« Yu Ri, tu sors ? – J'peux pas, je suis punie. » Avec son sourire si charmeur, il vint lui ébouriffer les cheveux. « Ca va vraiment t'arrêter, toi, Yu Ri ? » Elle n'en avait que faire d'habitude, mais là elle n'était pas en position de jouer avec le feu. « Hé, maintenant que tonton a découvert que je fumais, il est super énervé et j'ai pas envie de pas respecter sa punition, trop peur qu'il s'énerve encore plus et me punisse encore plus, genre me confisquer mon téléphone, me priver d'ar-… – Dommage, j'allais aller voir le groupe de mecs de la banlieue, tu sais celui avec le garçon mignon là… – Roh c'est bon je te suis. » Les deux jeunes adolescents sortirent alors discrètement de la chambre de Yu Ri, marchant sur la pointe des pieds sur le long couloir du manoir dans lequel ils vivaient. « Tonton travaille ? – Sûrement, passons par derrière alors pour pas passer devant son bureau. » Et les deux le firent, ne se faisant pas voir. Il était déjà tard et à cette heure ci ils étaient supposés dormir, ainsi ils savaient que leur oncle n'irait pas regarder dans leur chambre s'ils y étaient. Enfin, ils espéraient. Comme à chacune de leurs virées nocturnes. Se sentant libre et tellement heureuse lors de ce genre de moment, après être sortie, Yu Ri se mit à courir vers le lieu de rendez-vous avec ces fameux amis, tenant la main de son frère. « Qu'est ce que je ferais sans toi. » Et elle le savait déjà ; probablement rien.

Ils rentrèrent vers quatre heures du matin, comme à leur habitude, et de la même manière qu'ils sont sortis, ils retournèrent dans leurs chambres respectives avec le plus grand silence possible Ils s'endormirent de si tôt, crevés, avant de se lever quelques heures plus tard pour les cours.

Il était d'habitude que toute la famille prenne leur petit déjeuner ensemble, et on pouvait vite voir les cernes de Yu Ri et de son frère, Yu Joon. Et la troisième et la dernière de la fratrie, Yu Bin, leur lançait des regards taquins à ce sujet quand leur oncle avait le dos tourné, les connaissant par coeur. Ils partirent ensuite tous les trois ensemble pour le lycée – il y avait ces familles où les frères et sœurs ne s'aimaient pas, préféraient être seuls qu'avec les membres de leur famille et couinaient quand ils se retrouvaient ensemble, mais eux, ils s'aimaient de tout leur coeur. Yu Ri et Yu Joon un peu plus, sûrement parce qu'ils étaient des jumeaux et que Yu Bin avait deux ans de moins – mais ils n'en restaient pas tous les trois très soudés. « Je peux savoir ce que vous avez fait cette nuit pour être dans cet état ? – On est allés voler une petite épicerie du coin, et Yu Ri a pécho son crush. » Une petite grimace de Yu Bin à l'idée du vol, ce à quoi Yu Joon ajouta que l'épicier était un bâtard et le méritait, du genre à mal parler aux étrangers qui passaient par là, par exemple. « En fait Yu Ri, il s'est passé quoi avec le gars ? T'avais l'air bizarre avec lui hier, c'est pas ton genre. – Oh, rien. Juste de la fatigue. » Elle ne savait pas trop si elle devait leur en parler ou pas, mais elle décida pour le moment que non ; c'était vraiment très étrange et elle n'assumait pas. Les deux s'étaient isolés et ils avaient commencé à s'embrasser à l'écart, se draguer mutuellement, jusqu'à ce que Yu Ri fut juste dans l'incapacité de parler. Sa mâchoire était comme bloquée et elle n'y comprit rien, mais forcément ce fut suffisant pour casser l'ambiance et elle avait juste décidé de ne plus jamais le revoir, gênée de ce qui s'était passé. Et puis, c'était juste un garçon mignon, elle n'avait aucun attachement pour lui.

Les cours passèrent, où comme à leur habitude, Yu Ri et Yu Joon – dans la même classe – passaient les cours qu'ils jugeaient inintéressants assis au fond de la salle à dormir, tandis que Yu Bin était sérieuse et attentive. Et c'était leur quotidien, les jours défilaient les uns après les autres et rien ne changeait spécialement, les deux jumeaux passant leurs nuits à faire le mur et à aller faire des conneries plus ou moins graves dans le dos de leur oncle, et leur petite sœur s'en amusant mais restant éloignée de tout ça.

Leur oncle était un homme qui passait son temps à travailler, il était un bon père adoptif pour eux, mais il n'y avait jamais vraiment d'amour ; c'était pour ça qu'ils continuaient à l'appeler juste « tonton » à la place de « papa » ou autre, alors que cela faisait des années qu'ils avaient été adoptés et qu'ils n'avaient même pas de souvenirs de leurs parents. Ils étaient morts dans un accident alors que leurs enfants n'avaient que cinq et trois ans, les laissant dans un orphelinat pendant quelques temps avant que l'oncle ne commence rapidement la procédure pour les adopter. Il ne voulait pas spécialement d'enfants, mais il se disait qu'il devait bien faire ça pour eux – et que les laisser à l'adoption voulait très certainement dire les séparer, et ce serait la pire chose pour eux. Il savait – et il avait raison – qu'ils seraient mieux avec lui, quelqu'un plongé dans le travail et qui serait loin d'être un bon père, mais ensemble, qu'avec les meilleurs des parents mais séparés. Et puis il avait l'argent, il pouvait au moins également leur promettre un bel avenir économiquement parlant. Les enfants se considéraient ainsi toujours orphelins, mais étaient reconnaissants envers leur oncle et essayaient d'être de bons neveux pour lui. Enfin, surtout Yu Bin. Les deux aînés étaient loin d'être de bons neveux.

Puis vint les dix sept ans des jumeaux. Rien n'avait changé dans leurs vies, Yu Bin voulait être journaliste, Yu Ri voulait devenir dessinatrice, et Yu Joon ne voulait rien faire – juste devenir un voleur à plein temps, comme il le faisait déjà souvent. Cela l'amusait et contrairement à ses sœurs qui excellaient dans les domaines visés, il n'avait aucune compétence en cours, il était du genre à s'exciter quand il avait enfin dépassé le 8/20, et par amour, Yu Ri était prête à le suivre et à abandonner ses projets d'études, mais il essayait de l'en empêcher. C'était son rêve et il serait bien mal à l'aise de la voir l'abandonner à cause de lui. Il arrêta le lycée, laissant Yu Ri seule dans sa classe, faisant croire à son oncle qu'il s'était trouvé un boulot alors qu'en réalité il s'était juste trouvé un petit gang, qui lui permettait souvent de ramener des billets chez lui le soir. Les choses qu'ils faisaient étaient souvent malhonnêtes, assez malhonnêtes pour que Yu Bin ne veuille plus en entendre parler, mais Yu Ri restant jalouse, voulant elle aussi, l'accompagner dedans. Jusqu'à ce jour où les choses commencèrent à mal tourner, le gang dont faisait partie Yu Joon se frita avec un autre gang bien plus puissant, et un soir, Yu Joon n'était juste pas rentré. Ni le lendemain. Ni jamais.

Des recherches furent lancées, Yu Ri et Yu Bin ne trouvaient plus le sourire, et la police ne trouva aucune trace du frère. La seule piste qu'ils trouvèrent furent un de ses amis, un acolyte de son gang, qui leur fit comprendre que cela ne servait à rien : c'était juste le gang ennemi qui s'était débarrassé de lui. Obligatoirement. Que l'espoir ne servait à rien. Et qu'il faudrait avancer avec.

Grâce à l'argent de leur oncle, les deux sœurs, une fois leurs majorités respectives atteintes, partirent se prendre un studio en ville, prenant leur indépendance. Elles s'éloignèrent, car c'était gênant d'être à deux seulement, mais restèrent en contact et en bons termes. Chacune prit juste sa voie. La famille n'était plus vraiment, la fratrie si unie, n'était plus rien sans l'un des trois piliers la composant. Il n'y avait qu'avec leur oncle que les relations n'avaient pas changées, mais c'était aussi car ça n'avait jamais volé très haut.

Yu Ri finit par rentrer dans un gang, elle aussi. Pour s'amuser et car elle se sentait plus puissante comme ça, et puis toujours un peu plus d'argent ne faisait jamais de mal – même si elle était déjà largement riche grâce aux revenus de son oncle. Elle aussi, elle fit des choses dangereuses et malhonnêtes, mais c'était comme ça qu'elle se sentait vivre, pas enfermée entre quatre murs dans une salle de classe. Et puis elle s'en foutait de mourir, ce n'était pas comme si elle avait une quelconque envie d'avancer désormais – elle avait fait des tentatives de suicide et des dépressions, mais jamais rien d'assez sérieux pour aller jusqu'au bout. C'était la seule de la famille à encore croire à une simple disparition de Yu Joon, à dire qu'il est caché, mais toujours en vie – mais l'espoir ne faisait que la tuer encore plus. Yu Bin s'en était plus ou moins remise, tandis Yu Ri pas du tout. Il était son jumeau, sa moitié, et elle n'arrivait plus à rien sans lui.

Elle réussit à être admise à la seoul national university grâce à ses talents en dessins, et entre temps se créa une autre identité, se faisant inscrire sous le nom de Seo Rin. Son quotidien était désormais ses cours à l'université, et son gang durant tout son temps libre. Cho Yu Ri commença à disparaître petit à petit, et désormais Seo Rin s'était faite une réputation. Elle avait vite décroché son permis et s'était trouvée une passion pour la conduite, une conductrice redoutable et un atout majeur pour son gang.

Mais, autre point noir au tableau, les crises comme il s'était passé quelques années plus tôt avec son crush se firent de plus en plus souvent, et surtout, elle commençait à parfois s'endormir sans crier garde. En temps normal elle s'en serait moquée, n'ayant que faire de sa santé, mais en tant que conductrice, cela pouvait vite s'avérer trop dangereux. Et puis c'était extrêmement gênant de ne plus pouvoir contrôler son corps dans certaines situations, et forcément c'étaient toujours les plus délicates. Elle prit rendez vous avec un médecin et on lui diagnostiqua rapidement sa maladie ; la narcolepsie-cataplexie. Ses crises n'étaient encore que peu fréquentes, mais il était prévu que quelques mois plus tard ce fut régulier – et c'est ce qui arriva. Sur un accord commun avec son gang, elle le quitta – sans mentionner explicitement sa maladie, juste des raisons personnelles – et vint prendre le temps de s'habituer à sa maladie, ses médicaments aussi surtout – certains l'assommant, d'autres étant moins efficaces, et certains ne se mariant pas entre eux, alors que ceux pour la narcolepsie et ceux pour la cataplexie étaient différents. Elle trouva de bonnes habitudes de vie, entre les cours – sans compter ceux qu'elle décida de sécher jusqu'à la fin de l'année –, des siestes et des sorties malhonnêtes. Une fois ceci fait, elle reprit contact avec un ami de son ancien gang, et ils partirent se créer un petit groupe de voleurs, accompagnés de la sœur de cet ami, venant commettre tous les trois des vols plus ou moins importants mais bien gérés, les trois ayant des atouts redoutables pour ce genre de missions. Rin ne leur parla jamais de sa maladie, disant juste qu'elle était du genre à faire des insomnies la nuit, d'où ses siestes récurrentes – et en particulier juste avant leurs missions, refusant de prendre la voiture lors de missions prévues à la dernière minute –, et trouvant des excuses plus ou moins débiles et gênantes lors de ses crises de cataplexie. Les trois amis, également étudiants ensembles à la même université, se prirent un studio ensemble. Puis il y eut cet homme, qui travailla sur le même vol qu'eux, et plutôt que de se mettre des bâtons dans les roues mutuellement, ils prirent l'accord de travailler à quatre et de se répartir l'argent. L'homme, plutôt de nature à être indépendant, finit par bien s'entendre et le trio devint un quator, les rejoignant dans leur appartement. Aujourd'hui, Seo Rin a trouvé une nouvelle raison de vivre ; et ce sont bien eux, même si au fond ils ne connaissent pas grand-chose les uns des autres.