Je me trouvais dans un coffee shop, il y avait du monde, c’était bruyant. Alors que le soleil commençait à se coucher, les gens se retrouvaient dans ce lieu et discutaient de leur journée autour d’une boisson, des cafés noirs pour la plupart, il parait que ça fait du bien après une journée de travail. Lui aussi s’y rendait tous les soirs ou presque d’ailleurs, il affirme qu’il n’y a qu’ici qu’ils font du bon café et que les autres sont « tous des merdeux incapables ».

Cela faisait maintenant une heure que je l’attendais comme une conne. C’était long mais avec l’expérience j’étais devenue beaucoup plus patiente, c’était le métier qui voulait ça après tout. Ça pouvait m’arriver d’attendre une soirée ou même toute une journée des fois. Puis, il était hors de question que je sois en retard ne serait-ce que d’une minute, et vu que les heures de rendez-vous ne sont jamais réellement précises avec lui… C’est toujours mieux d’être en avance de peur de prendre encore plus cher que ce à quoi je suis habituée. Il faut le comprendre, Monsieur est PDG, il est pris et a un emploi du temps très aléatoire, il est pressé, demandeur et chiant, je dois être là quand il me le demande, peu importe le temps ou l’heure. Il s’en fout éperdument d’ailleurs de savoir si j’ai quelque chose à faire ou pas. M’enfin il n’est clairement pas le pire que j’ai connu si on peut dire ça comme ça…

Au long de ces cinq dernières années, J’en ai rencontré un tas de gens, des vieux, des moins vieux, des femmes mêmes, venant tous d’horizons différents, s’offrant mes services pour des raisons propre à leurs envies. Tous avaient leurs caractères, certains étaient brutes, d’autres plus dociles. Tous avaient leurs habitudes et leurs manières de faire.  Je me souviens de chaque personne que j’ai rencontrée. Certains marquent plus que d’autres… c’est sûr.

Je ne suis pas une pute, non, je fais ce que j’ai à faire pour réaliser mes rêves je dirais. Et qui dit rêve, dit souvent sacrifice. Oui, j’ai un autre rêve, celui de devenir une idol. J’en suis une d’ailleurs, mon groupe n’est pas très connu, mais j’essaye avec cinq autres filles qui partagent les mêmes envies que moi de réussir dans ce milieu et on ne peut pas dire que c’est si facile que ça. Quand tu vois ces chanteurs et ses chanteuses à la télévision, tu as les yeux qui brillent, mais tu perds vite de cet éclat quand tu arrives en bas du mur et que tu te rends compte des difficultés que tu vas devoir surpasser pour réussir… Certains n’y arrivent même pas malgré tous leurs sacrifices… qui sait, moi non plus ça se trouve…

Ça fait maintenant presque cinq ans que j’ai signé dans une agence qui nous promettait de devenir de grandes stars… Des promesses, c’est tout ce qu’on a eu pendant tout ce temps. On en a fait de la musique, hein, même si on montrait plus nos fesses qu’autres choses dans les clips vidéo… Malheureusement, par manque de promotion et d’investissement, nous n’avons jamais gagné de public et, aujourd’hui, faisons partie de ces groupes inconnus qui luttent dans l’ombre pour pouvoir - peut-être – un jour être enfin sous la lumière des projecteurs. Bon nombre ont déjà abandonné, mais je ne suis pas de ce genre.
J’ai de l’espoir. On me dit souvent : « tu verras, continue à faire ce qu’on te demande et tes efforts seront récompensés. » Bien que ça fait des années que j’attends cette récompense, je persévère et je continue à faire « ces efforts » qu’on me demande, pas spécialement pour moi, mais surtout pour ces cinq autres filles qui attendent de moi que je leur offre le succès… comme si j’étais magicienne… Non, en effet, je ne crois pas qu’écarter les cuisses ce soit de la magie. On m’oblige à faire tout ça et ce n’est même pas stipulé dans mon contrat que je sois obligée de faire ça... mais… comment voulez-vous refuser quand on vous met le destin de cinq autres filles dans le creux de vos mains et qu’on vous dit que si je ne fais pas ce que me l’on demande de faire, leurs rêves seraient détruits et que ce serait entièrement ma faute ? Je ne peux pas, puis, j’en ai aussi envie, comme chacune d’entre elles, j’ai envie de réussir moi aussi.

Chaque jour je travaille plus dur encore en espérant que les choses bougent, qu’on m’annonce une bonne nouvelle… Mais les jours avancent et il n’y a toujours rien… Depuis avant même nos débuts je me plie en quatre pour faire ce que notre président me demande. Il me dit, va voir celui-là, il connait du monde, ou celui-là parce qu’il est prêt à mettre de l’argent pour notre prochain album. Un tas de raisons, qui n’a fait que l’enrichir lui en fin de compte. Il s’excuse pourtant, il s’excuse que ça traîne, s’excuse qu’on n’ait pas de réels endroits pour s’entraîner, s’excuse qu’il n’y ait pas d’électricité dans notre dortoir, il s’excuse pour tout un tas de choses qui ne vont pas, et je dois le croire… et continuer. Après tout, je lui ai tout donné, ma vie, mon corps, ma dignité. Je n’ai plus rien, ma famille me déteste parce qu’ils auraient voulu que j’ai une belle carrière dans un domaine dit plus ‘normal’, et la plupart de mes amis m’ont lâché parce que je n’étais pas présente. Je suis à présent bien seule et ces « faux espoirs » sont bien les seules choses qu’il me reste… Et je peux dire que c’est ce qui m’aide à tenir dans ce milieu glauque.

Bref, revenons à mon « client », ma rencontre avec ce PDG remonte à quelques mois maintenant, on s’est croisé pour la première fois dans une brasserie gastronomique de Cheongdam. Il était là au comptoir en train de boire un whiskey, il n’en était sûrement pas à son premier verre vu son état. Il semblait nerveux ou énervé, je ne sais plus trop, mais il n’avait pas l’air heureux en tout cas. Et alors que j’attendais un homme, je me suis permise d’aller à sa rencontre. A vrai dire, il m’intriguait et sans même le vouloir je m’inquiétais pour lui. Alors je me suis assise à sa gauche et je l’ai averti que l’alcool forcé comme il le faisait pouvait créer des tensions artérielles, c’est louche comme approche, mais au moins ça avait marché. On a par la suite discuté pendant je dirais… une bonne heure au moins. Il venait de se prendre un lapin par une fille qu’il avait rencontré sur un site pour célibataires, et malgré les insultes sexistes envers les femmes, la soirée avait bien continué et nous nous sommes rapprochés. Malheureusement, l’homme que j’attendais est arrivé et j’ai dû couper court à la discussion. Ça l'aurait foutu mal de me faire surprendre en train de flirter avec un autre homme…

Peu de temps après, nous nous sommes revus lors d’une soirée… mondaine, j’accompagnais notre cher président à la pêche aux billets, oui, c’est mieux d’avoir « la marchandise » avec soi pour appâter le plus de client possible. Lui, il était seul, il avait bizarrement l’air ravi de me revoir. Notre échange avait encore une nouvelle fois été agréable et suite à ça nous nous sommes revus, encore et encore, bien que mon contrat m’interdît d’avoir toute relation affectueuse avec un homme, je ne pouvais pas m’empêcher de le voir. Il était si tendre, il ne me regardait pas comme les autres, il ne me voyait pas comme un bout de viande, il me respectait, me câlinait. Il s’intéressait à ma personne. Il m’a fait goûter à ce qu’était l’amour. J’étais tombée amoureuse, un sentiment puéril que j’avais pour la dernière fois connue à l’école primaire. Je crois qu’il l’était aussi, bien qu’on ne se le soit jamais réellement avoué en face.

Ma vie semblait retrouver un peu de bonheur, malheureusement tout a rapidement décliné et j’ai vite compris pourquoi tomber amoureuse n’était pas tellement fait pour moi.

Un matin à l’agence, alors que je revenais d’une nuit pénible, le président me convoqua. A ce moment-là, je m’attendais au pire. Je pensais qu’il avait su pour ma relation, que j’allais me faire virer, bref me retrouver dans la merde quoi. Mais ce qui m’attendait était bien pire que ce à quoi je m’attendais. D’un air enjoué, le président m’invita alors à rencontrer l’homme qui apparemment nous sauverait d’une faillite, l’homme qui allait faire de moi une grande star, l’homme de la situation, l’homme parfait. « Surtout fais ton plus beau sourire, » voilà la dernière consigne que j’avais reçu du président avant de voir le visage de cet extraordinaire sauveur. Non, Je n’arrivais pas à y croire… C’était lui, celui que j’aimais, celui à qui je n’avais jamais rien dit sur cette vie malsaine que je vivais, celui que je voulais protéger de ce monde, bien que ce soit particulièrement naïf. J’étais confuse, embarrassée, voire très mal à l’aise.

Mon président m’expliqua alors qu’il allait entièrement financer les dépenses de l’agence et du groupe en échange de mes services… « Comme j’avais l’habitude de faire, » me dit-il. De plus, il affirma que j’allais lui être exclusive, que à partir de cet instant je ne verrais plus que lui. Malgré la honte, c’est vrai que j’aurais pu me réjouir. J’allais à présent passer une bonne partie de mon temps avec l’homme dont j’étais censée être tombée amoureuse. Mais j’ai très vite compris que ça n’allait pas être facile…

En effet, le « vrai visage » de Nam Dae Ho se révéla et rapidement je me suis mise à regretter le passé. Abusif, violent, humiliant, il réunissait tous les pires clients que j’avais connu en un seul homme, c’est fort, mais c’était possible apparemment. Il me détestait, il m’insultait en me disant que j’étais comme toutes ces pouffiasses en fin de compte et qu’il avait eu tort de me traiter si gentiment… A ce moment là de ma vie, c’est-à-dire très récemment encore, je me demandai si j’allais pouvoir encore surpasser ce nouvel obstacle… Mais non, je ne suis pas ce genre de personne, je n’abandonne pas facilement.

La preuve, je suis là encore aujourd’hui à l’attendre dans ce café parce qu’il me l’a ordonné.