi pouffe de rire tandis que mes joues virent au cramoisi et que je presse le pas. «
J’espère qu’il va bien, il a même pas le temps de dormir ces derniers temps. Vivement qu’il attrape les ordures qui ont fait ça et qu’il prenne des congés. » Ayumi hoche de la tête, son expression s’assombrissant considérablement. «
Oui…ce gang fait vraiment beaucoup parler de lui en ce moment. » Je soupire, fourrant mes mains dans les poches de ma veste. Nous continuons de marcher en silence, jusqu’à ce que Ayumi ne me souhaite une bonne soirée et s’en aille pour rentrer chez elle. Je continue alors mon chemin jusqu’à la maison, le ciel commençant à s’assombrir, l’air électrique.
« J
e suis rentrée, papa ! » Je m’exclame, surprise de ne pas entendre le son de la télévision ou la voix de mon père. Retirant mes chaussures, j’entre dans la maison, longeant le couloir, une étrange sensation me montant à la gorge. «
Papa ? » J’entre dans le salon. Et ce que je vois me pétrifie sur place. Mon père, par terre, une flaque de sang sous lui, le parquet s’imprégnant du liquide foncé. Les yeux encore ouverts, mais sans vie, le corps immobile, l’odeur de mort m’entourant, m’asphyxiant. Je ne peux plus respirer, je ne peux pas croire ce que je vois. Je me laisse tomber par terre. Tout tourne mais je me rapproche du corps de mon père et le secoue désespérément. «
Il est mort, gamine. Ça sert à rien. » Une voix grave résonne dans mes oreilles et je lève difficilement les yeux pour tomber nez à nez avec un homme qui ne devait pas dépasser la trentaine d’année, un couteau ensanglanté dans les mains. «
Je t’attendais, Ito. Je ne savais pas que ton père avait une gamine, aussi mignonne que toi en plus. Cette photo dans ta chambre est vraiment très touchante. » Lentement, je me redresse, mais je retombe sous mon propre poids, mes jambes tremblants. «
Tu l’as tué ! Tu as tué mon père » je crie, la colère m’envahissant. L’homme ne répond rien, paraissant agacé par mes pleurs. «
Quand on est un bon policier, on sait que fourrer son nez dans ce genre d’affaire n’est pas très recommandé. » Il dit ça comme si c’était mon père le fautif dans l’histoire. S’avançant finalement vers moi, il glisse une main en dessous de mon menton pour me forcer à le regarder. «
Tu vas nous rapporter gros. Je suis sûr que tu aimeras ta nouvelle vie, et tu n’as pas à t’inquiéter ; personne ne te fera de mal si tu es bien obéissante. » à ces mots, je me réveille de mon apathie, envoyant un coup de poing dans le visage bien trop proche de ce monstre. Il jure et me frappe de toutes ses forces dans l’estomac. Ne pouvant supporter la douleur, je me recroqueville, gémissant, mais le regard toujours fixé sur lui. «
Je ne voulais vraiment pas en arriver là, mais tu ne me laisses pas le choix, princesse. » Il sort de sa veste un mouchoir et l’imbibe d’un produit contenu dans un petit flacon, me le faisant respirer de force sans que je ne puisse m’échapper. Je me sens soudainement lourde et fatiguée, et perd connaissance aussitôt.
IV She don't care that what she does has an effect on you
She's got freedom in the 21st century
Une vive douleur au crâne me sort de mon sommeil, immédiatement suivie par mon estomac tout aussi douloureux. Mes pensées sont floues. Où suis-je ? Un endroit sombre, comme sous terre. J’essaie de bouger mais je n’y arrive pas, comme si mes membres étaient engourdis. Soudain, les évènements me reviennent à l’esprit et les larmes coulent instantanément. Mon père est mort. J’ai dû être kidnappée par le gang le plus dangereux de Tokyo. Et maintenant, qu’est-ce que je suis censée faire ? Je ne sais même pas si j’ai encore la force de vivre. Je suis seule à présent. Complètement seule. Une voix me sort de mes pensées morbides. «
Yo miss, tu t’es enfin réveillée. » C’est le même homme que celui que j’ai vu chez moi. C’est cet homme qui a tué mon père. «
Tu dois avoir beaucoup de questions à me poser. Même si j’imagine que discuter avec celui qui a tué ton père ne doit pas beaucoup te ravir. » J’ose un sourire cynique, et me recule pour me retrouver contre un mur glacé, tandis que l’inconnu s’installe en face de moi. Je remarque que rien ne me retient prisonnière dans cette pièce. Je ne suis ni attachée, ni surveillée. Je ne suis pas un otage ? Ou alors il doit penser que je n’ai aucune chance de m’évader dans tous les cas. «
Qu’est-ce que vous me voulez ? » Je demande avec dégoût, effrayée avant même qu’il ne me donne sa réponse. «
Que tu rejoignes notre gang. T’es la fille du flic le plus reconnu du japon, et j’ai pris la peine de lire ton dossier. On dirait bien que tu vas nous être utile. Et contrairement à ton père, tu ne finiras pas égorgée comme un cochon, je te le promets. » Mais comment peut-il seulement s’imaginer que j’accepte ? Je lâche un rire nerveux. Ce type est complètement malade. « Et si je refuse ? » je demande, retenant ma voix de trembler. «
…Eh bien, on ne peut laisser personne sortir d’ici après avoir vu nos visages. Je suppose que je vais devoir me débarrasser de toi si tu refuses. Mais comme te tuer ne m’intéresse pas, tu me tiendras compagnie, jusqu’à ce que tu acceptes de nous aider. » La nausée me monte à la gorge. C’est ainsi que je fus forcée de rejoindre leur groupe, quand bien même réticente, je les envoyais sur de fausses pistes et l’homme ne se privait pas de me « punir » pour ça. Il n’a jamais dit son nom. Les jours passèrent et je cherchais inlassablement un moyen de m’échapper, priant pour que la police me retrouve. Je savais qu’ils me retrouveraient coûte que coûte. J’espérais juste que ce soit avant que quelqu’un chose d’horrible ne m’arrive. Mon instinct de survie prit le dessus sur ma tristesse et plus les jours passaient, plus je souhaitais m’en sortir et vivre, pour venger mon père et le rendre fier. Oui, un jour, ces gens seront punis de leurs crimes. C’est après une semaine que la police trouva finalement leur planque et que je pus finalement m’enfuir, ou du moins essayer. Je reçus une balle dans l’épaule et m’évanouis presque aussitôt, pour me réveiller à l’hôpital, entourée des collègues de mon père qui m’aidèrent à surmonter tout ça. Ils m’expliquèrent une fois mon état stabilisé que le leader et certains des membres étaient encore en fuite et que j’allais devoir me montrer très prudente jusqu’à ce qu’ils ne les attrapent. Ils me proposèrent de changer de pays pendant plusieurs mois, voyant cela comme une bonne opportunité et une façon de me reconstruire, et surtout, de me garder en sécurité, une équipe de police amie pouvant s’assurer de ma sécurité là-bas. En Corée du Sud. Après mûres réflexions, j’acceptai. Je n’avais pas vraiment le choix, en fait. Rester ici voulait dire être privée de mouvements. Je leur avais demandé de les rejoindre dans la police, que je connaissais des choses, que je pouvais leur être utile même sur le terrain, mais ils refusèrent, me conseillant de vivre une vie tranquille, que c’était ce que mon père avait toujours souhaité. Mais j’ai besoin de ça pour garder l’envie de vivre. Alors je m’inscris dans un cursus adapté et vola jusqu’en Corée du Sud, où j’eus bien de mal à apprendre leur langue et coutume. Un an s’est déroulé depuis tout ça, mais la douleur reste gravée en moi à tout jamais, et si ce n’est pour mon but, je ne trouve aucun plaisir à vivre. Mais qui sait, peut-être que les choses changeront et que je serai capable de vivre une vie normale et d’être heureuse, comme ce que mon père a toujours souhaité ?