Maman sortit de ma chambre. Sa compagnie avait réussi à me divertir un instant mais bien vite, je fus renvoyé à mes pensées.
Un ciel bleu s’offrait à moi à travers ces immenses fenêtres qu’il était impossible d’ouvrir, permettant à la lumière de parcourir l’entièreté de la pièce. Il n’y avait qu’une télévision accrochée à l’un des murs blafards, mais même elle ne suffisait plus à combler ma lassitude. Ce que je trouvais étrange car quand j’étais chez moi, n’importe quel programme était capable de me divertir. Peut-être que je n’arrivais pas à l’apprécier car l’environnement ne m’était pas familier, du moins c’est la seule conclusion à laquelle je suis parvenu.

L’infirmière m’a dit que je devais rester allongé, au calme. Je ne savais pas encore pour combien de temps ils allaient surveiller mon état, le pneumothorax est survenu hier soir, je me sentais bien mieux à présent. J’espérais ainsi que la prochaine radio serait la dernière.
Je n’étais pas ici depuis longtemps quand on y repensait, mais j’anticipais déjà avec impatience la sensation du vent passant à travers mes cheveux et du froid se manifestant au bout de mes doigts. Ces sensations étaient pourtant si ordinaires que personne n’y prêtait réellement attention au quotidien, mais mon ennui était tel qu'elles vinrent à me manquer. Je me mis alors même à espérer qu’il y aurait de la pluie au moment où je sortirais.

Je trouvais ironique que l’état de repos auquel mon corps était contraint résultait à une tumulte de mon esprit. J’eus le temps de repenser à beaucoup de souvenirs allant des plus doux aux plus douloureux. Évidemment, ce à quoi j’évitais habituellement de penser ressurgit de même.

Le cygne de Saint-Saëns jouait en boucle dans ma tête, c’était ma pièce préférée quand je jouais encore du violoncelle, et c’était surtout celle que j’ai joué d’innombrables fois avec maman m’accompagnant au piano.

Je repensais également à mon père, puis je me demandais s’il pensait parfois à moi, lui aussi. J’essayais de ne pas penser à lui en tout cas. Mais parfois, comme aujourd’hui, mon esprit franchissait cette limite que je lui imposais. Je me dis alors que si moi, un être humain, pensais à lui, dont je connais l’existence; alors cela devait probablement lui arriver à lui aussi, être humain, connaissant mon existence.

Quand je fus fatigué de ces pensées il ne m’était pas difficile d’en trouver d’autres, par exemple, quand j’ai renversé une soupe par terre dans le restaurant où je travaillais  et que le bol s’est brisé m’obligeant à nettoyer tout ce désordre devant le regard critique des clients. Celui-ci entrait indéniablement dans la catégorie des souvenirs embarassants.

Ce méli-mélo qui s’enchaînait dans mon cerveau formait un tout doux-amer auquel je voulais échapper. J’eus envie de faire beaucoup de choses : marcher, courir, conduire, nager, travailler. À ce rythme là, même ranger des produits alimentaires dans les rayons et scanner des codes-barres à la suite me semblait être une activité attrayante. Mais je savais que je ne devais pas faire confiance à mon imagination qui créait des promesses que la réalité ne remplissait jamais.