« Qu'est ce que c'est ? » Son père vint se jeter sur elle alors qu'elle rentrait de cours ; la bouche ensanglantée et les quelques pansements sur son visage décollés laissant voir des blessures en dessous. « Rien. » Leony baissa la tête et partit en courant dans sa chambre s'enfermer, ne voulant plus voir son père. Pas qu'elle ne l'aimait pas et ne voulait pas de son réconfort – bien au contraire, elle l'aimait tellement qu'elle ne voulait pas qu'il sache qu'elle s'était battue après qu'on l'ait traitée de sale gay, d'une manière très blessante. Leony, du haut de ses douze ans, avait fait sa déclaration d'amour à sa voisine de classe pour qui elle craquait, mais cette dernière en avait rigolé et Leony n'avait jamais vu une nouvelle se propager aussi vite dans son établissement. Et au final, elle avait finit par sortir les poings, car Leony n'était pas quelqu'un qui se laissait faire. Et elle refusait d'en parler à ses parents – deux pères homosexuels, elle ne voulait pas les blesser en répétant cette histoire. Même si c'était la première fois qu'on entendait parler de son homosexualité à l'école et qu'on se moquait d'elle là-dessus, ce n'était pas la première fois que Leony se battait ; souvent à cause de ses origines, quiconque osant lui faire une blague raciste sur son visage asiatique se retrouvait avec son poing dans la joue et dès la moindre critique, elle s'emportait facilement. Les professeurs étaient à chaque fois à deux doigts de la virer, mais comment virer une jeune fille qui se défend lorsqu'on se moque de ses origines ou de son orientation sexuelle ? Au final, elle était juste celle qui devait toujours rester le soir dans la classe pour aider au ménage en guise de punition. Ses deux pères essayaient de la calmer, elle était même partie faire de la boxe sous leurs conseils, pour pouvoir se défouler, mais rien à faire, Leony restait une tête brûlée. Elle avait quelques amis, mais même eux se moquaient parfois d'elle, elle savait très bien que leur amitié n'était que du carton mais elle était encore trop jeune et innocente pour que ça la blesse réellement, sûrement. Et puis, elle se disait qu'avec le temps, ça s'arrangerait, les gens gagneraient en maturité, mais rien à faire, elle trouvait toujours autant de cons dans son entourage.

Mais elle avait trouvé ce rêve. Elle avait commencé à rapidement danser, un peu de différents genres, et elle se sentait briller dans ce domaine ; la voilà souhaitant devenir chanteuse et danseuse, briller et être reconnue, avoir des millions de fans, et pouvoir prendre toutes ces personnes de haut. Leur montrer qui était apprécié et qui ne l'était pas. Et puis, ça l'arrangeait car elle était une vraie cancre en cours, elle ne s'imaginait pas faire de brillantes études (car oui, en plus d'être une enfant qui se battait, elle était mauvaise en classe).

Leony s'était toujours intéressée au Japon, cette terre dont elle venait et où elle souhaitait vivre plus tard. Pas qu'elle n'aimait pas la Norvège, loin de là, et elle jugerait toujours la Norvège comme sa terre natale, mais sous toutes les blagues racistes qu'elle endurait parfois elle se disait qu'au moins, au Japon, elle n'aurait pas ce soucis. Enfin, en changeant de nom et si elle arrivait à parler japonais sans un accent. Quand elle était bébé, elle avait été abandonnée à un orphelinat, sans noms, sans papiers, sans rien ; elle était juste là, posée avec des couettes autour d'elle devant la porte. Comme les romans clichés. Mais ces histoires étaient bien moins mignonnes quand ça nous arrivait réellement. Elle portait ce jour là une petite robe rouge, d'une marque japonaise – on en avait alors déduit qu'elle venait probablement de ce pays. Suite à quelques tests ADNs et d'autres trucs de ce genre, on a pu en déduire qu'elle était probablement née en septembre 1994. Sa vie était basée sur des incertitudes. Mais elle s'en moquait ; ses deux papas adoptifs étaient les meilleurs et elle aimait sa vie. Même si elle aimait pas les autres gens, car ils étaient bêtes.

Mais lors de sa passion pour le Japon, ça commença à dériver petit à petit vers une passion pour les autres pays asiatiques – la Chine, la Thaïlande, le Vietnam, et surtout, la Corée du Sud. Tiraillée entre la J-Pop et la K-Pop, elle hésita longuement entre lesquels des deux pays elle irait pour se lancer dans une carrière d'artiste, mais ce fut finalement un peu au dernier moment qu'elle préféra la Corée du Sud car l'industrie y était plus importante, et tant pis pour la terre d'où elle venait, de toute façon elle s'était toujours sentie plus norvégienne qu'autre chose. Et la voilà obtenir des billets d'avion pour ses dix huit-ans, partant y vivre peu après ; après de longs câlins en pleurs avec ses parents. Elle fit le choix de ne pas changer de noms, quitte à continuer de se prendre des remarques, elle préférait ça mais garder l'endroit où elle avait vécu auprès d'elle.

Le premier pied posé sur le sol coréen et elle se sentait déjà tellement bien ; elle s'y voyait déjà y vivre et s'y plaire surtout. Elle réussit à se trouver un petit logement, grâce à l'argent de ses parents, et commença à enchaîner les auditions pour les différentes agences de divertissement. Elle fut accepter dans une grande, et c'était les yeux pleins d'étoiles qu'elle commença à y être trainee – elle était une très bonne danseuse, mais il lui manquait ce petit quelque chose pour être la meilleure des danseuses, celle dont on ne pourrait en détacher le regard sur la scène. Elle eut des difficultés avec la langue, n'ayant pas spécialement appris le coréen avant de venir, mais elle finit par s'améliorer rapidement, elle n'était pas la seule étrangère bien heureusement – même si c'était bien la seule à venir de Norvège. Heureusement pour elle, elle s'en sortait plutôt bien en anglais. Puis il y eut cette fille. Avec ce visage dont Leony ne pouvait en détacher les yeux. Qui avait ce petit quelque chose dans son regard. Son niveau en coréen progressa à une vitesse exponentielle, tellement Leony voulait se rapprocher d'elle sans le problème de la barrière de la langue. Ce fut le coup de foudre, et elles sortirent ensemble rapidement – un vrai petit bonheur. La vie de Leony n'était pas parfaite, mais elle se sentait vivre un paradis ; car elle était à ses côtés.

Elle faisait souvent des allers-retours entre la Corée du Sud et la Norvège, pour voir ses parents et même maintenant sa petite sœur – ils avaient adoptés une autre enfant, une fille aux origines coréennes, et forcément ça permit à Leony de rapidement se rapprocher d'elle. Même si elles n'avaient au final jamais réellement vécu ensemble, cela ne les empêcha pas d'être très proches et pour Leony, de considérer cette adolescente comme une petite sœur. Une sœur qu'elle avait promis de protéger. (Et de lui offrir l'une des meilleures places à table lors de son mariage avec sa copine, alors qu'elle se projetait tellement. Elle comptait même la proposer en mariage une fois qu'elles débuteraient ensemble, tellement Leony l'aimait de tout son coeur.).

Mais forcément, le bonheur éternel n'existait pas – voilà que l'agence décide enfin de faire débuter un nouveau groupe de filles, les trainees se battant pour être prises, dont Leony et sa copine, mais il n'y aura que cette dernière qui sera retenue parmi les deux. « Leony, entraîne toi un peu plus et tu pourras débuter. » lui avait-on dit, sans sourire ni autre, alors qu'à d'autres recalées on leur avait promis certaines choses et on avait réellement essayé de les remotiver. Leony comprit bien le message, et n'avait probablement la foi de continuer dans ce domaine, se disant que ce n'était pas pour elle ; et c'était sans regrets qu'elle quitta son agence. Enfin... Il y eut ce petit froid entre elle et sa copine, alors que seule l'une des deux allait débuter malgré les efforts des deux, mais ce froid se termina bien vite ; par une rupture. Un « nos emplois du temps ne pourront pas coller », ou encore un « on se portera mieux séparées », à quoi Leony répondit par des « ne m'abandonne pas » ou « je t'aime fort, reviens », mais rien à faire, sa copine – son ex-copine – voulait définitivement arrêter. Un « Je t'attendrais, on se reverra et je t'aimerais toujours, je te le promets » désespéré fut son dernier message. Les ponts furent totalement coupés et c'était sûrement mieux pour les deux pour tourner la page – même si Leony ne le voulait pas –. La norvégienne en profita pour faire une pause dans sa vie, rentra quelques semaines en Norvège pour s'en remettre, essayer de se retrouver une voie, mais ce fut son père, policier, qui l'inspira ; la voilà aussitôt repartie en Corée pour intégrer la Korea Police National University, suivre des cours pendant huit mois et intégrer les forces de l'ordre. Et elle adora tellement ce nouveau travail, ne regrettant pas d'avoir arrêté de s'être entraînée pour devenir idole (même si elle a le coeur qui se tort en la voyant à la télévision).

Elle adorait l'équipe où elle bossait, et même si certains se moquaient encore et encore de ses origines étrangères, elle continuait à montrer les dents et avait appris à passer au-dessus. Leony était plutôt heureuse (même si c'était la première à chialer quand l'alcool lui montait un peu à la tête).

« Vous venez pour déposer plainte pour quoi ? – Pour… Un viol. » Face à la gravité de l'affaire, ses supérieurs voulaient donner l'affaire à quelqu'un d'autre que Leony, quelqu'un de plus avancé, mais la victime insistait pour laisser l'affaire à Leony – une femme. Ce que Leony prit très au sérieux. Les jours passèrent, l'enquête avança, et Leony sentait être à deux doigts de réussir à avoir les preuves nécessaires pour mettre l'homme en taule, et ce même si c'était un homme riche et qu'on savait très bien comment encore trop de personnes prenaient parti du violeur. Puis, se voyant en galère, l'homme contacta Leony, la coinçant près de chez elle. « Je te passe pas mal de billets et en échange tu lâches ton affaire, mmh ? » Elle refusa d'abord, le poussant pour rentrer chez elle, complètement choquée de voir cet homme faire ce genre d'actions. Puis il insista. Lui promettant une somme encore plus grande. (La menaçant de s'en prendre à ses amis ou sa famille si elle refusait, citant même certains prénoms ; ceux de son meilleur ami ou de sa petite sœur, par exemple). Alors elle hésita. Se remettant en question. N'en dormant pas de la nuit. Etant incapable de revoir le visage de la femme une fois au poste de police. Puis finalement, elle termina par mettre un terme à cette histoire – les preuves se retrouvant brûlées et jetées aux toilettes. Et l'argent dans ses mains. (Après tout, elle n'avait pas le choix et refusait qu'il ne touche à ses proches). Elle n'en dormit pas de la nuit, et ne sortit pas de chez elle durant les jours suivants, suivant l'avancée de l'affaire depuis sa télévision, se doutant bien que l'homme allait s'en sortir. Mais elle ne se doutait pas que sous l'humiliation et la défaite, la jeune femme irait jusqu'à se suicider. Et Leony commença à se demander si elle ne devrait pas faire de même – traumatisée et mourante de honte. Et il y avait de quoi. (Surtout quand on faisait une amnésie traumatique et qu'on ne se souvenait que de certaines choses – il y a des zones d'ombre dans ses souvenirs, mais elle ne veut pas chercher à savoir ce que c'est, préférant ne pas y repenser).

Ce fut un passage très difficile dans sa vie – le plus dur même, et de loin –, elle n'osa pas en parler à qui que ce soit, de honte et de culpabilité. Au moins, Leony avait la particularité de rester ce genre de femme souriante et qui ne laissait rien voir à son malheur – après une semaine passée dans sa chambre à pleurer, elle était revenue au poste de police travailler disant avoir enfin surmonté sa vilaine maladie – certains collègues se doutant qu'elle avait surtout mal accepté la défaite et le suicide de la femme, mais étant loin de se douter que c'était de sa faute. Et sa vie reprit son cours normal. Même si elle en resta totalement changée – on ne la reconnaissait plus, la fille qui se battait pour un rien à l'école était devenue une femme qui veut se racheter et faire le bien autour d'elle, voire qui se laisse un peu trop marcher sur les pieds parfois. Une fille qui manquait cruellement de confiance en elle et qui se pensait être un monstre. Un gros monstre. (Alors qu'elle avait voulu protéger ses proches, mais ça, elle ne s'en souvenait plus, sa conscience ayant préféré l'effacer de sa mémoire, cette seule preuve qui pouvait l'innocenter alors qu'elle méritait de mourir de culpabilité tellement elle avait fait quelque chose d'atroce). Et quelle joie d'avoir pu revoir un peu son ex après ça, qu'elle lui avait dit qu'elle lui pardonnait, quelle joie d'avoir pu revoir son visage et de l'avoir entendue, de savoir qu'elle ne la détestait pas. Même si elle jugeait ne pas le mériter, absolument pas.

Le temps passa, et même si pour elle le temps ne sera jamais suffisant à panser ses blessures, elle a retrouvé le vrai sourire, et sait aller de l'avant. Enfin, en surface du moins. À l'intérieur, elle ne s'est jamais remise de la rupture – l'ex ayant de nouveau disparue – ni encore moins de ce crime qu'elle avait commis. Elle avait versé tout l'argent à des associations d'ailleurs, se voyant mal en dépenser un seul rond pour elle-même. Aujourd'hui, elle veut aider les autres, offrir une meilleure vie à tout son entourage, et tant pis si elle doit en être blessée.