« Hé, file-moi ton goûter bécasse. » Une quotidien, la phrase typique qui représente à la perfection les après-midi ténébreux de la jeune fille. Assise sur un banc, seule, à contempler la cour de récréation qui se remplit de plus en plus de parents venus assister à un spectacle stupide organisé par son école. Yuna elle ne voulait pas y participer, pas tant que sa mère ne viendrait pas. Elle le savait pourtant, sa mère n'avait pas le temps pour ça. Elle était découragée de tout, sa mère. Son frère lui, est trop occupé à avaler des pilules blanches pour guérir, guérir de sa maladie dont Yuna est l'ennemie jurée. Son paternel lui, il doit sûrement se trouver dans les bras de sa femme, une femme qui a tout gâché, qui a bousculé le nuage de Yuna. Elle regarde, elle soupire, puis elle regrette ses derniers biscuits au caramel qu'elle a dû abandonner auprès d'un garçon de sa classe. Elle n'a pas vraiment d'amis, la primaire c'est difficile et elle est obligée de se concentrer sur son travail, à défaut de redoubler. Dans quelques mois, elle rentre chez les plus grands. Le professeur leur donne beaucoup trop de devoirs, elle triche mais elle ne le dit à personne, sauf son jumeau. Elle est proche de lui, même un peu trop. Il passe souvent à l'hôpital, Yuna a peur de le perdre.

Yuna elle est assise sur son lit, cette fois. Elle essaye de retenir une fichue poésie, ça la hante et elle n'y arrive pas. Elle possède un téléphone fixe, il est posé sur la commode près de son lit. Elle ne l'utilise jamais, ça ne l'intéresse pas en fait. Sa mère est partie au marché - comme d'habitude, et son frère doit dormir à cette heure-ci... Il est presque vingt heures, mais Yuna ne dort jamais très tôt. Yuna est coupée dans ses récits, par une sonnerie. C'est la première fois que le téléphone qu'elle possède sonne, elle a peur et se demande qui est-ce. Elle se lève et s'approche de l'appareil, elle le prend et décroche, inconsciemment. « A-Allô...? » Un blanc, un vide. Elle attend et s'apprête à décrocher. Une voix se fait entendre, une voix masculine. Elle n'est pas si grave, elle a l'impression que cette voix lui est familière ; mais pas tant que ça. Elle avale sa salive, et le laisse continuer à parler. « Salut... Désolée d'appeler, je m'ennuyais et... j'ai vu ton nom dans les "Z", dans un espèce de livre de numéros de téléphone. » Et puis, ça commence ici, et ça finit là-bas.

Yuna, elle est assise par terre, dans sa chambre, le dos plaqué contre la porte. Elle raconte ses dernières aventures, ses derniers achats, ses derniers devoirs, son dernier repas... Tout ça, elle les récite à son meilleur ami. Elle lui a appris à mieux parler Chinois. Yuna rêverait de le voir en vrai, d'ébouriffer sa chevelure, échanger quelques paroles, se promener au bord de la mer et s'amuser, s'amuser comme des enfants normaux. Eux, ils communiquent par téléphone, seulement à l'aide d'une voix qui intrigue fâcheusement Yuna. Lui, il ne peut pas téléphoner tout le temps. Yuna sait qu'il n'est pas d'ici, et qu'il a une famille nombreuse, il n'est pas des plus riches et luxueux de la ville, et n'est pas vraiment libre à cause des tâches ménagères qui lui sont données chez lui. Il a quelques années de plus que Yuna, mais elle s'en fiche. C'est le seul garçon - hormis son frère - à qui elle donnerait sa confiance, le seul auquel elle peut tout dire, tout partager. Elle aimerait savoir où est-ce qu'il habite, son nom de famille... Et même ceux de ses frères et soeurs ! Mais elle ne peut pas, il ne veut pas. Elle continue pourtant de communiquer avec lui, à l'aide d'un appareil, c'est son seul ami. La tête plongée dans ses cahiers, c'est ce qui la libère un peu de tout ça.

Yuna, elle est allongée sur l'herbe froide et humide d'un parc, elle réfléchit et pense. Elle a grandi, bientôt quinze ans et toujours première de sa classe. Une mère anciennement idole de Pop Coréenne, elle l'a apprit il y a quelques années. Puis son frère, toujours malade, mais à ses yeux il va mieux et elle l'aime. Elle essaye de sociabiliser avec les autres, ça marche. Elle a un peu délaissé son téléphone, elle n'en a plus. Elle sort, comme toute autre fille de son âge, elle rigole, elle s'amuse, elle parle de maquillages mais... pas de garçons. Elle déteste ça, ça lui fait vaguement rappeler son ami vocal, qu'elle a lâchement abandonné, en ne donnant plus aucune nouvelle de sa part. Yuna s'est mise à la gymnastique, et au karaté également. Ces activités lui plaisent, ça lui correspond et ça la détend. Son père, toujours autant inexistant aux yeux de Yuna, dans l'oubli total. Elle reste toujours en compagnie de son jumeau, elle n'aime pas le laisser seul trop longtemps. Elle s'en occupe, comme si c'était son petit frère, comme si elle était l'héroïne de sa vie, celle qui pouvait faire disparaître toutes ses contraintes. Son espoir.

Yuna, elle a changé... enfin presque. Elle s'avance dans les couloirs de son école, en direction pour le prochain cours de sciences. On la bouscule, on l'ignore, on l'aime pas. C'est vrai qu'en ce moment, personne ne l'apprécie, personne ne la trouve des plus angéliques. Elle ne connaît pas la raison de tout ce cirque, de tout cet affolement sur elle. Mais ce qu'elle sait c'est que quand elle ouvrira son casier, une surprise des plus déplaisantes s'y trouvera à l'intérieur. Peut-être est-ce parce qu'elle a mangé le dernier gâteau au chocolat, à la cafétéria? Sûrement. Yuna elle se trouve en Corée du Sud, impressionnant non? Elle découvre un autre univers, une nouvelle ère qui commence pour la jeune lycéenne. Sa mère travaille tout le temps, c'est d'ailleurs la raison de leur emménagement ici avec la tumeur de son jumeau. Et puis, à chaque fois qu'elle voit un téléphone, la première chose qui lui vient en tête c'est "distance" et "oubli". Elle s'en veut mais ça ne se voit pas, elle laisse cette histoire de côté et passe à autre chose. Enfin, elle essaye.


2013 // Cher journal, ceci est mon premier écrit sur une de tes pages blanches. Je m'appelle Yuna, j'ai presque onze ans, je vis en Chine. Je possède un frère jumeau nommé Yao, je l'aime beaucoup, c'est le garçon le plus important dans ma vie. Ma mère est divorcée d'un homme qui est parti quelque temps après notre naissance pour se marier à une autre. Il paraît que nous aurions pu avoir une grande soeur, mais seulement elle n'a pas pu naître. J'aime beaucoup le jaune, les paillettes, m'amuser, coudre... et pleins d'autres choses ! Hum, j'étudie beaucoup en ce moment. Enfin à moitié, c'est vrai que les techniques de triches qu'un lycéen m'a apprises m'aident énormément ! Sans ça, je présume que je serais encore en train de recevoir des 0/20 à chaque bulletin... Je regarde beaucoup de films à l'eau de rose, même si c'est dégoûtant quand même... Mais ça, ce n'est pas grave, parce que ce qui m'intéresse dedans, ce sont juste voir pleurer les filles quand les garçons les quittes ! Sinon, le moment où ils se remettent ensemble, c'est trop nul. Donc voilà, je pense que tu en sais beaucoup plus sur moi... Enfin je l'espère.

2016 // Hey journal... Je suppose que ça fait un bail toi et moi. Trois ans et demi haha. J'ai quatorze ans, maintenant. Je les ai fêtés il y a presque trois jours seulement. Oui, aujourd'hui c'est la veille de Noël, mais je ne le fête pas vraiment. On n'a pas le temps pour ça, nous. Maman travaille encore alors qu'il est presque minuit, et Yao est dans sa chambre. Je devrais aller le voir, mais je pense que je vais lui laisser un peu de temps à lui seul. Je ne le lâche jamais d'une semelle, à mon avis il doit étouffer avec mon étreinte ! Mais bon. Je t'ai retrouvé dans mon coffre-fort, celui que je n'ai jamais eu l'occasion de rouvrir depuis deux mille treize du coup... J'ai lu les lignes que j'ai écrites et ça m'a fait plutôt rire, mais je n'ai pas tellement évolué, malheureusement. Eh bien, maintenant j'aime manger, j'aime me coucher tard, j'aime câliner mon frère, j'aime imiter des stars, j'aime les films d'horreur aussi, et j'aime également la France ! Oh, il y a tellement de choses que j'aimerais avoir, maintenant ! Une nouvelle télé, un nouveau lit, un mini frigo, un vélo... et j'en passe. Mais ma mère ne veut pas user son argent pour des "inutilités" pareilles. Bon bah, voilà journal. Je suis heureuse d'avoir pu à nouveau t'écrire !

2018 // Oh, journal ! Cela fait bien deux ans, non? Haha je t'ai manquée? Je pense ouais ! Bon, j'ai à nouveau relu les deux précédentes pages, mon Dieu que c'est nostalgique. Tu sais, à présent je me trouve à Séoul ! Mon lycée est un peu bizarre, on m'agresse de partout juste parce que j'ai peut-être mangé la dernière pâtisserie de tous les temps... Mais bref, je m'en fiche un peu tant que j'ai mon petit frère... Euh, pardon, frère jumeau. Yao il est trop choupinou avec ses taches de rousseurs naturelles - que je n'ai pas d'ailleurs. Il va mieux, je crois. On s'amuse tellement tous les deux, je continue encore de le coller partout mais ça va, je pense que ça ne lui dérange pas et il est forcément habitué depuis ! Je ne sais pas trop quoi te dire, je voulais juste faire un petit coucou rapide avant de retourner à l'école, oh d'ailleurs j'ai Mathématiques... la malchance... Je déteste ça ! Ma matière préférée c'est l'Art plastique ! Qu'est-ce que je donnerais pour qu'il y est ce cours aujourd'hui. Bref, bisou journal adoré !