Mum used to say we were the same soul split in two …
Deux faces d'une même pièce. Une âme dans deux corps différents. Des traits identiques, s'animant légèrement face à une voix totalement semblable. Des actions simultanées, des pensées communes, des idées partagées. Des regards brillant avec la même intensité, et gardant les mêmes secrets. Des mots prononcés dans le même rythme, renfermant des tas de syllabes cachés. Deux personnes. Deux personnalités. Des caractères bien opposés qui pourtant les unissaient plus que les déliaient.
Deux personnes. Un visage commun.
Ils se ressemblaient énormément, Kang et Lei. Physiquement. Les différences se faisaient essentiellement au niveau du caractère. Ils étaient totalement opposés, les jumeaux. Kang, c'était la capacité à parler à n'importe qui, c'était une franchise à toute épreuve et un humour excellent. Kang, c'était aussi la conviction, la confiance, la force. C'était un peu l'idiotie, parfois. C'était la rancune, le venin dans les syllabes et dans le regard. C'était la méfiance. Il doutait souvent des autres Kang, mais jamais de lui.
Lei, c'était l'inverse. Il doutait de lui mais pas des autres. Lei, c'était celui qui disait oui avant que l'on termine la question. C'était le calme, la patience, le côté un peu plus doux et tendre de la pièce. C'était la réflexion, la droiture, la gentillesse. C'était aussi un peu l'idiotie, parfois. C'était la peur de dire « non », l'envie de bien faire.
Ils se complétaient, Kang et Lei. Ils étaient unis, Kang et Lei. Ils le seraient toujours. Ils n'avaient pas eu besoin de mots pour se le promettre. Ils le lisaient dans le regard de l'autre. Eux, c'était pour la vie.
… It seems unnatural being born together and then dying apart
Mais la vie, elle, s'en fichait bien de cette promesse. De cette envie qu'ils avaient de ne jamais se séparer. La vie, elle, se moquait bien de tout. La vie suivait son chemin, celui qu'elle avait décidé depuis le début. Et la vie lui a été reprise, à Kang.
Une overdose. Foutue overdose. Un stress trop puissant, des cours trop difficiles, des attentes trop hautes, des rêves trop grands.. et des petites pilules. Un mauvais mélange. Un dur mélange.
Il avait eu froid ce soir-là, Lei. Affreusement froid. Il se réveilla en pleine nuit, tremblant, frissonnant, perdu. Il avait tellement froid. Si froid qu'il avait la sensation que ce n'était pas humain. Si froid qu'il avait l'impression d'être mort. Et il se sentait vide. Comme si quelque chose lui avait été retiré durant la nuit. Il se sentait absent, ailleurs. Il se sentait là sans l'être. Et il avait peur, ce soir-là.
Et il avait mal. Au cœur, au ventre, à la tête. Comme si son corps essayait de lui dire quelque chose. Comme si quelque chose tentait de le prévenir.
Il avait froid, Lei. Il avait mal, Lei. Il se sentait ailleurs, Lei, ses paumes contre les joues glacées de son frère, allongé sur le sol. Inerte. Immobile. Comme endormi. Et il l'était tout autant, Lei. Il était immobile, le regard vide, la respiration coupée. Il ne bougeait plus, Lei.
Il l'appela. Encore et encore. La voix cassée, brisée, les larmes sur les joues. Il l'appela. Encore et encore. Hurlant à plein poumon dans une maison trop silencieuse. Criant, pleurant, regrettant.
Il avait mal, Lei. On venait de lui arracher un bout de son âme. Un bout de lui.
Il se sentait vide, Lei. Si vide...
I made my life my dream so I could live it
Ils avaient un rêve commun, les jumeaux. Un rêve qu'ils partageaient depuis qu'ils étaient petits. Certains diraient que ce n'était là que le rêve de Kang. Certains diraient que Lei avait simplement suivi son frère pour ne pas en être séparé. C'était vrai. C'était faux. C'était un peu des deux.
Ils avaient un rêve, les jumeaux. Ils rêvaient de strass et de paillettes. Ils rêvaient de belles scènes, des acclamations de la foule. Ils rêvaient de belles choses, les jumeaux. Et ils en rêvaient ensemble.
C'était Kang qui en parlait le mieux. C'était Kang qui le décrivait le mieux, ce rêve. Il le voulait. Il l'aurait. Il en était sûr. Ils deviendraient célèbres, tous les deux. Et ils le deviendraient ensemble.
Kang était à l'origine de tout. Du rêve. Du reste. C'était lui qui les avait inscrits à une audition. C'était lui qui leur avait trouvé des personnes acceptant de les aider à s'améliorer. En chant, en danse, en tout. C'était lui qui avait su trouver les mots pour motiver son frère. C'était lui qui avait tout mis en place. C'était lui qui se donnait à fond. Qui ne vivait que pour ça. C'était lui qui semblait avoir abandonné le sommeil. C'était lui. Lei ne faisait que suivre. Il partageait la même envie, bien sûr. Mais Lei savait quand s'arrêter, et quand reprendre. Lei savait gérer son temps. Il se consacrait à ses études plutôt que de tout louper pour quelques heures de danse. Mais il ne rechignait pas à l'entraînement le jour suivant. Il voulait juste s'assurer quelque chose au cas où il ne passerai pas l'audition. Kang la réussirait, il en était certain.
Mais lui...
Au final ce fut à deux qu'ils la passèrent. Et ce fut à deux qu'ils réussirent. Ca avait été dur. Ca avait été épuisant. Mais ils l'avaient fait. Ils allaient devenir célèbres, tous les deux.
Kang s'extasiait, comme inépuisable. Kang se droguait, trop vite dépendant. Pour tenir, qu'il avait dit à Lei. Pour rester en forme, pour ne pas décevoir le jury mais surtout pour ne pas décevoir Lei. Il en avait besoin, qu'il lui avait dit. Pour le moment. Puis, plus tard, il s'en débarrasserait. Ca lui donnait de la force, de l'énergie. Ca lui permettait d'apprendre plus vite. Il ne devait pas s'inquiéter, qu'il le rassura. Il gérait tout ça. Il n'y avait aucun risque, après tout...
Le risque avait été bien là. Kang y avait perdu la vie, et Lei une partie de lui.
Il avait quinze Lei quand il partit pour vivre leur rêve. Quand il signa un contrat avec une agence. Quand il commença l'entraînement, le vrai. Au début, il n'en avait plus eu envie. Sans Kang, cette vie-là n'avait plus aucun goût. Sans Kang, il ne pourrait pas le faire.
Ce fut sa mère qui parvint à le convaincre en lui disant que s'il suivait ce chemin-là, cela permettrait à Kang de vivre un peu plus longtemps. De vivre à travers lui. Cela lui permettrait d'être encore un peu là, avec eux. Il devait se servir de ce qui le détruisait pour avancer. Il devait s'aider de sa douleur pour grandir. Il devait l'exprimer, surtout. Alors il s'engagea, Lei. A corps perdu. Il s'engagea dans un rêve qui le dépassait totalement. Dans un univers inconnu et infini. Il s'y jeta, Lei, avec les mots de sa mère gravés dans son cœur. Avec l'envie de faire vivre Kang un peu plus longtemps. Juste un petit peu. Il s'engagea là-dedans pour ne pas décevoir Kang. Pour ne pas le tuer une seconde fois. Pour le laisser respirer un peu plus longtemps.
Alors, pour Kang, Lei s'entraîna. Encore plus dur qu'avant. Encore plus longtemps. Il devait y arriver. Pour Kang. Il devait le faire. Pour Kang. Ce n'était plus un accomplissant personnel. Ce n'était plus un désir, un besoin, un rêve personnel. Entre temps, c'était devenu le rêve de Kang uniquement. Le rêve qu'il devait réaliser. Il s'accrochait trop à des choses inexistantes, Lei. Mais il avait l'impression que son frère était là, parfois. Il avait l'impression de l'entendre l'encourager. Il l'entendait lui susurrer que tout allait bien se passer, qu'il allait pouvoir le faire. Il l'entendait le rassurer, il l'entendait lui dire que même s'il était loin de chez eux, il n'était pas seul. Il s'était fait des amis, maintenant. Il allait y arriver. Avec eux.
… and we make this world our hell
Il y arriva, Lei. Il intégra un groupe ; AWEEK. Il avait réalisé le rêve de Kang. Ses parents étaient fiers, ils lui répétaient sans cesse au téléphone. Ses parents étaient heureux, ils le disaient sans cesse. Lei avait la sensation d'avoir accompli quelque chose. D'avoir réussi. Il avait réalisé le rêve de Kang – leur rêve – et cette sensation était sans doute la meilleure au monde.
Il avait intégré un groupe, Lei. Il marchait lentement vers le succès. Pour son frère. Chaque jour qui passait, il le vivait pour lui. Chaque soir qui venait, il ne pensait qu'à lui, se demandant s'il était fier, là-haut.
Tout était parfait. Trop, peut-être.
Lei aurait dû savoir qu'une image aussi parfaite ne pouvait pas être réelle. Il aurait dû se douter que ce tableau peint si joliment dans des traits si fins et si somptueux n'était pas vrai. Qu'il n'était qu'un leurre.
Si la montée avait été rapide et satisfaite, la chute fut plutôt brutale et cassante. Les problèmes venaient, petit à petit, se faisant plus insistants de jour en jour. Lui qui évitait tout ce qui touchait à la drogue se retrouvait contraint d'en prendre. Lui qui était heureux et souriant en croisant des fans devenait soudainement un peu plus sur la retenue, le visage un brin crispé, soucieux, le regard presque apeuré. Lui qui avait eu l'impression d'avoir accompli quelque chose se rendait compte que l'on était en train de tout démonter. Pièce après pièce. Lentement, mais sûrement.
Il ne disait rien à ses parents, Lei. Il se contentait de dire que tout se passait bien, que tout allait bien. Il disait qu'il y avait beaucoup de pression, que c'était parfois difficile à gérer. Il sous-entendait, parfois, qu'il avait envie de rentrer mais il se retenait de le dire clairement.
Il ne disait rien, Lei. C'était une bonne qualité comme un horrible défaut. Là où Kang se serait battu et aurait riposté, Lei laissait faire. Il laissait passer. Il n'osait pas dire « non ». Il n'osait pas refuser. Il n'osait pas contrarier. Il subissait, silencieux. Et il s'en voulait, souvent, de ne pas oser dire ou faire quelque chose. Pour se faire pardonner, mais aussi parce que c'était devenu une habitude, il s'assurait que les autres aillent bien. Il s'assurait de les écouter, d'être là pour eux. Il s'assurait que chaque membre du groupe avait su trouver le sommeil.
A ses yeux, c'était la seule chose qui le faisait tenir : il n'était pas seul.
Et il les admirait, les autres membres. Ils étaient des lumières. Des lumières qu'il suivait, des lumières dont il ne pouvait pas se passer. Car même si tout était dur, difficile, lourd, il ne se voyait pas avancer sans eux. Il ne se voyait pas les laisser eux aussi. Parce qu'il y avait pensé, Lei. A faire demi-tour et repartir d'où il était venu aussi vite qu'il était arrivé. Mais ils étaient là. Et il y avait Kang. Kang qu'il refusait d'abandonner. Ou plutôt ce rêve qu'il refusait de laisser tomber. Parce que ce serait comme laisser tomber son frère.
Il les admirait, les autres. Et il l'admirait, Mi Reu, pour avoir réagi. Pour avoir osé quelque chose que lui ne songeait même pas.
Et il le remerciait, Mi Reu. D'avoir fait quelque chose. D'avoir bougé.
Ils s'en allèrent pour le Japon, après ça. Pour des vacances. Pour changer d'air.
Ca leur ferait du bien, qu'il supposa. Ca lui ferait du bien, aussi.
Sauf qu'à partir de là, tout dégringola un peu plus. Toujours un peu plus. Encore un peu plus.
Il y avait cette fille avec qui Mi Reu avait passé la nuit. Pour Lei, cette femme, c'était un peu le commencement de la suite. C'était un peu le début de leur chute, le début de la fin. Elle était ce premier mot dans le dernier chapitre d'un livre. Le premier mot qui en disait long sur la suite.
Il n'avait pas compris ce qu'elle faisait là, cette femme. Il n'avait pas compris son rapport dans l'histoire, sa présence dans celle-ci ou aux côtés de Mi Reu. Elle pouvait tout gâcher. Non. Elle avait tout gâché. Ou bien était-ce lui ? Il ne savait plus trop. Ses tympans bourdonnaient, son sang cognait contre ses tempes, son organe vital tambourinait dans un rythme cassé, comme brutalisé à chaque fois qu'il pompait un peu plus de sang. Ses yeux brûlaient, sa gorge piquait. C'était la première fois qu'il s'énervait autant, Lei. Et il regrettait. Il regrettait ce qu'il avait dit, ce qu'il avait pensé. Il regrettait l'avant. L'après. Il regrettait tout, Lei.
Il s'en était convaincu, Lei, que leur lien était unique. Il s'en était bêtement convaincu, Lei, qu'ils n'avaient pas besoin de mots pour définir ce qu'ils avaient. Cela lui paraissait normal. Logique. Cohérent. Il aurait dû savoir, Lei. Depuis le temps, il aurait dû apprendre. Même si l'image était parfaite, la réalité ne l'était pas autant.
Ils s'étaient disputés, Mi Reu et lui. Et il l'avait dit, Lei. Qu'il ressentait quelque chose de plus fort qu'une amitié. Il ne parlait pas d'amour, mais juste de sentiments. Ceux qui prenaient le cœur en otage. Ceux qui nouaient l'estomac, serraient la gorge. Ceux qui faisaient espéré. Ceux qui brisaient tout.
Et ce jour-là, ce qui lui restait, le peu auquel Lei s'accrochait, fut brisé.
Ils en étaient restés là, tous les deux. Sur ces mots. Sur cette dispute. La suite s'enchaîna vite. Trop vite. Si vite que Lei n'eut pas vraiment le temps de reprendre son souffle. Tout se passa vite. Bien trop vite. Il en avait la nausée. Il en avait le cœur retourné.
Mi Reu fut accusé, écarté, mis de côté pendant quelques mois. De longs mois où ce fut affreusement compliqué de tout gérer. De longs mois durant lesquels il essaya de comprendre, de savoir, de chercher. De longs mois durant lesquels il espérait le voir revenir.
Et il revint, Mi Reu. Même qu'il allait jouer dans une pièce de théâtre, Mi Reu. Ils n'avaient toujours pas discuté. De ce qu'ils s'étaient dit, de ce qu'ils avaient sous-entendu. Pas le temps. Pas le bon moment. Tout s'enchaînait vite. Trop vite.
Lei n'eut pas le temps de souffler qu'une autre nouvelle tomba. Lei n'eut pas le temps de souffler que Mi Reu s'en alla définitivement, quittant l'agence, le groupe.
Et le groupe... Le groupe fut arrêté. Il en était presque reconnaissant, Lei. Quelque part cela arrêtait tout. Cela mettait une fin nette et précise à tout ce qu'ils avaient enduré jusque là. Mais il ne pouvait toujours pas respirer convenablement, Lei. Les questions fusaient, les théories fumaient. Tout s'envolait. On parlait pour lui, on supposait à sa place. Quand on le croisait, on le harcelait presque d'interrogations auxquelles lui-même n'avait pas forcément les réponses. On attendait quelque chose de lui, mais Lei ne savait pas quoi donner. Il ne savait plus quoi donner. Il paniquait rien à qu'à l'idée de sortir. Il angoissait rien qu'à l'idée de croiser du monde. On attendait toujours quelque chose de lui. Les fans attendaient qu'il affirme quelque chose. Qu'il confirme quelque chose. Mais il ne savait pas quoi, Lei. Il était perdu, perturbé, à bout de force, à bout de tout.
Lei retourna en Chine, chez lui, quelques semaines après l'arrêt définitif du groupe.
The past can’t hurt you anymore... not unless you let it
Il était revenu, Lei. Il était à nouveau là, arpentant des rues qu'il connaissait déjà par contre. Mais cette fois-ci, il gardait le regard vers le sol. Il n'osait pas relever la tête. Pas encore. Tout semblait encore trop chaud. Il se faisait discret, encore plus qu'avant. Encore plus que d'habitude. Il traînait tout avec lui. Son passé, ses regrets, ses remords.
Parce qu'il regrettait beaucoup de choses. Parce qu'il se sentait coupable du double. Il avait abandonné tout le monde, son frère le premier. Il avait tout laissé tomber. Il s'était plié, avait courbé le dos. Il n'avait jamais riposté Lei. Il ne ripostait toujours pas. Il laissait le poids de la vie, de ses décisions peser lourd sur ses épaules. Il les laissait le dévorer, lui grignoter le cœur et l'âme comme si c'était sa punition.
A peine là, et il se sentait à nouveau tellement perdu. Il avait eu des opportunités, il aurait pu signer ailleurs, choisir une autre carrière. Mais il avait tout refusé Lei. Il ne voulait pas tout recommencer. Il ne pouvait pas tout recommencer. Il ne tiendrait pas, cette fois.
En abandonnant l'idée, il avait abandonné son frère. En abandonnant ce rêve, il avait abandonné Kang. Et dans son esprit c'était un peu comme s'il l'avait tué une seconde.
En partant pour la Chine quelques mois plus tôt, il avait abandonné les autres membres du groupe. En partant pour son pays natal, il avait salement abandonné Mi Reu.
Quelques mois plus tôt, il lâcha tout. Mais ce « tout » refusait de le lâcher, lui.