Elle esquive maladroitement un des nombreux cartons qui jonchent le sol, retrouvant sa place à genoux sur son lit pour se débarrasser des morceaux de scotch et de papier restés collés au mur. Tous les efforts sont rassemblés pour effacer les traces du passé et le pli entre ses sourcils ne se défait que quand une autre présence s’impose dans la pièce. Son regard se précipite sur la masse de cartons, presque apeuré, désireux de les faire disparaître avant que sa mère ne réalise leur contenu.

« Alors Noelle, qu’est-ce que tu fais ? »

Ladite Noelle se racle la gorge, froisse quelques bouts de papier arrachés au mur et les enfonce au fond de sa poche pour les jeter plus tard – ses doigts frôlent un emballage de Carambar et quelques vieux tickets de caisse oubliés là et elle se rappelle vite le destin de tous les papiers qu’elle condamne dans ses poches.

« Je nettoie, répond-elle en un souffle fatigué en descendant du lit, c’est devenu à la mode, les chambres minimalistes, tu sais. »

Loin est l’époque des murs recouverts de posters, photos d’amis et gribouillis en tous genre. Maintenant, la chambre Tumblr par excellence, c’est des guirlandes lumineuses, deux photos encadrées d’un pont avec un des citations soi-disant inspirantes et un aloe vera solitaire qui a coûté une blinde et qui est en train de crever.

« T’as gardé toutes tes babioles, pourtant. »

Elle soupire, yeux levés au ciel et bras croisés sur sa poitrine telle une ado prise dans ses propres mensonges. Le regard fuit vers les nombreux posters de films et polaroids de sorties entre amis ayant survécu à son nettoyage impulsif avant de se reposer sur la silhouette maternelle, trop tard pour l’empêcher de se plonger dans les boîtes et en sortir le contenu. Un papier fièrement entreposé dans un cadre doré mais dont la valeur repose dans les inscriptions : diplôme du premier prix de solfège. Lettres imprimées noir sur blanc, elles font remonter en Noelle un sentiment désagréable et l’amertume de l’encre lui envahit le palais.

Elle s’en distrait en prétendant continuer son rangement, dos tourné à sa mère et priant silencieusement qu’elle ne soit plus là lorsqu’elle se retournera. Le silence, bien que gênant, lui inspire un soulagement momentané qui s’effondre aussitôt que sa mère reprend la parole. Elle aurait pu lui dire que Rihanna ne sortira jamais son neuvième album que ça l’aurait moins brisée.

« Tu étais tellement douée à l’époque, tu sais. »

Grimace de douleur, sourire maladroit, tentant à la fois de cacher son malaise et de le transmettre suffisamment pour mettre fin à la conversation. Noelle sait. Elle sait et c'est ça qui la ronge depuis si longtemps. Ses yeux évitent ceux de sa mère, fixent des bouts de scotch encore collés à la moquette qu'elle oubliera sans cesse d'enlever plus tard. Elle était si fière d'elle, tout le monde l'était. Peut-être que c'est toujours le cas. Peut-être que dans son regard, il y a toujours cette étincelle qui croit en elle, la pousse à aller de l'avant. Alors Noelle daigne enfin lever la tête et le braver.
Elle aurait aimé y lire autre chose que de la déception.