Elle se réveille en suffoquant, des perles de transpiration venant coller des mèches à son visage. L'air paniqué, les yeux écarquillés, Madeline tremble. Elle tremble de terreur mais également de soulagement. Toujours le même cauchemar qui revient. Elle tourne la tête, attrape son téléphone pour regarder l'heure ; 4h12. Un profond soupir s'échappe d'entre ses lèvres roses et elle se rallonge, noyée dans sa chevelure blonde. Le téléphone contre la poitrine, elle ferme les yeux un instant avant de les rouvrir pour observer le plafond un instant. Dix secondes s'écoulent. Elle lève son téléphone vers son visage puis allume l'écran. Elle ouvre WhatsApp et étudie la liste des personnes de son téléphone. Elle descend, descend, puis remonte. Elle tape sur un nom, relit la fin de leur conversation, hésite, puis éteint l'écran de son téléphone avant de le reposer sur la table de chevet. Elle se tourne dans son lit, serrant son oreiller contre elle. En silence, elle sent une larme couler. Elle ne sait même pas à qui parler.


« As-tu pu bien dormir Madeline ?
─ Mh. »
Le sourire innocent de la blondinette encore en chemise de nuit eut raison des inquiétudes de sa mère. Dehors, les grillons et les cigales se prêtent à leur saison d'amour tandis que le soleil baigne sa lumière dans l'eau scintillante de la piscine ouverte. Madeline se lève de sa chaise, vert de lait d'amande à la main, puis s'avance vers le bord de la baie vitrée. Elle observe le grand jardin fleurit où seul le bruit de la nature l'accueil pour ce réveil estival. C'est beau. Fleurit. Puis elle observe brièvement le rebord de la piscine ; un flash vint l'éblouie et elle détourne vivement le visage en grimaçant. L'écho d'un rire la bloque et elle ferme les yeux. Elle revoit des bras musclés et un sourire charmeur, le bruit de l'eau et quelques baisés. Madeline rouvre les yeux. Les réminiscences de cette erreur jouent encore des tours et torturent son coeur comme l'on méprise l'insecte que l'on écrase parce qu'il a pour seul délit d'être moche. Ses doigts se resserrent sur son verre et elle se refuse à regarder vers la piscine à nouveau. Puis l'écho d'une voix la rappelle à l'ordre. Plus qu'une semaine, Madeline, et tu repars en Corée du Sud. Elle sourit, belle à l'extérieur, vide de l'intérieur. Comme toujours. Comme depuis qu'elle est petite.


L'eau transparente a des reflets de rêve. Comme un mirage tiré d'une carte postale, sous les yeux de Madeline s'étale l'une des plus belles plages d'Europe. Les voiliers avancent au loin tadis que la colombe reste sur son rocher au bord de la falaise, les pieds au dessus de l'eau. Elle repense à son père qui est encore et toujours absent. Parti rencontrer des clients à droite, à gauche, toujours à travailler jusqu'à pas d'heure, prétextant de vouloir offrir une vie de rêve à sa femme et sa fille. Sa femme qui soupire et passe ses soirées seule devant la télé lorsqu'elle ne se réfugie pas dans le travail, sa fille qui sourit mais ne sait pas quelle est la raison de son existence. Madeline baisse les yeux. Cela serait si facile, pourtant. Elle n'a qu'à se laisser tomber. Oublier Mathieu et Ludivine, oublier leur idylle, oublier les faux espoirs. Elle peut tout arrêter si facilement, être la blanche colombe perdue dans les ténèbres du néant. Il suffit juste qu'elle se penche, la colombe, qu'elle s'arrache ses ailes pour ne devenir que poupée de porcelaine s'éclatant sur les vagues. Mais comme toujours, elle relève les yeux, observe le ciel bleu, et rêve de s'envoler vraiment. Elle sourit, tristement. Peut-être n'aurait-elle jamais dû en vouloir à Mathieu et Ludivine. Peut-être qu'ils seraient encore ensemble.


Le grincement de léger de la porte qui s'entrouvre laisse entrer les murmurs agressifs de deux amants qui se déchirent. Ils se reprochent d'être trop absents ou trop exigeants, de ne pas se comprendre mutuellement. Ils détestent comme ils s'aiment, débattent encore sur l'importance du métier de l'un et de l'eau. Que tout est terne, sombre. Madeline est dans la lumière de sa guirlande romantique à regarder par l'embrasure de la porte. Elle écoute, se questionne, se culpabilise. Ils se demandent pourquoi elle a choisit l'artisanat, cette branche si instable et si peu rentable. Ses joyaux bleus se baissent ; sa canine vient mordre sa lippe. Elle s'éloigne, lentement, referme la porte. Elle ne sait pas non plus, Madeline. Peut-être une envie de s'exprimer, peu importe la manière. Ne peut-elle pas avoir ses propres désirs et ses propres ambitions ? Quelles ambitions, d'ailleurs ? Pourquoi doit-elle écouter leurs souhaits, suivre leurs exigences ? Pourquoi doivent-ils remettre en cause ses décisions ? Madeline s'avance vers le miroir pour observer son reflet. Se doit-elle d'être cette jolie poupée souriante sans personnalité qui semble si bien convenir à tout le monde ?
Elle tend lentement une main vers le reflet de son visage.


Le miroir se fissure sous son toucher. Sa respiration se coupe.