CHAPTER 1Si on dit tout le temps que les chiens ne font pas des chats, sachez qu’il est également vérifié que les putes ne font pas des curés. Et manifestement pas plus des dentistes, des avocats ou des thanatopracteurs. Joon Ho n’a en tout cas jamais rêvé d’exercer l’un de ses métiers au cours de sa vie.
Non, à la question qu’est-ce qu’il voulait faire plus tard quand il serait grand, c’était toujours un éternel silence. Essayer d’y répondre pour faire se détourner les regards interrogateurs n’y changeait rien. Le blanc. Pas un mot. Pas une idée. Juste du vide. Puis un mensonge. Sortir quelque chose qu’un autre venait de donner. On apprend. On a l’air moins idiot.
Mais un avenir… qu’est-ce que c’était au juste ?
Est-ce que sa mère s’était dit un jour qu’elle coucherait avec des hommes contre de l’argent ? Ou est-ce qu’on lui avait tout simplement imposé ?
Est-ce que répondre qu’il voulait devenir vétérinaire changerait quelque chose à ce qu’il serait plus tard ? Ou est-ce que pour répondre à cette question, il fallait savoir ce qu’il était de base ?
Un gosse nommé un peu hasard, probablement au prénom d’un client un peu sympa ou qui payait bien. Un gosse qui se demandera bien trop jeune pourquoi maman n’a pas avorté. Et tristement Nam Joo Ri ne se gênera pas pour l’éclairer avec trop de sincérité.
Quand elle apprend qu’elle est enceinte, sans doute trop tard pour se débarrasser de ce qui grandit dans son ventre, il vient une idée à Joo Ri. Non, pas celle de refaire sa vie et d’offrir à cet enfant à naître quelque chose de pas trop mal. Mais celle d’en faire une source de revenus. Si pour elle il est forcément le fils du plus riche de ses clients, il est également certain qu’il lui donnera de l’argent pour entretenir le marmot et acheter son silence. Elle se voit déjà, entretenue à vie par un homme marié à une autre et ce en échange de peu d’efforts. Un gosse, ça n’a pas l’air bien compliqué à première vue. Et comme tout chose dans la vie de Joo Ri, l’intérêt et d’en tirer un bénéfice.
Alors elle les prend, ces pénibles kilos en trop, elle le laisse grandir cet enfant sans se préoccuper des détails insignifiants qui semblent être tout pour les autres mères. Lui préparer une chambre, réfléchir à un prénom en fonction du sexe, épargner un peu d’argent pour son éducation ou plus drôle encore se perdre 20 ans plus tard à l’imaginer avocat ou médecin….
20 ans… si elle parvient à vivre tout ce temps, elle préfère encore s’imaginer son avenir de femme entretenue dans un bel appartement d’un quartier chic de Seoul. Elle se voit déjà débarquer chez ses parents pour leur montrer à quel point elle a réussi dans la vie et ce sans l’aide de personnes. Avec un peu de chance, pas mal de maquillage, elle parviendra même à cacher les traces des quelques années de prostitution digérées avec une dose de vodka et de “sucre glace” si doux aspiré par ses narines.
Mais voilà, quand elle débarque avec le petit Joon Ho dans les bras, à peine sortie de la maternité, elle se fait renvoyer sans que la paternité évoquée ne semble être un réel moyen de pression. Loin de se démonter, elle poursuit ses menaces pendant un temps, depuis son appartement miteux mais ce qu’elle arrivera finalement à soutirer sera bien loin de ce qu’elle espérait… et trop vite dépensé. Au final, à part lui faire perdre un bon client, son fils n’aura pas été d’une grande utilité. Alors elle cesse bien vite de jouer les mères aimantes et éplorées qui souhaitent le mieux pour leur enfant, elle cesse avant même d’avoir réellement commencé et range son fils dans un coin comme on range un objet qui pourra peut-être nous servir un jour à condition qu’il ne se révèle pas trop encombrant.
Alors cette question qui aurait affolé toute mère, ce “Pourquoi t’as pas avorté ?” qui aurait brisé le coeur de toute femme avec un instinct maternel, Joo Ri y répondra avec indifférence “J’me suis dit que y’aurait bien un abruti pour me filer de l’argent pour ça. Mais faut croire que t’es né bon à rien d’autre que d’me causer des emmerdes.”
CHAPTER 2“Increvable”.
C’est peut-être la seule “qualité” que sa mère lui a reconnu. Une formulation bien plus jolie que celle où elle le présente comme une vraie carne.
De la fièvre, un mal de ventre, qu’importe le soucis, Joo Ri ne se préoccupait pas tellement des soins, en réalité pas du tout, sous cette excuse bien confortable que son morveux était le plus increvable des gosses.
Mais si Joon Ho avait dû se choisir un adjectif pour se définir, il aurait plutôt opté pour “seul”. Et si la fierté veut qu’aujourd’hui il se garderait bien d’employer le même mot, la solitude n’en n’a pas moins été ce sentiment pesant qui l’a collé toute sa vie pour faire peser plus lourd dans sa poitrine ce coeur qui s’enfermait petit à petit derrière une barrière protectrice.
Il aurait pu être quelqu’un d’autre. Un instant d’attention, quelques mots pour l’encourager, et des efforts si vains… si naïfs comme il finira par le penser, auraient continué sur la lancée de la stupidité.
S’il peut au moins remercier son enfance pour lui avoir appris très vite à être débrouillard dans le B-A ba dont un parent a normalement la charge comme manger, aller à l’école ou même tout simplement se vêtir, elle lui apprend surtout à ne compter que sur lui même. Pourtant, Joon Ho aurait pu devenir quelqu’un de gentil, voir même quelqu’un de bien. Cet enfant qu’il qualifie aujourd’hui d’idiot pour avoir recherché de la tendresse, il aurait pu être ridicule pour quelque chose si sa mère s’était donné la peine au moins une fois par semaine.
Mais à chaque essai, chaque tentative, c’est la douche froide. Persévérant dans son idiotie, il continue à appeler “maman” cette femme malgré la honte qu’il devrait en avoir.
Parce que Joo Ri est bien loin de se cacher du métier qu’elle exerce. Qu’importe les images choquantes que son fils pourrait voir, il n’avait qu’à pas se foutre dans son ventre. Et s’il n’est pas content, la porte est ouverte.
Elle aurait pourtant pu le trouver attachant ce gosse qui sortait de sa cachette pour la défendre quand un client devenait trop violent, ce gosse qui s’en est pris des raclées pour protéger “maman”. Mais non, c’était au mieux une paire de claques pour le récompenser de l’avoir gêné. Et si quelques clients parfois pouvaient avoir un comportement étrange, pour ne pas dire pervers, quand il le voyait, elle ne pensait pas une seule seconde à revoir la pratique du travail à domicile pour protéger un peu son fils. Non, pour elle, il pouvait très bien se débrouiller.
Ne le faisait-il pas ?
Le matin, il se préparait tout seul, il était capable de trouver de quoi manger, d’aller à l’école sans adulte et d’en revenir. Il faisait ses devoirs, et même sa partie parentale… falsifier une signature d’adulte, c’était dans la catégorie de ces choses qu’il a dû apprendre rapidement, tout comme mentir.
S’il avait envie de traîner, il le pouvait. Ne pas dormir, il en avait le droit. Oui, Joo Ri était même capable de dire qu’après tout, c’était une vie rêvée pour un gosse. C’est vrai, quand on y pense, elle elle aurait adoré que ses parents la laissent vivre sans être tout le temps sur son dos.
Et quand un jour il lui prend la folie de lui voler un collier pour son anniversaire, elle ne le punit même pas. Non, pas plus de réaction que du mépris et de l’indifférence pour ce qu’elle qualifiera d’une babiole.
C’est au milieu de ce mépris et de cette indifférence, au milieu de violences physiques, verbales ou encore visuelles que Joon Ho grandit et apprend.
Il apprend que pour celui qui vient le jeudi, ce n’est même pas la peine d’y penser, mieux vaut passer la soirée dans ce campement sous son lit qu’il s’est construit.
Pour celui qui vient environ deux fois par mois, généralement en début et fin, c’est préférable de ne pas traîner à l’appartement.
Il apprend que si maman se fait frapper, on attend de lui à ce qu’il reste dans sa chambre à attendre que ça se termine.
Il apprend qu’une bonne note, un cadeau, un sourire ou quelques mots gentils ne changeront rien à sa solitude.
Il apprend qu’espérer est stupide et que s’il veut autre chose, s’il ne veut plus se faire piétiner, cracher dessus de cette manière, il devra grandir autrement.
CHAPTER 3Lorsqu’il enfile pour la première fois son uniforme de collégien, Joon Ho a déjà perdu depuis bien longtemps la douceur de l’enfance. Avec les coups et trop de mots, il a terminé de construire cette muraille pour se protéger. Son intelligence, il ne pense pas à s’en servir pour faire de longues études et se prévoir une jolie carrière. Non, il l’exploite déjà à mentir. Pour prétendre être quelqu’un d’autre à l’école, un collégien avec des notes plus qu’honorables, populaire, charismatique, propre sur lui… quelqu’un avec une autre vie et certainement pas une mère qui fait la pute pour se payer farine et bouteilles d’alcool. Quand il a la malchance de ne pas être assez rusé ou rapide pour justifier les coups, il préfère se la jouer cool et les filles en pincent déjà pour lui.
Et cette fierté qui cache la honte, elle l’emmène sur un terrain bien loin du gamin sympathique qu’il aurait pu devenir. Son premier coup d’éclat, c’est quand il se pointe chez ce client de sa mère qui l’aura battu une fois de trop. Ce client qu’elle s’était amusée à lui présenter comme son père et qu’il appelle donc “papa” quand il surgit derrière sa femme. Une femme à qui il demande en toute innocence si, elle aussi, elle se fait payer comme sa mère quand ils font l’amour.
Pour lui, il n’est plus question de se faire marcher dessus. Et cette revanche, il apprend définitivement qu’en étant un connard, on souffre moins. Mieux encore, on en retire un certain plaisir.
Il commence à se sentir plus malin que les autres, au dessus d’eux, et plus simplement celui que l’on méprise et sur lequel on crache.
Il s’en fait la promesse. Sa vie peut sembler pourrie de naissance, mais il en fera quelque chose avec les moyens du bord. Et qu’importe si les possibilités semblent moindres.
Oui c’est une belle assurance qu’il développe.
Une fausse assurance sans doute.
Il pense valoir mieux ?
Mais est-ce que quelqu’un qui ne se méprise pas en arriverait au même point que lui ?
C’est certain, il est si brillant ce Joon Ho qui offre sa première fois à la première pedo venue en fin de collège. Oui, elle l’a bien payé. Mieux que sa mère sans doute. Et parce que c’est une riche, il vaut mieux que sa génitrice ?
C’est sûr, au moins il ne risque pas de tomber enceinte et de faire vivre l’enfer à un gosse !
Certes, il ne gaspille pas son argent dans la drogue et il se paie avec ce “premier salaire” la guitare de ses rêves et des vêtements plus classes pour le “boulot” mais une conscience lui aurait utile pour lui souffler qu’il pouvait faire mieux que ça.
Oui… en dépit de cette pensée qu’il tait avec acharnement… celle qui lui souffle depuis gamin qu’il ne vaut pas mieux que ça.
Se faire entretenir par des riches en couchant avec, excellent choix de carrière ! Ses profs seraient si fiers.
CHAPTER 4Le lycée. Ou la réussite dans toute sa décadence. Oui, vraiment, de quoi être fier d’avoir si bien réussi. Une double vie parfaite où il se sent probablement plus fort que tout le monde.
Il y a d’abord sa mère qu’il finit par abandonner dans son appartement miteux pour aller vivre dans celui qu’elle a toujours rêvé d’avoir. Et le tout sans débourser un seul loyer. Bien triste de voir qu’on peut être fier de se voir offrir tant de cadeaux par celle avec qui il a débuté le métier. Evidemment, Joon Ho ne lui réserve pas l’exclusivité et se fait tout un répertoire composé exclusivement de détentrices de jolies cartes platines. Il a du succès dans le métier et pense vraisemblablement que son talent se situe dans un lit, ou alors contre un mur ou sous une douche selon les envies. Il s’adapte toujours pour satisfaire la cliente. Quand on a une clientèle de luxe, on offre un service de qualité, ça fait partie des conditions du métier.
Si beaucoup sont mariées, certaines même avec des enfants, il ne s’en soucie pas. Après tout, ce n’est pas son problème à lui si elles font des conneries. Si ce genre de femmes n’existaient pas, il ne pourrait pas se payer tout ce qu’il veut, partir pour la première fois en vacances, être quelqu’un avec le droit de ne plus rien se refuser lui qui n’a jamais rien eu. Quelle étrange satisfaction que de se dire qu’il est bien meilleur prostitué que sa mère. Oui, un étudiant en psycho aurait de quoi faire toute sa thèse avec quelqu’un comme Joon Ho. Qu’on ne lui parle pas ceci dit pas de l’analyser, il a horreur de ça. Il préfère être celui qu’il a envie d’être. Renvoyer l’image qu’il a envie de renvoyer selon les personnes.
Au lycée, il est cet étudiant populaire qui joue au basket, chante et joue de la guitare dans un groupe. A la Saint-Valentin, il ne manque pas de chocolats et il semble même avoir beaucoup d’amis. Déconneur, sympathique, on le prend pour un simple lycéen bien entouré à qui tout sourit.
A l’extérieur, il est celui que les clientes espèrent toujours avoir dans leur lit une fois de plus. Mais également celui que quelques gosses de riches s’arrachent en soirée. Comme si ça ne lui suffisait pas, comme s’il voulait toujours plus… comme s’il cherchait à se prouver qu’un type comme lui pouvait réussir, il commence à revendre de la drogue pour arrondir les fins de mois comme il dit. Si sa mère n’a rien trouvé de mieux à faire que de se détruire avec, lui est décidé à n’en tirer que le bon.
Tout commence avec le mari d’une cliente qui le paie de temps à autre pour faire ce qu’il ne fait plus à sa femme, ou ce que Joon Ho fait mieux que lui en tout cas. Il contente son épouse tout en s’offrant plus de temps pour les affaires. Des affaires pas très nets dans lesquels il lui propose d’investir un jour. Et Joon Ho aurait sans doute dû hésiter plus que ça, au moins faire semblant de le faire un peu. Mais pourquoi quand tout lui sourit ?
Et pourtant, jouer régulièrement au con ne lui a pas rapporté que de l’argent. S’il pense pouvoir toujours se démerder, ou alors courir plus vite que ses problèmes, la vie est parfois joueuse au point de vous faire réaliser qu’ils vous rattrapent toujours au plus mauvais moment. Entuber les autres, ça paie de bien des manières.
CHAPTER 5L’amour. Le vrai. Si on lui parlait, c’était le genre de truc qui le faisait intérieurement sourire. Ouais, une vaste de connerie. Un truc pour les niais, un truc pour les autres en somme. Aussi loin qu’il était capable de s’imaginer, Joon Ho ne se voyait pas comme le genre de mec avec une copine, une seule, une vie posée à roucouler, avec des rencards et de délicates attentions sans rémunérations à la clé. Voilà bien une chose qu’il n’avait pas vu venir et sur laquelle il se sentait plus que prêt à passer son chemin. Mais le chemin, il s’est fait d’une balle de basket roulant sur le sol jusqu’aux pieds d’une demoiselle. Hwang Miya. C’était son nom. Un nom qui le hante encore aujourd’hui.
Il ne sait pas vraiment comment il a pu tomber dans le panneau, lui qui était pourtant bien loin de souhaiter lier son existence à une autre. Elle n’a même pas brillé par son lancer. En fait, on lui avait rarement renvoyé une balle aussi mal. Il aurait pu la taquiner de la même manière et passer son chemin avec indifférence. Elle n’avait rien de plus que les autres. C’était juste une lycéenne de plus comme on en voit tant.
Et pourtant. Tout. C’est encore la réponse qui résonne dans son coeur aujourd’hui.
Oui, Miya avait tout… tout de plus que les autres.
Elle était radieuse, elle avait ce truc qui attirait son regard bien malgré lui, elle avait ce don de le faire sourire comme il n’avait jamais souri auparavant… et elle lui donnait cette envie ridicule de faire quelque chose de bien pour elle sans rien attendre en retour. Plus idiot encore, ce besoin de la protéger… il se l’était pourtant juré… de ne plus être ce gosse stupide….
Une amie, rien de plus qu’une amie. Une vraie sans doute. Mais c’est ce dont il essaie de se persuader au début. Pour elle, il est cet étudiant sympathique qui plaisante avec elle, a toujours quelques mots à lui échanger quand ils se croisent. Et à côté, il continue son boulot si respectable… pourtant, bien plus qu’avec d’autres, il espère qu’elle ne l’apprenne jamais. Il espère rester Nam Joon Ho, ce lycéen plutôt cool….
Et comme un idiot, il se met à avoir peur. Parmi les cauchemars qu’il fait, il y en a de nouveaux. Il y a ceux où Miya sait. Il y a ceux où elle le regarde avec dégoût. Ceux qui le réveillent avec cette sensation douloureuse dans sa poitrine… à cet endroit qu’il protège pourtant de barrières depuis tant d’années.
C’est de sa faute. Oui, il pourrait la blâmer pour ça, la détester, parce qu’elle a cette manière de le regarder qui le transporte dans un monde bien trop naïf pour lui. Le regard qu’elle pose sur lui devient à la fois une drogue et une crainte. Et lui qui se sent toujours si assuré se surprend à devoir cacher toute cette confusion qu’elle est capable de déclencher.
Miya. Même son prénom, il l’adore… qu’est-ce qu’elle n’a pas de parfait ?
Rien. La réponse il la connaît, elle est simplement trop bien pour lui. Entre eux, il ne peut y avoir rien de plus que de l’amitié.
Alors il commence par se mentir. Et quand ses sentiments deviennent trop forts pour qu’il le fasse, il les enterre plutôt que de l’avouer. Qu’est-ce qu’une fille comme elle irait foutre avec quelqu’un comme lui ? Du mal… de son côté, c’est tout ce qu’il finirait par lui faire….
Et si d’un coup plus rien ne semble passer après le bonheur de Miya, il s’acharne à jouer les bons amis sans être capable de renoncer complètement à un peu de temps en sa compagnie.
Il aurait sans doute dû… avant que sa folie n’en devienne incontrôlable au point qu’un premier baiser échangé annonce les suivants. Il aurait dû le savoir pourtant, que tout chez cette fille était une drogue. De son rire au goût de ses lèvres. Il aurait dû le deviner que céder un peu plus mettrait dans sa tête des idées étranges. Lui ? Devenir quelqu’un de mieux ? Même à cette époque, ça avait le don de le faire marrer.
Et pourtant, il a essayé.
La drogue, pour Miya, il a arrêté d’en vendre. Son corps, il a cessé de l’offrir. Son appartement dont il était si fier, il l’a rendu malgré les moqueries de sa cliente qui lui assurait qu’il reviendrait. Pour Miya, il s’est lancé dans la grande aventure d’une vie respectable. Un appartement bien plus petit loué avec ses économies, un petit boulot et le plus fou : des projets. Il se trouverait du boulot, peut-être qu’il se lancerait avec sa guitare, mais il deviendrait quelqu’un d’autre.
Et quand il part faire son service militaire après le lycée, il part avec les mêmes envies dans la tête. Si on le charrie souvent pour “sa Miya” là bas, c’est sans doute pour tous ces mots qu’ils s’envoient. Ou alors pour ce sourire qu’il affiche quand ils ont enfin du temps pour se voir un peu. Oui, à l’époque, il était devenu tellement con qu’il y croyait au nouveau Joon Ho. Celui qui passerait sa vie près d’une femme cent fois mieux que lui… en lui cachant tout de son passé.
Il aurait pourtant dû le voir que ça finirait bien par le rattraper. Que la douce vie au pays des licornes ce n’était pas possible pour quelqu’un comme lui. Que se construire un rêve, on ne le fait pas sur un lit de mensonges.
CHAPTER 6De retour de son service militaire, il retrouve Miya. Parce qu’il ne sait pas trop quoi faire de plus, il se fait embaucher en tant que barman. Quelle ironie, après avoir vendu la drogue que consommait sa mère, il sert l’alcool qu’elle a bu en trop grande quantité. Pendant son service, il se fait rêveur au point de faire un peu d’animation, sortant sa guitare et s’installant derrière le micro. Mais finalement, la musique, c’est bien quelque chose qui lui plait pour de vrai. Oui, et quelque chose qu’il aime également faire pour sa petite amie. C’est parfois moche comme l’amour peut vous rendre niais.
Aaaah et niais, il l’a été sans limites. Parce qu’il s’est perdu à faire les choses en grand quand un an plus tard, il pousse la porte d’une bijouterie et cherche la bague faite pour le doigt de Miya. Le Joon Ho du passé se serait bien foutu de sa gueule face à cette demande romantique, genou au sol. En attendant, ce Joon Ho là, il n’aurait jamais pu espérer avoir une fiancée aussi bien que la belle Hwang. Faire sa vie avec une pompier, lui qui allumait autrefois les feux… une ironie de plus dans sa vie. Mais une ironie qui lui fait bien trop envie.
Mais à 24 ans, tout bascule. Il se souvient encore de ce jour où sa main s’est tendue vers le téléphone pour entendre ses beaux parents à l’autre bout du fil. Mais la suite… non, il ne se revoit pas faire le trajet jusqu’à l’hôpital. Ce qui lui revient ensuite de cette journée, c’est de Miya dans son lit, branchée à ces appareils. Des mots de ce médecin qui semblent à la fois si loin… mais bien trop proches de son coeur. De Miya qui dort… dort encore le lendemain et les jours d’après. De ce gouffre sans fond où il passe ses journées à serrer une main qui ne serrera peut-être plus jamais la sienne. A parler à Miya dont il n’entendra peut-être plus la voix. Et de cette idée… qu’au final, à vouloir trop… il lui a tout pris à elle.
Une idée qu’il est bien loin de se retirer quand le passé le rattrape. Quand ses ennuis reviennent en lui présentant l’addition. Entuber les gens, ça marche un temps, sous le couvert de “l’anonymat” ça marche même un moment… mais on finit par croiser quelqu’un qui nous reconnait… même dans notre petite vie si bien rangée qu’on a eu la connerie de vouloir.
Et là d’un coup, ça lui revient. Pourquoi il ne devait pas. Pourquoi il n’aurait jamais dû. Pourquoi Nam Joon Ho ne doit jamais être Nam Joon Ho pour ceux qui viennent lui demander des comptes. Et ses beaux parents comprennent sûrement bien trop tard qu’ils ont ouvert leur porte au pire gendre qu’on puisse avoir.
Alors il s’efface. On pourrait trouver le geste beau, cette décision de protéger Miya et ses parents en jurant de ne plus jamais les approcher... mais il n’en n’abandonne pas moins la seule femme qu’il a jamais aimée sur son lit d’hôpital. En une seule bonne action, il redevient le connard qu’il a toujours été dans le fond.
CHAPTER 7Sa vie, il l’a d’abord refait aux Etats-Unis. Ces trois dernières années, il les a passé à Los Angeles. Rapidement, il a retrouvé ses bonnes vieilles habitudes. Parce que dans le fond il ne peut pas être plus que ça, il s’est refait une clientèle américaine en un rien de temps. A croire qu’il est beaucoup plus simple pour lui de vriller que de s’assagir. A croire que dans le fond, quoiqu’il fasse, il est fait pour cette vie.
Ses années avec Miya ont beau avoir été les plus belles de sa vie, la conclusion qui s’impose ne peut pas être différente. Jouer à être un autre, ce n’est pas pour lui et ça ne l’a sans doute jamais été. Se démerder, c’est de cette manière qu’il est supposé le faire. En vendant son corps à des femmes désespérées ou désespérantes qui pensent pouvoir tout se payer simplement parce qu’elles en ont les moyens.
A mentir et jouer des rôles selon les besoins. Mais les mensonges, dans le fond, il ne les a jamais quittés. La sincérité, c’est sans doute quelque chose qui le dépasse. C’est en tout cas quelque chose derrière laquelle on ne peut pas se cacher.
Et pourtant aujourd’hui, s’il a repris sa vie d’avant à la perfection, avec brio, il y a toujours ce prénom pour le hanter. Ces questions… cette image de Miya dans son lit… ce souhait de l’imaginer comme avant, avec une belle vie… une vie qui n’a rien à envier aux autres. Une vie dont il ne fera jamais partie.
Alors il n’a jamais appelé. Il n’a jamais cherché. Le courage de décrocher son téléphone pour découvrir qu’au final, le joli rêve qu’il fait pour elle n’est qu’une illusion, il ne l’a jamais trouvé.
Il n’a pas plus trouvé celui de se rendre à l’hôpital à son retour à Seoul quelques mois plus tôt. Il y a pensé. Mais en toute logique, c’est chez une ancienne cliente qu’il a terminé. Oui, ça semble bien plus facile de renouer avec ce passé là qu’avec le seul qui a jamais compté pour lui.
Il semblerait toutefois que pour cette partie là, les choix n'aient pas vraiment d'importance et s'il ne pourrait mentir à dire que le retour de Miya parmi les vivants est plus qu'un soulagement pour lui, il a bien envie de demander à Destinée pourquoi lui mettre Dory sur son chemin quand elle serait bien plus heureuse à nager dans un océan éloigné du sien.