« Tu m'achètes un nouveau téléphone ? – Non mon ange, garde ton actuel, il est déjà très bien. » Une grimace, et voilà Oksana partie dans sa chambre en train de bouder. Elle le voulait, son nouveau téléphone. D'habitude sa mère ne lui refusait jamais rien, à un point où la jeune fille était devenue une sacré pourrie gâtée et avec sa petite réputation de princesse pleine aux as dans son école. Mais depuis quelque temps, ce n'était plus ça – sa mère lui enchaînait les refus, et quand Oksana demandait pourquoi, elle inventait des excuses idiotes à chaque fois. L'ambiance de la famille aussi s'était dégradée, les repas de famille entre les deux parents et leurs deux enfants étaient d'une tristesse. Avant, on demandait à Oksana si sa journée à l'école s'était bien passée, aujourd'hui, le père manque le dîner une fois sur deux et sa mère passe son temps à déprimer, à ne plus manger grand-chose et Oksana se retrouvait seule avec son petit frère dans la salle à manger. La cuisinière venait leur tenir compagnie, elle était gentille et toujours aussi souriante, elle. Et elle faisait attention à ce les enfants non plus ne perdent pas son sourire. Un soir, la jeune fille avait entendu sa mère parler au téléphone à une amie, en russe, en parlant d'un homme avec des insultes, et la cuisinière était venue la prendre et l'éloigner en voyant qu'elle écoutait. « Elle parlait de papa ? » La cuisinière avait fait un non de la tête, inventant, elle aussi, une autre histoire qui tenait pas la route. Mais Oksana faisait semblant d'y croire, car elle ne voulait pas déprimer, elle aussi. Pas plus qu'elle le faisait déjà. Tout le monde à la maison lui souriait, voulait la protéger des horreurs qui se passaient dans son dos, et elle ressentait très bien ce sentiment et cette pitié. Mais voulait leur faire croire qu'elle allait bien.

Puis papa était mort. La cuisinière était venue la chercher avec son petit frère à la sortie de l'école, les emmenant directement chez un oncle avant de leur apprendre la nouvelle ; son suicide. Oksana n'avait plus voulu voir personne et n'avait rien mangé pendant un certain temps. Sa mère n'avait pas tardé à venir les rejoindre, et voulait à tout prix la réconforter, sauf qu'elle comprit bien que seul le temps soignerait sa blessure.

Dans son malheur, Oksana ne vit pas les choses radicalement changer autour d'elle. La maison avait été vendue avec la majorité des affaires qui la contenait, sa mère croulait sous la paperasse alors qu'elle avait été une femme au foyer, et elle ne lui achetait désormais plus rien, même si ses yeux montraient qu'elle rêverait de lui acheter tout ce qu'elle voulait. Puis, elle apprit avec douleur ce qui se tramait dans sa famille ces derniers mois : il avait développé une passion pour les casinos, une addiction même, jusqu'à y laisser tout son argent et même plus, et que sous la culpabilité et l'incapacité de pouvoir regarder sa famille encore dans les yeux, il s'était tué. Laissant sa femme et ses deux enfants croulant sous les dettes.

Oksana, son frère et leur mère réussirent à se trouver un petit appartement au sous-sol d'un vieil immeuble dans la capitale, quelques mètres carrés à peine, où ils dormaient ensemble par terre, mais ne pouvaient se permettre mieux. La mère se trouva un petit travail, mais la majorité de son salaire partait dans le remboursement des dettes et il ne leur restait que peu pour se nourrir. Oksana vivait un enfer, et pleurait tout le temps, au grand malheur de sa mère ; la petite vie de fille capricieuse qui vivait dans un château en or était déjà bien loin. Mais Oksana ne voulut plus rester les bras croisés encore plus longtemps. Elle voulait aider, elle aussi, sa mère, même si elle lui disait de ne penser qu'à ses études. Elle partit à la recherche d'un travail, et un homme lui fit une proposition plutôt alléchante à première vue : lui donner toute suite une somme considérable d'argent, mais en échange elle le lui rembourserait plus tard, une fois qu'elle aura un âge assez avancé pour ne pas avoir de soucis avec la loi, en bossant pour lui dans son club de strip-tease. Elle avait hésité, sa mère le lui avait interdit, mais elle avait finit par accepter, estimant qu'elles n'avaient pas d'autres choix. Et ce fut sûrement la meilleure décision de sa vie. Avec cet argent, ils avaient pu se prendre un appartement un peu plus grand et vivable, sa mère avait pu se racheter de beaux vêtements et avait pu se trouver un meilleur travail, et Oksana pouvait se reconcentrer sur ses études en toute tranquillité. Même si elle savait que ses années d'université ne seraient pas les plus belles de sa vie – loin de là. Mais maintenant elle pouvait se racheter ce qu'elle voulait, dans la limite du raisonnable, et surtout, sa mère put finir de payer les dettes, enfin. Puis, il y avait eu cet homme, un grand chanteur, qui craqua pour la jeune femme, sous ses beaux habits – achetés grâce à l'argent d'Oksana –, et il commença à lui faire des avances. Ce à quoi la mère répondit.

Oksana ne l'aimait pas, mais sa mère la rassurait en lui glissant à l'oreille dans sa langue natale « maintenant, on va être encore plus riches qu'avant, tu n'auras plus jamais de problèmes ». Et même si ça arrangeait fortement Oksana, ça ne fit que détester sa nouvelle famille encore plus ; elle s'était sacrifiée et la priorité de sa mère était de retourner dans le luxe. Et en plus, il avait déjà deux enfants, avec qui elle ne s'entendait pas du tout. Alors elle s'éloigna, pendant que sa mère vivait à Busan avec son fils, elle, elle allait à l'internat à Séoul et quand elle rentrait, elle passait ses journées enfermées dans sa chambre. Et puis, il y eut cet âge aussi, où Oksana avait l'âge de payer sa propre dette. Elle avait dix-huit ans, mais le patron lui demanda de dire qu'elle en avait déjà vingt. C'était un calvaire, et la mère baissait les yeux, honteuse, face à sa fille car elle se sentait coupable. Mais Oksana s'en moquait, c'était son choix.

Elle partit vivre dans la résidence de sa nouvelle université dès qu'elle le put, évitant encore plus ainsi son nouveau beau père. Elle garda bien secret ses activités de nuit, assez honteuse là dessus – ce boulot quotidien était juste la marque de son passé douloureux et elle détestait être le jouet d'hommes. Même si elle avait plus semblant que c'était eux son jouet, elle pouvait leur demander n'importe quoi, ils acceptaient. Son patron était adorable avec elle, même s'il était loin d'être prêt de lui retirer sa dette, et même certains de ses clients réguliers. Elle n'avait pas de soucis particuliers, n'avait jamais été violée ni même touchée sans son consentement, et se sentait vraiment à l'aise avec son corps, mais elle préférait le garder pour elle. Car elle aimerait être réellement cette fille pleine aux as et sans problèmes et encore moins avec un petit boulot qu'elle laissait tant paraître dans son quotidien.