I. deux poupons voient la nuit avant le jour ; saya et jirō bercés par les bras d'une mère trentenaire. tempérament de fougue et d'ambition face à une famille qui voudrait la voir au bras d'un homme dont elle seule connaît le nom ; tout ce qu'on sait des jumeaux, c'est que leurs traits exhalent le japon.

II. enfance dorée dans les splendeurs d'osaka ! des couloirs infinis qu'on dévale à pleine vitesse, deux mains qui se tiennent et l'insolence de quelques prouesses -- jirō est le plus rebelle des enfants, il est l'astre solaire d'une lune satellite, mais saya se rue volontiers dans les bêtises qu'il prémédite.

III. nul n'est sans savoir la fascination qu'elle nourrit pour les étoiles, et la magie qu'elle tient pour vérité. la faute, dit-on, aux fables que contait la nourrice et dont l'enfant raffolait.

IV. boules de poils se faufilent au clair de lune... cette manie qu'a saya de nourrir les chats errants ! pour la peine, les voilà qui miaulent et se battent, se font passer sans doute le mot ! rien n'y fait : la jeune fille s'entête, recueille les plus jeunes et soigne elle-même ses petits protégés.

V. désordre-caprice -- saya se sent parmi breloques et soieries comme dans un cocon. besoin d'entasser tout ce qu'elle croit doté d'une aura protectrice, au point que sa chambre disparaît sous les artifices, du sol au plafond. ses plus précieux trésors sont les cristaux aux vertus enchanteresses qu'elle amasse et qu'elle offre au gré des confesses.

VI. féministe à sa façon, l'enfant a pris pour exemple l'unique figure parentale : sa mère que l'on dit si forte. c'est sous ses orbes pleins d'espoirs qu'elle apprenait à se foutre des regards, des on-dit, des hommes et de leurs envies. sorcière -- dans leurs bouches elle aussi l'entendait ! car les femmes accomplies ne peuvent qu'user de magie...

VII. depuis quelques années saya se prête au jeu des voyantes, d'abord pour quelques amis, puis pour des inconnus sur les places, dans les foires ((rares sont ceux qui croient à ces histoires !)) mais le doute plane toujours ; que voit-elle dans sa boule de cristal ? la mascarade s'arrête-t-elle aux cartes d'un tarot, aux parfums de sauge brûlée ou à la lecture de feuilles de thé ? on la dit charlatan mais elle-même s'en repaît.

VIII. dans son sac, rarement de grimoires, mais des livres aux pages cornées, car l'esprit fantasque s'abreuve à l'encre et à la vieille odeur du papier. plongée dans des bouquins, grandes philosophies et folles romances ; un coin de bibliothèque envahi depuis trop longtemps pour qu'on ne sache l'y trouver.

IX. rei, sa main de velours contre la paume d'ivoire. rei, ses baisers brûlants dans la fraîcheur du soir. nuit et jour, rei trône sur un cœur qui jamais ne s'éprend ((si ce n'est de lui, le plus doux des amants)). mais le bel amour s'étiole à mesure qu'elle devient -- folle !

X. depuis longtemps, des songes aux symboliques obscures troublent le sommeil de saya, mais celui-ci est torture : jirō pris au piège d'un carnaval grotesque, quand sa sœur impuissante contemple la grande tragédie d'une mort dantesque. prémonition malheureuse ! faut-elle encore qu'on la traite de menteuse ?