par cette présente lettre, j'abandonne mon enfant, kwon woojin, née le premier mars mille neuf cent quatre vingt dix neuf à oslo. je vous prie de prendre soin d'elle, puisque je ne pourrais pas le faire. ci-joint se trouve une lettre, j'aimerais qu'elle puisse la lire dès que possible en espérant qu'elle comprenne les raisons qui ont motivé ma décision.

woojin, ma précieuse fille. je suis ta mère. je ne peux pas me présenter et courir le risque que tu me retrouves, malheureusement. j'aimerais être à tes côtés, mais c'est impossible, et je vais te dire pourquoi.

je suis tombée amoureuse de ce garçon formidable, il a trois ans de plus que moi. cela faisait un an que nous étions ensemble, et j'ai décidé de lui donner ma virginité, et je suis tombée enceinte. je ne savais pas vraiment que c'était possible lors de la première fois, et quand je lui ai annoncé, il a rompu avec moi. ses parents n'ont rien voulu entendre, et deux mois plus tard il était dans l'armée. c'était déjà trop tard pour avorter.

je n'ai que dix-sept ans, woojin, et mes parents sont conservateurs. ils m'ont envoyé à la campagne pour vivre ma grossesse, en pensant que lorsque je reviendrais tout rentrerait dans l'ordre. mais voilà que maintenant ils veulent que je t'abandonne, et je dois leur céder. voilà pourquoi je te laisse devant cet orphelinat ce soir. je suis désolée, vraiment. j'aimerais tellement te garder, t'élever, et te donner tout l'amour du monde. mais je pense mettre fin à mes jours, et je ne peux pas te laisser vivre chez moi, avec mes parents. tu serais si malheureuse.

je compte sur les personnes qui travaillent à l'orphelinat pour bien s'occuper de toi, kwon woojin. ils te trouveront probablement un nom plus norvégien, c'est pour le meilleur. mais j'aimerais que tu te souviennes que tu es coréenne, comme ta mère et tes grands parents. j'aimerais qu'un jour tu te rendes à séoul, probablement que tu seras éblouie, tout est si grand et lumineux là-bas. woojin, ma fille. j'espère qu'on te trouvera une bonne famille, car tu mérites tout l'amour du monde. je suis désolée de ne pas pouvoir être ta mère, d'être condamnée à rester une inconnue. peut-être qu'un jour nos chemins se recroiseront, et qu'alors nous pourrons rattraper le temps perdu. pour l'instant, ma situation ne me permet pas de t'offrir la vie de rêve dont j'aimerais que tu profites.

maiken, viens voir ici. elle ne peut pas rester de manière indéterminée à l'orphelinat, malheureusement, et elle l'apprend ce jour-là. celui où sa première famille d'accueil vient la récupérer pour l'emmener dans la banlieue d'oslo. une petite valise pour tout compagnon, la lettre de sa mère tenue fermement entre ses petites mains. pas d'école pour elle, elle est condamnée à rester enfermée jour et nuit dans cet appartement misérable, à faire le ménage et la cuisine. les coups tombent les uns après les autres, dès qu'ils sont de mauvaise humeur. pas d'enfant biologique, heureusement pour eux. maiken, elle, subit la colère de madame et monsieur, dont elle ne connait même pas le nom. les bleus à répétition finissent par alerter l'assistante sociale qui la place dans une seconde famille.

à première vue, cette famille est parfaite. grande maison à deux étages, à cinq minutes d'oslo, des vêtements propres et neufs qui l'attendent, un matelas qui rebondit et un grand frère accueillant. elle arrive dans la maison de l'enfer à l'âge de sept ans et demi, celui que l'on appelle souvent à tord, de raison. jusqu'à ses dix ans, tout se passe bien, et puis, les visites nocturnes de son frère se produisent. les parents ne sont, bien sur, pas au courant de ce qu'il se trame dans la chambre de maiken. elle ne suit pas en cours, a du mal à comprendre ce qu'il se passe, les notes qu'elle ramène sont médiocre, et elle se déteste. elle demande à ses parents de lui prendre des vêtements plus amples, ceux qu'elle possède la dégoûte. se voir dénudée lui procure des sensations horribles, elle ne mange plus et vomi fréquemment en cachette. pendant ce temps, il se faufile quand tout le monde dort et la touche, la force à le toucher et elle ne sait comment se défendre. c'est mal, elle le sait, elle devrait crier, dire quelque chose, mais il la menace, et elle a peur de retourner à l'orphelinat ou de finir chez une autre famille infernale.

c'est lorsqu'elle atteint les trente kilos que l'assistante sociale s'alerte. un séjour à l'hôpital suffit à maiken pour tout cracher, après deux jours dans le coma à cause de la sous-nutrition. un séjour d'un an en foyer se profile à l'horizon, les cours à l'intérieur de la bâtisse de béton, les dortoirs communs et les affaires volées la font craquer, heureusement, les thorsen arrivent dans sa vie. ils l'accueillent à l'âge de quatorze ans. famille insolite, il s'agit d'un couple homosexuel composé d'un homme noir d'une quarantaine d'année, officier de police, et d'un professeur d'université juif légèrement plus vieux. ils l'accueillent avec tout l'amour du monde et maiken retrouve peu à peu goût à la vie. c'est à seize ans qu'ils la surprennent pour son anniversaire avec les papiers d'adoption, ainsi elle devient maiken thorsen.  

elle a tout avoué. elle a craché son venin sur ses parents, en disant tout ce qu'il s'était passé, dans les moindres détails. et bien sur, william a voulu qu'elle porte plainte. il s'est occupé de tout, s'est même porté garant. le procès fût long, épouvantable, un véritable cauchemar. être à nouveau dans la même pièce que lui était un enfer. mais il fût condamné, reconnu coupable. une autre fille qui était passée par la famille avait témoigné contre lui, appuyant son propre témoignage, et il avait pris dix ans. sous les larmes de ceux qu'elle avait considéré comme sa famille aussi, fût un temps.

il lui fallait partir un moment d'oslo pour s'aérer et se changer les idées. la lettre lue et relue, celle qu'elle connaissait par coeur, lui disait d'aller à séoul et partir à la recherche de ses racines, de ce qui faisait d'elle ce qu'elle était. ses parents ont accepté, comprenant son choix, et en lui faisait promettre de revenir. elle parti un mois après sa majorité à la conquête de ce nouveau monde.

trop d'émotions pour elle, elle s'inscrivit immédiatement dans une salle de sport miteuse pour faire de la boxe. sport violent qui lui permettrait de s'évader un peu, de se calmer, et de faire le point sur sa situation. étrangement calmant, l'activité brutale lui permis de mieux contrôler ses ressentis.

c'est alors qu'elle découvrit le hacking et le fabuleux monde du codage. elle n'arrive plus à se débarrasser de ce dernier tant il lui colle à la peau. c'est ainsi qu'elle se fixa l'objectif de devenir hackeuse pour la police criminelle. probablement à ses risques et périls, elle s'exerce en commettant des délits mineurs sur le web, toujours protégés par d'innombrables pares feux et autres blockchains qu'elle peut se payer grâce à son emploi à temps partiel au cyber café.

et puis l'université lui ouvre de nouveaux horizons encore, deux mois après son arrivée à séoul, elle y entre. et ainsi commence ce nouveau jeu de sortir le temps d'une semaine avec une nouvelle personne. petite amie parfaite, affectueuse, innocente, à l'écoute. elle veut juste trouver quelqu'un pour qui elle craquera, avec qui ses paumes deviendront moites et son coeur battra la chamade. elle veut arrêter de se sentir dégoutée par son coeur, elle veut aimer. peu importe qui, peu importe quoi. elle se saisit innocemment de tout ce qui lui tombe sous la main et veut le posséder, veut lui offrir tout l'amour du monde. ainsi, elle comblera le trou dans son âme, et arrêtera d'être un trou noir qui détruit tout sur son passage.

étudiante étrangère, elle est naturellement populaire. ses manières étranges attirent le regard, ses cheveux platines intriguent. elle est jolie, quand même, maiken. celle qui demande à ce qu'on l'appelle woojin quand les autres ont du mal à prononcer son nom norvégien. elle est drôle aussi, et elle plait, elle charme, son sourire en coin devient sa signature. alors ça se presse au portillon pour devenir son copain de la semaine, parfois même sa copine. mais rien. pas un battement de coeur qui saute, pas de panique à l'idée de voir cette personne. tant pis, ça marchera la prochaine fois.