Et de ses sourires Leo vous faisait croire que tout allait bien. De ses remarques cassantes, de son humour des plus particuliers il faisait régner une ambiance presque exaspérée. Et il aimait ça. Ne savait pas faire autrement, de toute façon. Attrapait les phrases en vol et les retournait aux envoyeurs d’un naturel déconcertant. Sur ses lèvres un sourire sarcastique dansait, lorsqu’il ne jouait pas les grands indifférents. Lorsqu’il ne prétendait pas, oui, ne rien écouter de la conversation se faisant à côté, le visage presque fermé. Il n’en perdait pas une miette. Se faisait oublier dans son rôle de petit dernier avant d’un coup surgir et étouffer l’espace de sa présence, de son humour désobligeant.

Il les aimait, pourtant, son frère et ses soeurs. Ne s’imaginait pas vivre sans eux une seule seconde, ne pouvait pas respirer sans eux, ne pouvait pas être entier. Ils étaient tout ce qu’il avait toujours connu, et l’idée de les voir s’éloigner lui prenait parfois le coeur, l’empêchant de rationaliser la moindre information. Il les aimait d’un amour profond, d’un amour de jeune enfant. Mais comment leur avouer ? Il était plus simple de faire dans l’humour et d’être blessant, il était plus simple oui de faire dans la dérision plutôt que dans les sentiments. Mais ils savaient, c’était certain : qu’il aurait tout donné, tout sacrifié pour eux. Pour eux il pouvait se mettre sur le côté, prétendre que tout allait bien, pour eux il pouvait se faire oublier puis tout à coup exister. Il aimait entendre leurs rires en soirée et même lors des vacances, aimait sentir leur présence tout près de lui et leur vie se dérouler non loin de ses oreilles. Il aimait même les pleurs qu’ils partageaient, les grosses crises de colère et ces disputes phénoménales finissant par retourner la moitié de la maison. Il aimait tout d’eux, aimait même leurs défauts tant bien même parfois avait-il envie de leur dire à quel point ils en devenaient moches !

Mais lui n’était sans doute pas mieux.
Et c’était un sentiment un peu complexe, de se sentir Yang mais de les aimer autant. Il se demandait, parfois, s’il en était vraiment un. Avait l’impression de vivre dans le passé. Se souvenait de lui enfant suivant Noam partout, entrainé dans ses mauvaises idées. Se souvenait des cris d’Ingrid et de son amour pour les animaux n’en étant pas vraiment. Se souvenait de Robyn si grande alors que lui était si petit. Ne se souvenait que d’eux : les aimait et savait qu'ils l’aimaient. Il sortait de son antre non pas uniquement pour voler leurs bien précieux et les revendre l’air de rien, mais également pour les croiser, les regarder et les rejoindre dans tout ce bordel qu’était leur grande famille. Il n’y avait pas de respect, chez les Yang. Du moins, pas celui auquel on pensait premièrement. Sans doute étaient-ils nobles, sans doute étaient-ils gentils : mais ils n’avaient jamais fait dans la dentelle.

Les familles bruyantes étaient peut-être les plus heureuses, au final.

C’était sans doute à ce moment là qu’on se demandait, oui, qui pouvait bien être Yang Leo. Le frère de Robyn, le petit dernier, celui après les jumeaux. Celui qui, au final, n'avait que très peu de souvenirs d’Amérique. Et qu’était-il hormis tout ce qu’ils étaient eux ? Éponge il avait absorbé leur bonne humeur, avait reproduit leurs bêtises et de sa maladresse les avaient sans doute accentuées sans même s’en rendre compte. Il s’était lui-même mis à crier, à gesticuler. Était même allé jusqu'à vomir après que son frère l’ait fait boire jusqu’à l’excès, pour le bien de la première cuite.

Mais qui connaissait vraiment Leo ? Alors que lui-même n’était pas certain de savoir qui il était, alors que lui-même était, oui, incapable de vous le dire.

Le calme après la tempête, sans doute. Une existence perdue dans ce méli-mélo que formait sa chère famille. Qu’était-il autre l’influence de sa fratrie ? Qu’était-il autre que cet humour le protégeant, ces pics lancés à la volée, ces petits détails qui montraient, au final, à quel point il observait. Rien ne lui échappait, les détails étaient une chose qu’il tenait secrètement à coeur. Et il aimait observer les autres, les gens, même les inconnus. Les rendait sans doute plus que mal à l’aise mais il n’avait, au fond, jamais compris les codes sociaux : qu’ils soient américains ou coréens. Sa famille était bien trop diverse et il était bien trop influencé, bien trop balloté pour chercher à les comprendre.

Il était immature, se trouvait dans l'entre-deux de l’enfant ayant grandi trop vite mais restant, encore, enfant. Alors d’un coup, parfois, il s’emportait; montrait au monde mais surtout à ceux lui étant le plus proche à quel point il pouvait être impulsif, presque méchant. Mais l’était-il vraiment ? Alors qu’au fond il était si blessé que chaque attaque n’était liée qu’à un mécanisme de défense, à des acidités en lui qu’il n’arrivait à oublier ? Car il n’oubliait pas, Leo, ou difficilement. Et ce n’était pas de la rancune, juste des plaies qui n’arrivaient à guérir.

Leo qui tendait entre l’extraversion et l’introversion, perdu dans tous ces cris et cette bonne humeur ambiante. Et il ne regrettait rien, ne regrettait pas sa vie ni ses choix : ne savait plus juste distinguer le vrai du faux, le joué du sincère. Et peut-être aurait-il du s’en ficher, car tous ces traits quoique contradictoires le formaient tout entier, mais il ne pouvait s’en empêcher. Avait toujours trop pensé, trop bien trop vite trop loin. S’était enfermé avec le temps dans un monde dont lui seul avait les clefs. Ses mécanismes étaient à présent bien trop complexes pour que quiconque en saisisse les nuances, les indices. Il était perdu dans un monde ou ses pensées rugissaient puis s’apaisaient, le hantaient. Il était perdu dans un monde lui étant propre et pourtant, pourtant il le vivait bien.

Grandissait doucement, était sans doute très différent de l’image qu’il renvoyait à la maison. Était sans doute bien plus désintéressé qu’on pouvait le croire, indifférent. Ses rêves n’étaient qu’un objectif qu’il allait atteindre haut la main, sa famille une chose qu’il se devait de protéger tant bien même n’était-ce pas son rôle, pas sa place.

N’était sans doute, encore, qu’un gamin.