Where there's tears, there's hope. Left you my tears, remember ?
©crackintimeTokyo, 1999
La Corée du Sud, quel pays charmant et accueillant. De l’argent à flot, des jouets en pagaille, de la nourriture délicieuse, pas une once d’appréhension ou de jugement dans le regard des gens, de la bienveillance et de la chaleur pour tous, de l’acceptation et de la solidarité partout, voilà ce que le père de Nao, fervent admirateur du pays du matin calme, lui avait répété maintes fois alors que la petite pleurait à chaude larmes, ne voulait guère quitter son pays natal. Depuis le berceau Nao avait déménagé trois fois et déjà du haut de ses 5 ans elle était en mesure de comprendre que quelque chose ne fonctionnait pas dans sa famille. Peut-être était-ce cette odeur d’alcool que sa mère trimballait un peu partout dans la maison lorsqu’elle rentrait tard le soir (ou tôt le matin), peut-être était-ce le regard apeuré de ces gens qui la fixait marcher dans la rue lorsque son père l’emmenait à l’école, peut-être était-ce cette impression désagréable d’être surveillée, épiée, suivie par des inconnus lorsqu’elle avait l’occasion de mettre un pied dehors ou bien étaient-ce ces hommes en noir constamment chez eux qui refusaient qu’elle ne pose un pied dans le salon ? Toujours est-il que ces hommes qu’elle avait l’habitude d’appeler tontons n’étaient pas bien méchants. Ils étaient imposants, semblaient faire fuir les passants mais elle n’en avait pas la moindre peur. Avec eux, elle se sentait en sécurité et surtout forte, très forte. Il suffisait qu’elle rentre avec une égratignure pour que deux de ses tontons préférés ne sortent dehors pour retrouver un coupable potentiel et lui passer l’envie de l’approcher. Elle ne comprenait pas grand-chose mais elle savait une chose : avec eux, elle était intouchable.
Il suffisait qu’un de ses tontons entre dans la maison pour être gâtée de cadeaux en tout genre. A 8 ans une voiture des années 70 flambant neuve l’attendait déjà pour sa majorité, des bijoux ornaient ses petits poignets et ses jouets remplissaient la nouvelle maison. Jusque-là, elle ne s’était jamais demandé d’où provenait cette vie luxueuse qu’elle menait. C’est lorsque dans sa nouvelle école un élève lui demanda la profession de son père qu’elle comprit comment ce train de vie était parvenu jusqu’à elle. Elle vantait que son père était un héros, qu’il ramenait beaucoup d’argent à la maison, que ses tontons l’aidaient beaucoup. Son interlocuteur agacé, un simple enfant jaloux à vrai dire, osa a peine l’effleurer que deux de ses tontons débarquèrent au beau milieu de la cour d’école pour attraper l’enfant. Il avait beau crier et se débattre, il ne faisait pas le poids face à ces deux mastodontes. Nao ne comprit pas pour quelle raison ils étaient intervenus mais lorsqu’elle les suivit jusqu’à la voiture, elle fut interdite d’y pénétrer. Jalouse et persuadée de manquer un jeu, elle s’esclaffa ne plus vouloir revoir cet enfant. Et en effet, elle ne le revit jamais. Lui comme ses parents disparurent le lendemain sans laisser de trace. Ils seraient parait-il partis du pays avec un père endetté jusqu’aux os. Depuis ce jour, aucun enfant n’osa approcher Nao, aucun être humain censé n'aurait tenté de l'approcher. Mais surtout depuis ce jour, elle comprit la vérité : personne ne l'approcherait jamais en connaissance de cause, personne n'essayerait d'être son amie mais personne ne voudrait être son ennemi. Personne ne voudrait s'approcher d'elle, partager son goûter ou ces histoires de dragon. Pourquoi ? Parce que son père était le dragon en question. Parce que son père avait le pouvoir de chasser qui que ce soit de la ville. Ici, c'était son royaume, son territoire. Oui, c'était un mafieux.
From Tokyo to Seoul, 2003
Accepter que son père ne fût pas comme les autres n’était pas vraiment difficile pour Nao. Après tout sans lui elle n’aurait pas les plus beaux vêtements de l’école ni les meilleures technologies possibles. Pour autant la seule épreuve difficile pour elle était de ne pas pouvoir fréquenter n’importe qui sans que ses tontons ne s’emmêlent. Il était pour elle impossible de se faire des amis et plus le temps passait, moins elle avait envie de s’en faire. L’image qu’on lui renvoyait des inconnus la répugnait. Les autres la craignaient de peur de représailles et son caractère ne l’aidait pas. Pourrie-gâtée, exigeante et imprévisible elle avait causé le départ de nombreux professeurs au cours de sa scolarité à seulement 11 ans. Si les enfants la craignait, les adultes encore plus. Sa seule passion fut les chats, en grandissant elle devint une fan incontournable des félins si bien qu'elle supplia son père de lui en acheter 3 différents, exactement comme son dessin animé préféré, Sailor Moon :
Luna,
Artemis et
Diana.
Elle n’avait jamais connu l’amour d’une mère puisque celle-ci avait été mise à la porte par son paternel tant elle lui réclamait de l’argent et cette harpie n’avait pas essayé de reprendre contact avec sa fille. Du moins c’est ce que tout le monde pensait. A 11 ans Nao dû faire face à l’imprévisible : à sa sortie d’école on essaya de l’enlever. Sa mère au bras d’un homme d’un clan opposé au sien venait la réclamer et refusait de la laisser rentrer auprès de son père. Elle ne reconnaissait pas le visage de sa mère tant il était imbibé de produit esthétique (paillettes et rouge à lèvre en tout genre) et l’homme qui lui faisait face ne l’inspirait guère confiance. Ses protecteurs habituels avaient débarqués presque instantanément mais la réputation de leur adversaire les empêchait d’agir. Nao qui n’avait pas la langue dans sa poche s’était alors permise de juger l’apparence de cet homme froid en refusant de partir avec eux et celui-ci répondit immédiatement par la force. Une gifle, une trace de main sur sa joue, un souvenir que la jeune fille n’oubliera jamais. Elle qui n’avait jamais été touché par qui que ce soit venait de subir l’affront de sa vie. Son père débarqua quelques secondes plus tard armées de dizaine d’hommes pour régler ce qui devait être une petite affaire. Pourtant cette action déclencha une guerre au sein de la petite mafia japonaise dans laquelle évoluait son paternel et dans le cas présent provoqua le départ de Nao en Corée du Sud.
Rangez vos serments, sortez les diamants
☾☾ 2003 to nowadays
L’hiver glacial, les routes verglacées, les arbres immobiles et dépeuplé de toute forme de vie, des rues désertées par le froid, était-ce donc tout ce que son père avait à lui offrir ? Pourquoi ne l’avait-il pas envoyé à Tahiti, sur une simple île paradisiaque et chaude ou son seul soucis n’aurait été que l’indice 30 de son huile bronzante ? Dès l’instant où Nao avait posé les pieds dans cette ville, elle avait compris que sa vie précédente ne lui reviendrait plus jamais. Ici, personne ne la craignait, ici personne ne la respectait, ici, personne ne la connaissait. L’enfant qui avait été habituée à être choyée et surprotégée par ces grands hommes en noirs (qui ne la suivait désormais plus par ordre de rester discret) se retrouvait presque abandonnée dans un luxueux appartement de Gangnam avec pour seule compagnie une femme de ménage ingrate qui n’avait même pas la décence de rester dormir le soir . Son prétexte ? Devoir s’occuper de sa famille. A quel moment la famille d’un tiers devenait plus importante que son propre confort personnel ? Nao ne comprenait pas et n’était pas décidée à comprendre. Son père chéri ne venait même pas la voir, mais il insistait pour l’appeler chaque semaine. Et chaque semaine, c’était le même cinéma. “Je veux rentrer à Tokyo. L'école pue, les élèves sont moches et les professeurs m’obligent à travailler. Papa ramène moi à la maison je t’en supplie...” mais même ses plus belles larmes ne faisaient le poids face à l’inquiétude d’un père qui préférait sa fille loin du pays Nippon. Vous trouvez cela étrange de prendre des mesures aussi radicales pour une simple gifle n’est-ce pas ? Et vous avez totalement raison.
Être anciennement Yakuza et trainer dans le milieu mafieux, ce n’est pas simplement se quereller. C’est aussi et surtout, faire des affaires tout en se faisant respecter. Le père de Nao lui cacha ainsi ses affaires sombres et son nouveau marché sur lequel il s’était penché : le Traffic d’arme au profit du moyen orient. Tout homme d’affaire sait prendre des risques et en connait les conséquences, il savait ainsi que sa fille serait bien plus en sécurité loin des ragots de sa mère et des affaires illicites dans lequel il baignait.
Nao ne l’entendit évidemment pas de cette oreille. Ses caprices étaient connus dans toute l’école et peut-être était-ce la culpabilité qui l’emportait mais son père se faisait de plus en plus docile face à ses réclamations. Elle pouvait tout avoir sauf : revenir au Japon, revoir sa mère, avoir un petit-copain. Et cette dernière règle fut très vite enfreint. Quelle adolescente obéirait sagement à son père et se priverait de petit-ami lorsqu’on a un physique aussi avantageux que le sien ? De plus, l’envie de s’échapper et d’enfreindre les règles ne l’avait pas épargné. A 16 ans elle avait déjà élaboré maintes fois des plans tordus pour échapper à la nouvelle surveillance de son père qui ne manquait pas d’imagination. L’école n’était pas sa priorité mais les cours obligatoires que lui payait son père se montraient efficaces...le jour. En contrepartie, elle n’avait aucun mal à inviter ses tontons à la maison pour boire un verre et les droguer discrètement pour sortir le soir. A 18 ans la ville n’avait plus de secret pour elle ; Itaewon, Hongdae, les quartiers universitaires, les boites de Gangnam, elle avait tout essayé et s’était imposée comme une véritable habituée. Ses premiers tatouages ornaient désormais ses bras, un piercing au nez, des cheveux de plus en plus clairs, Nao semblait inarrêtable dans sa conquête à la liberté. Pour autant hormis son père, une chose la retenait pied et point lié à sa vie d’antan : sa dépendance à l’argent.
Le seul vrai entourage qu’elle connut fut au lycée, lorsqu’une bande de lycée baroudeur s’était intéressé à son premier tatouage. Un signe distinct, seulement connus par son clan qui lui rappelait ses origines. Elle avait commencé à les côtoyer et à accepter leur présence malgré leur différente catégorie. Peut-être pouvait-on même apercevoir les prémisses d’un premier amour puisque Nao n’avait d’yeux, sans s’en rendre réellement compte, que pour l’un d’eux. Il lui avait appris à conduire une bécane, sécher les cours et se réfugier dans des hangars pour refaire le monde à sa manière. Ils entraient ensemble dans des endroits désaffectés où elle n'aurait jamais mis les pieds, ils exploraient des lieux interdis et s'essayaient à tout ce qu'ils pouvaient imaginer. Pour la première fois de sa vie, elle avait envie d’en connaître plus sur quelque chose, sur un monde, un milieu ou juste une personne. Elle goûtait quelque chose de nouveau, d’interdit, mais totalement excitant. Ses premières soirées alcoolisées, ses premiers vrais baisers, ses traces laissés sur les murs à des heures tardives et ses esquisses qu’elle dessinait le jour en se remémorant les plus belles soirées de sa vie. Son caractère changea et la petite fille superficielle devenait de plus en plus rêveuse. Si rêveuse qu'elle en oublia qui était son père.
Son paternel n’en fut comme vous l’aurez deviné, pas de cet avis. De passage à Seoul il s’empressa de remettre les choses à leurs places si bien qu’aucun de ses amis ne voulut côtoyer Nao depuis ce jour. Elle n’a jamais su de quelle manière son paternel s’y était pris, mais ils étaient tellement terrifiés à l’idée de la revoir qu’elle n’avait guère besoin d’imaginer. Elle en a beaucoup voulu à son père et son cœur fut pour la première fois brisé. Pour autant, Nao qui avait désormais appris à se battre créa sa contre-attaque. Pour le plus grand plaisir de son père elle poursuivit ses études à l’université et étudia sérieusement le jour, la nuit en revanche, elle devint une tout autre personne. Se créant son petit monde et ses connaissances, elle s’entoura des meilleurs hommes de la ville pour résoudre sa dépendance à l’argent.
Aujourd'hui elle vit pour le plaisir, se passionne pour le tatouage et cache régulièrement son identité aux hommes qu'elle côtoie. Personne ne doit savoir qui est son père, et son père ne doit pas savoir qui elle côtoie.