Elle arrive très attendue – mais ils arrivent tous très attendus. Tous, ceux d’avant, ceux d’avant avant ; ceux d’après, aussi, qu’en sait-elle. Tous liés de sang, tous liés d’un seul et simple nom : Sin. Traduit dieu, divin. L’ironie. Ils n’ont rien de divin pourtant – l’empire qu’ils se plaisent tous à gouverner n’est pas le leur, leur réputation, leur vies. A quoi bon se tenir si crâne ?

« Tu es l’héritière Sin. »
Une inhalation, agacée. « M’ouais. Toi aussi tu l’étais, autrefois. »

C’est un concept qui la dérange, Gaeul. De l’orgueil dissimulé et de la fierté injustifiée, puisque le trois quart des gens qu’elle connaît de cette famille n’ont rien foutu de leurs vies. Elle, elle ne veut pas faire perdurer le rêve d’un autre, elle veut plutôt réaliser le sien. Elle se demande, c’est quand qu’ils l’ont perdu, le sens de l’ambition, dans cette famille ? Et c’est injuste pour ceux qui essayent. Les autres, ceux qui portent pas leur nom. Les infortunés qui tueraient pour avoir les ressources qu’ils ont pour donner sens à leurs vies.

« Tu m’écoutes ? »

« Mm.. non, » répond-t-elle, sourire aux lèvres. Elle se redresse un peu, croise les jambes pour y poser son livre. Elle tourne une page, inscrit chaque mot dans sa mémoire.

« C’est quand que tu es devenue aussi insolente ? » L’aînée réprimande, à son tour occupée à regarder la télé. Elle n’a pas l’air irritée, plutôt taquine. « Je dis juste que tu n’as pas besoin de lire un guide pratique pour chirurgie parodontale. Tu es déjà l’héritière Sin. »

« Haha, très drôle Ma’, » Gaeul lui donne la satisfaction de la voir lever la tête, rouler les yeux, puis reprendre sa lecture. Elle sait, mieux que tout le monde, à quel point elle déteste ce titre. « Et c’est pour un parie que j’ai fait avec un étudiant en chir-dent, le livre. » Elle lui a dit qu’elle apprendrait le livre par cœur et il a cru qu’elle bluffait.

Un rire échappe à la grand-mère. « Et c’est quand que tu comptes dire à tes parents, pour ton ‘don’ ? »

Un petit hum, puis, « how about, jamais ? » Satisfaite de son progrès, Gaeul ferme son livre et le pose sur le chevet à côté du lit. Elle se tourne pour s’allonger, sa tête sur les hanches de sa parente. « Dis. T’as toujours voulu travailler dans ce business ? Tu n’as jamais eu envie de… faire autre chose ? »

« Et bien, pour être honnête, non, » répond-t-elle, amusée de voir les sourcils de sa petite fille se froncer tantôt ces paroles dits. Elle ramène une main contre sa joue, caresses qu’elle espère consoler. « Je comprends que ça t’effraye. J’ai déjà été à ta place. On a tous eu nos moments de doute, tout comme toi. » Raffermit-elle, patiente. « Tu dois juste… garder en tête que c’est toi qui définies l’extraordinaire. Et quoi qu’il en soit, tu n’es pas seule. C’est aussi ça, d’avoir une famille aussi grande que la nôtre. Cet héritage n’est pas une punition. »

Gaeul grogne son désaccord. « Pas si je finis dans un bureau. »

« On peut faire de merveilleuse choses, depuis un bureau. Crois-moi. » Une pause. « Et tu peux toujours faire autre chose. Tu dois juste trouver comment le faire sans fuir ton devoir. »

Ton devoir. La jeune fille résiste à l’envie d’en rire un bon coup. C’est pas son genre, d’éviter ses responsabilités – ça ne lui donne juste pas envie. Elle ferme les paupières, plus trop partante pour en parler.

Tu es l’héritière Sin, comme beaucoup l’ont été autrefois.
Ordinaire.

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Il y a deux, trois dossiers qui traînent sur son bureau. Elle les regarde avec une grimace qu’elle n’arrive pas à s’ôter du visage.

Son professeur lui a personnellement demandé d’étudier ces cas, d’essayer de trouver un trou quelque part dans les termes décrits dans ces papiers pour rompre le contrat – elle se sent obligée de se donner à fond. À ce qu’il parait c’est une tradition. Chaque année, il se permet de choisir un élève qui lui tape à l’œil, auquel il offre la chance d’assister à un vrai procès en le faisant participer à une de ses affaires en cours – de l’expérience gratuite, ça se chérit. Et si même Iseul (une amie qu’elle connait depuis un peu plus de six ans, maintenant ; elle l’a connu à Londres, pendant un programme dédié aux futurs étudiants en loi) trouve ça cool, c’est que c’est vrai – puis même si ça ne l’est pas, elle est juste contente d’avoir été ‘élue’ parmi quelques milliers d’élèves.

Et elle sera encore plus contente une fois avoir trouvé ce putain de trou, pour enfin passer à autre chose.

Mais ça n’avance pas.

Un grognement, puis un grincement lorsqu’elle tire un tiroir pour en tirer un autre dossier – le logo du groupe Sin inscrit dessus d’un doré sombre. Elle n’avance pas avec les cas du professeur parce qu’elle a l’esprit ailleurs. Elle quitte sa chaise, yeux rivés sur ses pages. « Tu peux fermer la porte à clé, s’teuplé ? »

Iseul la regarde d’où elle est allongée, amusée par la grimace que son amie fait quand concentrée. « Sure. » Elle délaisse son livre quelque part sur le lit, un bâillement qui lui échappe tandis qu’elle s’avance vers ladite porte. Elles sont dans la chambre de Gaeul, chacune occupée à faire ses propres devoirs. Quand elle se retourne, elle ne revient pas à sa place mais va plutôt voir ce que fait l’hôte. « T’es toujours sur les dossiers du professeur Park ? »
Gaeul secoue la tête, complètement perdue dans les chiffres qu’elle lit. « C’est un rapport. ‘Vient de la branche que mon père administre. On me l’a envoyé ce matin. Had it on my mind all day. »

« Why ? »

L’héritière ne répond pas immédiatement. Elle tourne une page encore, fronce les sourcils lorsqu’elle lit une ligne de plus qui lui déplait. Elle ne relève la tête que quelques secondes plus tard, ses yeux durs. « Car j’avais vu des papiers dans son bureau, l’autre jour qui m’ont suggéré qu’il vole de l’argent de la compagnie. »

Iseul rattrape le dossier qu’elle lui lance. « Et ? »

« J’avais raison. » Ce n’était pas tant l’argent qui la dérange, mais l’acte en lui-même. C’est la pire chose qui soit, être déloyal, surtout si c’est dans la famille – cette famille. Ses pensées vont à cent à l’heure, l’envie de le dénoncer à sa mère s’impose. Elle décide autrement, stratagème qui se dessine en tête. « Je vais remonter le fil. Trouver combien il a volé, et où il le met, l’argent. I’m gonna make him pay us back every Won he ever took. »

« Laisse ta mère s’en charger ? »

Gaeul secoue la tête, main contre sa nuque tandis qu’elle réfléchit. « Elle va rien faire. Au mieux, elle va demander un divorce et le laisser prendre encore plus d’argent on top of what he took. She loves him. » C’est beaucoup plus réel – plus tangible – maintenant qu’elle a une preuve que quelque chose cloche.

Iseul n’a pas l’air convaincue. « And you don’t ? C’est ton père, Eul-ah. »

Il y a tant à dire là-dessus, mais elle a la flemme d’expliquer à quel point leur famille est fucked up. Il n’est pas rentré à la maison depuis plus de deux ans, pour une raison qui lui échappe, d’ailleurs, et il ne l’a pas prise dans ses bras depuis (elle compte mentalement) dix ans. Donc bon, niveau parenté il était à un quart d’étoile sur cinq, et deux reviews à deux lignes de critiques. Shortcut : « Il ne l’a jamais été avant, et il ne va pas commencer à l’être maintenant. » Il y a de la rancœur dans son ton, un you should’ve been there, dad implicite qu’elle refuse de se l’admettre.  L’occasion de lui faire voir qu’elle est là se présente, elle saute dessus.

Et elle se demande – brièvement, parce qu’en fait elle s’en fout un peu – si elle n’est pas heureuse d’avoir enfin trouvé l’occasion de se mettre en face de son père sur l’échiquier.

C’est à ce moment précis que papa devient l’ennemi.