La pluie au bout des doigts.
Paume offerte à l’averse, fascination à peine voilée au fond des yeux. Elle regarde les perles célestes s’écraser sur sa main, rouler le long de ses doigts, puis poursuivre leur chute vers le bitume. Peau rougit et chair engourdie n’affecte pas son adoration pour la scène pourtant banale. L’ondée est si soudaine qu’Ingrid est partiellement trempés. Parcourir les derniers mètres en courant a écourté son souffle. Pourpre aux joues, une cascade de pluie dans ses mèches blondes. Qu’elle aime cette beauté singulière de la ville sous l’eau. le bitume qui fait miroir et les rues qui se vident.

Elle arrache sa main à la morsure hiémale et recule à l’abri de l’avancée de béton qui surplombe l’entrée du cinéma. Dégaine son portable presque automatiquement, vaine tentative de faire passer le temps. Elle trépigne en essuyant l’humidité qui a couvert l’écran, et son sourire se fane à l’absence de message. Déception qui se comptent par centaines jour après jour, dans le cœur de la gamine égarée dans ses propres sentiments. Elle range l’objet de sa contrariété. L’eau se fracasse de plus belle sur l’asphalte.

Elle voit Nam Kyu ce soir. Motivation suffisante pour tremper sa carcasse. Pour rien au monde elle ne raterait leurs soirées cinémas. Et qu’importante s’ils s’installent au fond de la salle pour parler sans déranger. c’est toujours qu’un prétexte pour se voir de toute façon. Un instant rien qu’à eux, dans l’intime obscurité des salles ténébreuses. Leurs goûts cinématographiques similaires les ont trop vite rapproché, même si la relation ne se résumait à l’origine qu’à se croiser à la librairie de temps à autre. Le destin capricieux a bâti leur amitié, et Ingrid ne peut que la chérir à présent.

Il n’est toujours pas là, et elle trépigne davantage. Son retard la motive à pénétrer dans le bâtiment. Son corps s’enveloppe d’une douce chaleur. Elle achète deux tickets pour le film qu’ils ont prévu de voir, inquiète à l’idée de manquer le début. Dans la queue pour le pop-corn, elle observe avec dégoût un couple un peu trop démonstratif. Le mépris dans son soupir semble les alertés, car ils lui décrochent un regard scandalisé. Son malaise la pousse à détailler les alentours, et ses yeux captent ceux de son rendez-vous. Nam Kyu vient d’entrer dans la bâtisse. « Dépêche-toi ! le film va commencer ! » elle agite une main pour qu’il la rejoigne et paye le popcorn dans la foulée. « tu faisais quoi ? t’avais oublié qu’on sortait, avoue ? » Ton faussement accusateur que son air espiègle compense largement. Elle lui tend son billet, le sourire radieux et l’impatience intelligible dans ses prunelles sombres. Des mois qu’elle attend la sortie de ce film. « ça commence dans 15 minutes, tu veux aller t’installer maintenant ou on laisse passer les pubs ? »

il observe la pluie se fracasser sur les murs froids de la ville d'un oeil morne. les silhouettes se pressent. les lumières vacillent sous l'averse. un frisson lui parcourt l'échine à l'idée de faire face aux intempéries qui se déchaînent sur seoul. il rêve plutôt de la chaleur de sa chambre et d'une tasse de café entre ses doigts. seulement il n'a pas le choix, nam kyu. il a sa soirée avec ingrid, comme toujours. même s'il ne l'avouera jamais de vive voix, c'est devenu un point de repère, une ancre dans la vie. une amie à laquelle il s'est attaché sans vraiment le réaliser. alors qu'importe s'il pleut, si une tempête règne au dehors, il ne louperait jamais une soirée avec elle. le gamin pousse un soupir exaspéré en regardant sa montre. les transports sont ralentis à cause de la circulation un peu plus dense. il voit les minutes défiler avec de plus en plus d'appréhension. il espère ne pas arriver en retard. il imagine déjà son amie l'attendre sous la pluie béante. il se rue presque dans la rue quand il arrive à destination. le cinéma n'est pas très loin mais l'heure du rendez-vous est déjà passée. il court le plus vite possible vers le bâtiment, se moquant bien de sentir l'eau fraîche maculer son corps entier. la chaleur du cinéma lui arrache un soupir de soulagement tandis qu'il secoue ses mèches humides. « dépêche-toi ! le film va commencer ! » ses iris trouvent ingrid rapidement. il la rejoint, déjà blême à l'idée du sermon qu'elle va lui servir pour son retard. « tu faisais quoi ? t’avais oublié qu’on sortait, avoue ? » il secoue la tête, conscient qu'elle le taquine plus qu'autre chose. « j'ai été retardé par les transports. j'ai fait au plus vite comme tu peux le voir. » ses joues sont encore rougies par l'effort et il est trempé de la tête au pied. les employés l'observent par ailleurs avec un air de reproche devant l'état du sol. il leur offre un regard désolé, s'efforçant de chasser les gouttes d'eau qui dégoulinent le long de son visage. ingrid lui tend son billet qu'il tente de ne pas abîmer avec ses doigts gelés. « ça commence dans 15 minutes, tu veux aller t’installer maintenant ou on laisse passer les pubs ? » il fait mine de réfléchir mais elle connaît déjà sa réponse. ils ont l'habitude de s'installer à leur place fétiche, comme isolés du monde. ils ignorent les publicités plus qu'autre chose avant le film, se contentant de donner leurs espérances concernant le film ou de parler de leurs dernières mésaventures. « tu poses vraiment la question ? » il lui sourit avec un air taquin alors qu'il l'entraîne vers la salle indiquée sur le ticket. il se dirige naturellement vers le fond de la salle et leurs sièges préférés. il retire sa veste avant de s'installer, jetant un coup d'oeil aux friandises qu'elle tient entre ses bras. « tu penses que ça va suffir pour nous ? » il est sérieux, nam kyu. la dernière fois, ils avaient terminé tout le pop corn avant même le début du film. il sourit davantage à ce souvenir tandis qu'elle prend place à ses côtés.

Namkyu a toujours joué le rôle de l’apaisement. Est-ce son calme, ou cette candeur partagée (qu’il assume tellement mieux qu’elle) ? Elle se sent proche de lui, similaire, et quelques part avec lui, elle se sent autorisée à lâcher prise. Abandonner sa colère, ses doutes, ses masques de fiertés qui fanent son cœur. Elle n’a pas honte d’être elle-même avec lui, sentiment reposant qu’elle ne peut souhaiter sacrifier. Entre taquineries et confiance mutuelle, leurs rendez-vous sont toujours un moment privilégier de sa semaine. Une pause à l’âme. L’actrice sourit dès qu’il apparait, trempé, les mèches luisantes de pluies. Malgré le soulagement de le voir arriver à l’heure, c’est d’une pic qu’Ingrid l’accueille, fidèle à elle-même, mimant l’outrage sur son visage si malléable. « Mouais Mouais, je vais me contenter de cette excuse pour cette fois. » Son index autoritaire bat le vide, un rire éclate entre ses lèvres comme une série de bulles. Elle sort de sa poche un mouchoir en papier duquel elle tapote la pommette de son ami pour en absorber l’eau. « tiens, sèche toi un peu, on dirait un clochard.» L’essuie fini entre ses doigts rougit, qu’elle réchaufferait bien entre les siens s’ils n’étaient pas eux-mêmes gelés. « Quel temps de chien. t'as l'air gelé, ça va ? » soupirs. « on sera plus au chaud dans la salle. » il se dirigent vers la salle désignée par leur billet puis louvoient dans l’allée jusqu’à leurs places préférées, au fond de la salle. La semi-pénombre emplit le cœur d’ingrid d’un réconfort brûlant. Elle se sent chez elle ici, au chaud dans la pièce aux bruits tamisés par la moquette. Dans le velours écarlate des fauteuils, elle pourrait volontiers s’endormir. Les cinémas ont toujours eut un écho particulièrement chaleureux pour la petite brune, depuis ses jeunes années où, les mercredi après-midi pluvieux, ses parents les déposaient au cinéma pour occuper leurs journées bordées d’ennuis. Namkyu lui, semble préoccupé. Son visage flotte dans l’obscurité comme une lune pâle à la lueur de l’écran qui vient se s’illuminer. Il désigne le paquet de mais soufflé entre ses doigts, et elle lui tend dans la foulée pour qu’il se serve. « On pourra toujours aller en rechercher à l’entracte, y en a un ici non ? Sauf si tu veux y aller maintenant ? » tout deux savent pertinemment que le paquet ne fera pas long feu, ou du moins pas la longueur du film. « Ou alors on va chercher des nachos ? » Proposition hasardeuse qui fait écho à son avidité. « Avec plein de fromage et du guacamole ? » sa voix frémit d’envie, alors qu’elle cherche l’approbation dans les yeux de son comparse, comme pour partager les remords d’un tel péché de gourmandise.