ABANDON. Cette nuit là il faisait froid, bien plus froid que d'ordinaire pour un mois de novembre. Il faisait noir, la Lune et même les Étoiles s'étaient cachées, sûrement savaient-elles déjà. La scène se joue au 6ème étage d'une clinique privée de la capitale. Les cris d'une femme se font entendre et résonnent à travers la pièce, donner la vie n'est jamais une partie de plaisir. On dit souvent qu'une naissance est la plus belle chose qui soit. Pourtant dans la salle d'accouchement tout le monde tirait la gueule, que ce soit cette mère dont les traits étaient déformés par la douleur, les infirmières muettes aux visages fermés ou la sage-femme pressée qui crachait ses recommandations. Puis dans un dernier effort un cri se fit entendre, pas un de plus. La froideur de la pièce et le silence furent les seuls à lui souhaiter la bienvenue, sa mère, il ne la connaîtra jamais.

ESPOIR. Le petit garçon, jusque là placé en pouponnière, allait enfin connaître des jours meilleurs. Il allait avoir un nom, « NA » celui de ses parents adoptifs, et faire le bonheur de ce couple qui ne peut avoir d'enfant. Ces nouveaux parents espéraient un avenir radieux pour leur fils, respectueux du cadeau qui leur était fait, ils lui donnèrent un prénom plein de grâce : « Eun Jae ». Le bébé alors âgé de 6 mois, si silencieux et effacé d'ordinaire, semblait enfin prendre vie à leur contact. Un festival de sourires et de rires empli le quotidien de chacun. Enfin il avait un aperçu de ce qu'était le bonheur d'avoir une famille, des gens qui l'aiment, le désirent et se souci de lui.

DRAME. Sept ans, cent vingt et uns jours et cette matinée au parc... Sur les épaules de son père Eun Jae admirait le monde, son regard se perdant quelques fois dans l'océan noir des cheveux de cette femme qu'il appelait « maman ». Elle était belle, sa mère. Elle était cette princesse qu'il aimait sauver de monstres invisibles, cet ange qui le réveillait chaque matin et le consolait chaque nuit troublée par un cauchemar. Et son père... grand, intimidant au premier abord, dans lequel sommeillait une âme d'enfant. Tantôt pirate, explorateur ou chevalier, il était le confident, le pilier sur lequel on pouvait se reposer et le meilleur des compagnons de jeu. Ce jour là, en revenant du parc, la voiture s'était transformée en un vaisseau pirate. Tout le monde jouait le jeu du petit garçon, les rires emplissaient l'habitacle. Un premier coup de volant, puis un second dans le crissement infernal des freins sur le bitume et le navire se retrouve en pleine tempête. Volant dans le décor, la voiture s'encastre dans la rambarde de sécurité dans un vacarme assourdissant. Puis c'est le choc, le noir complet... Il ne reverra plus ses parents.

RÉALITÉ. À son réveil il est seul, personne ne viendra le chercher, pas même ceux qu'il appelaient « oncles » et « tantes ». Personne, juste lui et le néant. Placé en foyer où la terrible vérité lui sera révélée, cruel est l'univers. Abandonné non pas une, mais deux fois, qu'allait-il advenir de lui ? L'enfant plein de vie était redevenu une poupée vide de toutes émotions. La joie l'avait quitté quand cet ivrogne avait emporté les personnes qu'il aimait le plus au monde dans son acte désespéré. Eun Jae, lui, pensait que tout était de sa faute. Sa mère biologique ne l'aimait pas et avait renoncé à s'occuper de lui, ses parents qu'il aimait de tout son cœur avait disparu... Il n'avait donc pas le droit d'aimer ? À sa majorité, l'émancipation lui apparaît comme une évidence. Il est maintenant habitué à cette sensation de vide, la solitude, il l'accueille comme une vieille amie. Quand elle se fait trop ressentir, sa réponse se nomme nicotine.

DÉPENDANCE. Heureusement pour lui, il est plutôt sociable. Des ami.e.s, il en a un paquet à la fac, mais ils ne suffisent pas à combler ce besoin constant d'attention, d'affection. C'est dans cette quête incessante d'amour que naît « @jaegiya ». Devenir sugar baby était la réponse qui lui semblait le plus logique, il avait besoin de la tendresse de ces hommes comme il avait besoin d'argent. Personne ne soupçonne cette double vie et sûrement pas ses ami.e.s, si ce n'est sa/son meilleur.e ami.e qui l'a découvert un peu par hasard. Encore aujourd'hui, Eun Jae pense qu'il n'a pas le droit d'aimer et qu'il ne mérite pas d'être aimé. Pourtant ce manque d'amour lui pèse énormément, mais la peur de l'abandon est bien plus forte encore.