Des cris dans la nuit, ceux d'une mère qu'il ne connaîtra jamais. Pas un geste tendre pour le nourrisson, seulement froideur et déni. Il a pourtant été sage l'enfant de personne, silencieux, comme s'il avait déjà deviné qu'on ne voulait pas de lui. Disparue, celle qui l'a mis au monde, envolée. La pouponnière est sa maison les premiers mois de sa vie, les bébés vont et viennent, mais lui reste là. Parfois, on vient le voir. Il agrippe, sans grande conviction, les doigts doigts qu'on lui tend, jusqu'au jour où il rend un sourire à ce couple qui vient le voir depuis plusieurs semaines. C'est à ce moment que sa vie a commencé à changer. Six mois après sa naissance, le bébé né sous le secret d'ordinaire silencieux et effacé montre enfin des signes de vie. Grâce aux Na, il a un nom, un prénom, mais aussi et surtout une famille. Des parents qu'il a choisi et dont il fait le bonheur chaque jour.

Sept ans, cent vingt et un jours et cette matinée au parc... Sur les épaules de son père, Eunjae admire le monde, quelques fois son regard se perd sur les vagues de charbon qui dansent dans le dos de cette femme qu'il appelle : maman. Elle est belle. Sa mère, c'est cette princesse qu'il aime sauver de monstres invisibles. Cet ange qui le réveille chaque matin et berce chacune de ces nuits où les cauchemars font leur nid. Et son père, un homme grand, intimidant au premier abord. Une carapace où se cache un enfant qui n'a pas grandi, tantôt pirate, explorateur ou chevalier. Il est le confident, celui sur lequel on se repose et un fidèle compagnon de jeu. Alors ce jour là, sur le trajet, la voiture se transforme en un vaisseau pirate en quête de trésors. Dans l’habitacle où les rires sont communicatifs, tout le monde joue le jeu du petit garçon. Un premier coup de volant, suivi d'un second accompagné du crissement infernal des freins. Le navire est pris au cœur d'une terrible tempête. Volant dans le décor, la voiture s'encastre dans la rambarde de sécurité dans un vacarme assourdissant. Sa tête heurte la vitre de plein fouet, les vapeurs du bitume encore chaud lui montent à la tête, puis c'est le noir complet.

Réveil douloureux à l'hôpital, retour à la case départ. Personne ne vient le chercher. Personne, pas même ceux qu'ils appelaient « oncles » et « tantes ». Juste lui, et le néant. Ses parents ont coulés avec le navire, sombrant dans les abysses, il ne les reverra jamais. Cruel réalité, on décide de placer l'enfant de personne en foyer. Là bas, il apprend la vérité : abandonné par sa mère biologique, adopté et maintenant orphelin. S'en est trop pour le gamin. Autrefois plein de vie, il est redevenu une poupée vide de toutes émotions. La joie ? Elle l'a quitté quand cette ivrogne, dans son acte désespéré, à emporté avec lui les personnes qu'il aimait le plus au monde. Convaincu que tout est sa faute, Eunjae cesse d'aimer. Un raisonnement tiré par les cheveux auquel il croit dur comme fer : puisque tout ce qu'il aime fini par disparaître, alors il n'aimera plus.

À sa majorité, l'émancipation lui apparaît comme une évidence. Habitué à cette sensation de vide, il accueille la solitude comme une vieille amie. Heureusement pour lui, il est plutôt sociable. Des amis, il en a un paquet, mais ils ne suffisent pas à combler ce besoin constant d'attention, d'affection. C'est dans cette quête loufoque d'amour que naît « Jaegiya ». Cette identité qu'il s'est crée sur le net, celle d'un gamin perdu qui cherche réconfort dans les bras d'hommes le plus souvent plus âgé. Une activité secrète que personne ne soupçonne et qui lui permet de vivre. Seule âme dans la confidence, sa meilleure amie : Sooah, seule constante dans sa vie. Parce qu'avant d'être sa meilleure amie, elle était sa petite-amie... Un amour à sens unique dont il a profité et utilise encore aujourd'hui pour la manipuler. Il s'accroche à elle comme un parasite, joue avec ses sentiments, pour qu'elle reste toujours à ses côtés.