Il parait que quand on pense qu'on est sur le point de mourir, on voit sa vie défiler. Un sois disant tunnel et une lumière blanche. Mais Jihwan n'a eu que quelques bribes de souvenirs, des éclats du passé qui virevoltaient dans son esprit paniqué. Au premier coup de poing, il revoyait sa mère. Une femme marquée par les coups de son mari, le visage meurtrit par son inquiétude constante et les joues creusées par les larmes. Au second choc, au moment où le jeune homme se faisait traîner au sol par le col, il repensa au moment où il fut témoin de la violence de son père sur sa petite sœur, où il restait planté là à chaque fois, incapable de réagir, bien trop effrayé par ce que son géniteur pourrait  lui faire à lui aussi. Puis au dernier choc, lorsque cet inconnu lui assena un dernier coup à l'estomac, Jihwan se revit du haut de ses dix-huit ans quitter sa campagne, son foyer, laissant derrière lui sa mère et sa sœur sans défenses avec leur bourreau.  

Jihwan prit une longue respiration et se laissa retomber mollement sur un des vieux matelas du sous  sol, complètement exténué. Il espérait secrètement que les autres le soit tout autant que lui car il n'avait aucune envie d'être le maillon faible, déjà qu'il était le petit dernier de la bande... Avec une discrétion qui était sienne, le jeune homme se mit à balayer des yeux chacun de ses amis, se juchant sur ses coudes pour s’enquérir d'une quelconque insulte de flemmard à son encontre. À défaut de continuer à s’entraîner pour leur prochaine scène de danse, Jihwan s'amusait à se rappeler les nombreuses anecdotes qu'il connaissait à leur sujet ,comme les one shot de Jaehyun avec les filles, par exemple. Puis il baissa les yeux. Jihwan n'avait souvenir d'aucun fait réellement intimes le concernant qu'il avait partagé avec ses amis. En réalité tout ce à quoi ils pouvaient se raccrocher c'était des confessions légères et sa manière de les écouter parler. Il avait peur, mais souvent il lui arrivait d'avoir envie de parler, d'avoir ce genre de longue discussion intense où il pouvait s'ouvrir comme il invitait ses partenaires à s'ouvrir à lui. Où il pouvait tout balancer ; du moment où il a découvert que son père battait sa mère et sa sœur, à sa fuite pour Séoul. Il voulait leur parler de la culpabilité qui le rongeait, de ses insomnies qui détruisaient sa conscience, de ses moments où il s'abîmait les poings parce qu'il ne supportait plus que l'on s'en prenne aux autres.  Il ne comprenait plus sa sœur mais il n'arrivait même pas à lui reprocher quoique ce soit tellement ses bagages à lui étaient lourds. Il voulait qu'elle lui rende l'argent de leur mère qu'elle avait utilisé pour sa chirurgie mais il était incapable de lui en vouloir car s'il ne l'avait pas abandonné, sa sœur n'aurait peut-être jamais eu le nez brisé sous les coups de leur père. Il ne voulait pas décevoir ses amis, alors il restait silencieux.

Puis le jeune homme se réveilla dans un lit tout à fait différent. Un matelas mince couvert de draps rêches. Cette fois, le monde était silencieux. Aucun coup, aucun éclat. Seulement lui, le bip incessant des machines et une lumière éclatante. Confus, Jihwan était resté étendu pendant près d’une heure avant qu’une infirmière n’entre dans sa chambre pour en ressortir automatiquement. Quelques minutes à peine plus tard, elle est revenue, accompagnée d’un vieillard en blouse blanche. Il s’est mis à lui parler, d’une voix à la fois forte et monotone. Il lui a lu son dossier comme s’il s’agissait d’un article de magazine. Mais trois jours de coma, ce n’est pas rien. Trois jours de coma, c’est soixante-douze heures qu'il ne récupérera jamais, trois jours d’avance pour Sungji. Maintenant,il ne lui restait plus qu'à remettre les choses en ordre avec sa sœur, peu importe le temps qu'il lui faudra.