Novembre 2016.

T’as presque le monde à tes pieds et puis soudainement… Plus rien. En une fraction de secondes, tout s’effondre. Un test, un seul, et ta vie part en poussière. Tu sais pertinemment ce que ce « + » va changer dans ta vie et comment il va le changer, c’est juste que t’as peur d’entrer dans cette tempête. Tes mains tremblent… Tes yeux se noient. Dans le doute, tu en fais plusieurs, tu descends une bouteille d’eau de 1,5L en une heure parce que t’as besoin d’en avoir le coeur net. Et puis au bout de 6 tests positifs, je crois qu’il est bien temps de te rendre compte de tes conneries. T’es enceinte à 16 ans. Ça aurait pu passer si t’avais une vie stable, mais c’est pas le cas.
Rétrospective.
Fille d’un couple populaire. Ton père est un connard, mais avant d’être un connard, il est à la base agent immobilier qui vend les plus beaux appartements de la ville, actuellement en proie de devenir ministre dans le nouveau gouvernement. Ta mère, mannequin ayant connu ses années glorieuses dans sa vingtaine, vit désormais le grand amour et sa meilleure vie à Dubaï, dans les bras d’un héritier qatari. Le divorce a eu lieu il y a presque 10 ans maintenant et c’est de ta faute si tes parents se sont séparés. Ton père te malmenait, ta mère prenait ta défense, et tu étais le sujet de leurs disputes. Et le comble du comble, c’est qu’elle n’a même pas gagné ta garde parce que ton père l’a menacé de toutes les façons possibles pour que tu restes avec lui. Peur d’être seul, sûrement. Et au milieu, toi. Miree. Trop gentille, trop douce pour ce monde de brutes. Peut-être trop exigeante si on devait te trouver des défauts, trop possessive, mais si ce n’était que ça… Les gens te donneraient le bon Dieu sans confession. Et pourtant, tu fais partie d’une bande très peu appréciée par le public. Les Juyohan, Majors en anglais. Qui vous êtes? La crème de la crème, fils et filles des gens les plus influents de leur génération. Par chance, vous avez approximativement tous le même âge et la rencontre était prédestinée, sur les bancs de l’école maternelle la plus huppée de la ville. Vous avez grandi ensemble, vous avez vite appris qu’il n’y aurait aucune justice pour vous dans ce monde, les gens ne vous aimaient pas, ils étaient jaloux. Alors vous avez fait de cette union votre véritable force, et vous avez formé votre propre famille, parce que vos background familiaux laissaient un peu à désirer. Ainsi est née cette anarchie que vous vouliez créer au lycée. Et quand vous affrontiez le corps enseignant, la direction finissait par baisser les bras, de peur des représailles de vos parents.
Lequel, parmi vous, était le plus à craindre?
Ra Jin Young, sans aucun doute. Petit-fils du PDG de Shinhan, et de toute façon, son mètre quatre-vingt treize passait l’envie à tout le monde de lui chercher des noises. La seule, au final, qui n’a jamais eu peur de l’affronter, c’était toi. Toute cette masquarade, ce jeu du plus fort, à celui qui humiliera le plus fort, ça ne te plaisait pas. Tu cherchais la tranquillité, tu voulais te souvenir de tes années lycée et les vivre comme n’importe quelle autre lycéenne mais tu étais de toute façon reliée aux Juyohan. Alors, ta seule façon de leur échapper, c’était de trouver une attache extérieure: Sanghyun. Un garçon qui ne s’était jamais laissé faire par tes amis. Tu t’es rapprochée de lui en voulant lui venir en aide, les sentiments sont nés, et vous avez vécu une belle histoire d’amour. C’était de ce genre de vie lycéenne que tu voulais. Celle d’une ado normale. Tu t’es laissée tomber dans ce flot d’amour pour la première fois de ta vie, il a été ton tout premier pour tout. Premier baiser, premier rancart, premiers émois amoureux, première fois et bien d’autres. Mais grâce à lui, tu démarquais du reste de la bande, les lycéens ne te considéraient plus vraiment comme une des leurs et tes affrontements avec ton meilleur ami Jinyoung se faisaient de plus en plus récurrents. Les Juyohan répandaient la terreur, tu essayais de réparer leurs conneries en prêtant main forte à leurs victimes. Ce qui était vu comme une trahison. Et un jour, Jinyoung t’a arraché la broche de la couronne que tu portais pourtant fièrement sur ton cardigan. Il t’a gueulé dessus, mais tu n’as pas baissé les yeux. Tu pensais qu’il allait être violent mais c’est le mur à côté qui a pris. Tu as fermé les yeux et tu as écouté ton coeur battre la chamade. Ce que tu détestais te disputer avec lui… Tu voulais simplement retrouver celui que tu avais connu quand t’étais petite. Avec un coeur accessible. Mais il a disparu. Et il a emporté avec lui ton amour inconditionnel.
L’amour d’une meilleure amie.
Pas celui d’une jeune femme.
Le fait de ne pas vraiment le reconnaître a fait naître en toi quelque chose que tu n’avais jamais ressenti avant. Une obsession, une admiration secrète. T’es tombée dans le déni. Et t’as continué ta petite vie tranquille avec ton copain.
Jusqu’à il y a quelques jours où tu l’as quitté au bout d’un an d’histoire parce qu’on te l’a gentiment demandé, et parce que tu es trop docile, tu l’as fait. Ça a été déchirant, horrible. Tu ne pensais pas le vivre si mal, et dans un élan de désespoir, tu t’es réfugiée dans les bras de Jinyoung parce que les choses étaient ainsi, c’était toujours dans ses bras que tu retrouvais un peu de réconfort. C’était la magie de votre relation, aussi rancunier peut-il être, quand il s’agit de toi, il peut passer l’éponge. Et il avait une façon de te remonter le moral qui lui était propre: quelques joints, des films comiques, un saladier de pop-corn et de bonbons et voilà comment éponger un peu ta tristesse.
Tu te souviens t’être endormie rapidement cette nuit-là dans ses bras mais ce dont tu ne te souviens pas, c’est que les choses ont totalement dérapé. Et si aujourd’hui on te le disait, tu éclaterais de rire au nez de la personne.
Pourtant c’est la vérité, hier soir, t’as bien couché avec ton meilleur ami. Mais on va éviter d’en rajouter une couche, pour le moment, tu dois encore te débrouiller à annoncer à ton père que t’es enceinte de ton ex parce que vous ne vous êtes pas protégés.

Et comme tu t’y attendais, ton père est entré dans une colère noire. Le fait d’être aisé et connu permet les bons contacts dans les hôpitaux et tu savais que tu serais entre de bonnes mains pour procéder à l’avortement. Il t’a accompagné, mais avant l’avortement, il faut passer une échographie, c’est comme ça. Et c’est quand on t’a fait l’échographie que tu as compris que quelque chose n’allait pas à la figure du gynécologue. Tu ne voulais pas regarder l’écran, et puis finalement, t’as pris ton courage à deux mains pour regarder. Tu ne comprenais rien à ce que tu voyais mais tu as entendu le mot « déni » et ton coeur a raté un battement.

Que se passe-t-il alors quand on est enceinte déjà de 5 mois et qu’on a fait un déni de grossesse? On pleure, et on se maudit de ne pas avoir été plus vigilante. Ton père était fou, et de toute façon, sa décision était déjà prise: t’allais partir à Dubai rejoindre ta mère pour accoucher là-bas puisque les services de l’hôpital refusaient de procéder à un avortement à un stade aussi avancé. Même pour un futur ministre, y'a pas de favoritisme.

Expulsée du pays par ton père, ouais. Exilée, c’est ce que tu es désormais. Une fille poussée à l’exil avec seulement un sac, le minimum d’affaires, parce qu’il fallait vite que tu disparaisses du pays. Ton père n’aurait pas supporté être mêlée à ton nom et ta grossesse juvénile, ça aurait foutu sa campagne en l’air. Tu sais très bien que ton père ne t’a jamais aimé, mais à ce point… C’est… terrible. Tu quittes tout ce que t’as du jour au lendemain, en un jour, tout s’est brutalement terminé et tu n’as même pas eu le temps de leur dire au revoir. Tu n’as pas eu le temps d’expliquer à tes meilleurs amis ce qui s’était passé mais les choses sont ainsi faites. Ton père t’a fait quitter le pays sans ton téléphone non plus. Moins de gens savent ce qui s’est passé, mieux ce sera pour lui.

Tu regardes les lumières de Séoul s’éloigner alors que le jet privé monte dans le ciel. Tes larmes ne cessent de couler depuis une heure, t’es épuisée. Vraiment. Tu n’as qu’une hâte, te réfugier dans les bras de ta mère pour pouvoir t’y reposer. Mais c’est dur pour toi de te dire que tu vas avoir un bébé à ton âge, en fait, tu ne réalises pas encore. Tu ne fais que passer nerveusement ta main sur ton ventre étrangement plat pour le moment, tu te demandes où est passé ce bébé que tu ne sens même pas…

Quelques jours plus tard, ton ventre s’est enfin révélé. C’est un automatisme qu’ils disent, quand ton cerveau prend conscience que tu es enceinte, le bébé ne se cache plus, il se révèle, et tu t’es retrouvé avec un joli ventre. Assise à la table du salon de la magnifique villa qu’habite ta mère et son mari, tu feuillettes les annonces à la recherche de la famille parfaite pour ton bébé. A ce moment-là, ta mère s’approche et dépose sous tes yeux un journal tout droit venu de Séoul, ouvert sur un article te concernant. « Retrouvée morte ». C’est ce qu’il y a écrit. Tu passes tes mains sur ton visage et éclates en sanglots aussitôt que tu comprends que ton père te fait passer pour morte là-bas, chez toi, auprès de tous tes proches, pour couvrir la terrible vérité. C’est le coup de grâce. Et ta mère doit se rendre à tes fausses funérailles… Quelle est cette vie que tu mènes désormais. Tu ne sais même plus si tu es là où tu dois être. Tu ne sais pas si cette vie vaut la peine d’être vécue. Mais désormais, tu dois vivre pour deux pendant quelques mois, penser pour deux, manger pour deux. Après ça, tu réfléchiras à ce que tu feras… Mais pour l’instant, il est hors questions pour toi de retourner à Séoul un jour.

Jamais.

Tu as accouché le 6 Février 2017 d‘un petit garçon. Tu l’as fait adopter, les choses sont rentrées dans l’ordre progressivement juste après, même si tu as accouché un mois avant la terme parce que ton corps ne supportait plus les conséquences de la grossesse. Il s’est passé 2 ans après l’accouchement où tu es restée à Dubai auprès de ta mère et de son mari. Ta dépression s’était évaporée même si tu vivais constamment avec cette angoisse de te dire que tu as lâchement abandonné tes meilleurs amis, qui te pensent morte aujourd’hui. Et si retourner à Séoul devenait finalement envisageable, maintenant? Tu avais besoin de remettre les pendules à l’heure, aussi difficile que cela puisse être et le courage que ça te demandera, tu dois le faire. Pour toi, pour eux. Et contre ton père. Plus prête que jamais, armée de courage et de détermination, tu comptes bien récupérer ta place là-bas. De la patience, tu en as. Tu as traversé l’Enfer, tu es prête à tout désormais. Plus rien ne te fait peur.