En général, les parents ne laissent pas leurs enfants s'aventurer dans les forêts (y compris celles non-loin de Séoul). C'est compréhensible, parce qu'on y trouve des trucs peu rassurants ; des drogués, des prostituées, des gens qui enterrent des cadavres. Et surtout, surtout, des gens chelou qui y vivent. Comme Soojung.

Soojung n'est pas juste née dans la forêt pendant un pique-nique parti en vrille, non. Il est vrai que sa mère mangeait littéralement un hot dog quand elle l'a mise au monde, mais c'était délibéré. Sa mère savait qu'elle allait venir, ainsi elle s'était mise à l'aise dans sa petite cabane, installée sur un tapis persan et entourée de cristaux préalablement chargés pour s'assurer que tout allait bien se passer. C'était une femme simple, adepte de médecine traditionnelle, de magie blanche et de l'énergie de la nature, alors elle n'avait besoin de personne ; ni de sage femmes, ni d'infirmières, ni de son mari qui l'avait abandonnée quand Soojung n'était qu'un bourgeon.

Pendant des années, elle et sa fille se sont suffi. Soojung n'a pas eu beaucoup de contact avec le monde extérieur, elle a été scolarisée à domicile lors de ses premières années avant de finalement rejoindre les gamins de son âge. Elle était cette enfant bizarre, trop déconnectée de la réalité, trop dans son monde. À tel point que les railleries lui passaient complètement par-dessus la tête et qu'elle ne faisait qu'y rire avant de répondre très sérieusement en niant, comme si on lui apportait une information erronée et non une moquerie censée faire mal. Naïve et innocente, sa mère l'avait couvée et ne lui avait inculqué que les bonnes valeurs, mais elle n'avait pas non plus hésité à la mettre en garde contre les gens, répétant qu'ils ne les comprendraient – et, par conséquent, ne les accepteraient jamais.  Elle était bien placée pour savoir, en tant que mère célibataire.

C'est donc sans doute la naïveté de Soojung qui l'a protégée. Elle ne réalisait pas vraiment qu'on se moquait d'elle et, quand elle l'a compris, il était trop tard ; elle s'en fichait déjà. Elle suivait son propre chemin –  qui ressemblait beaucoup à celui de sa mère, vivait sa vie comme elle le voulait et approuvait les rumeurs murmurées dans son dos, allant souvent jusqu'à les alimenter elle-même. Plus rien ne l'atteignait, la présence de sa mère lui avait insufflé ses forces. Alors pour rétablir l'équilibre, il était tout à fait normal que l'absence de son père lui octroie sa faiblesse. Parce que ça n'était malheureusement pas une absence totale, qu'elle aurait sans doute préférée aux réapparitions incessantes, espoirs d'avoir enfin la famille complète dont elle rêvait et le père dont elle avait besoin constamment brisés. Il avait à tendance à revenir et lui faire vivre des moments qui la faisaient rêver, avant de repartir en prétextant le travail. Sans doute vers une autre femme, une autre famille. Une autre vie qui ne les incluait pas.

Sa mère, elle, avait l'habitude. Elle n'avait pas la naïveté d'une enfant qui voyait la perfection en ses parents et s'attendait toujours au meilleur de leur part. Alors l'abandon ne lui faisait pas peur. Et quand Soojung a eu l'âge de passer à l'étape suivante de sa vie, elle n'a pas hésité à l'encourager à suivre son rêve, même si cela voulait dire la laisser toute seule dans leur cabane. La demoiselle a pris son envol, s'accoutumant à la ville sans trop de difficultés. Poursuivant toujours ses études en criminologie à la SNU, elle rentre souvent visiter sa maman dans la forêt, et elle en profite toujours pour faire courir des rumeurs que c'est pour y cacher un cadavre.