Issu d'une famille relativement aisée, voire même plutôt riche, Jin-Ho n'a jamais manqué de rien, si ce n'est d'attention. Sa mère était chirurgienne, son père était banquier. Autrement dit, pas souvent là, l'un comme l'autre. Jin-Ho, il en a eu des baby-sitters. Beaucoup. Ses parents faisaient leur maximum pour combler leurs absences répétées, et à son cinquième anniversaire, Jin a eu un chien. Un Hokkaido, blanc comme la neige, aussi intelligent que puissant, qui parvenait à faire en sorte que le manque de présence de ses géniteurs soit un peu moins insupportable.

Il allait à l'école, comme tous les gamins, et bien préparé, voire même plutôt précoce, le garçon réussissait haut la main à peu près tout ce qui lui était présenté. Il était gentil, généreux, drôle, extraverti, les autres élèves l'appréciaient, et très vite, il s'est fait sa place parmi eux. Puis il a grandi, comme tout le monde, et le garçon que l'on présentait comme une tête de classe un peu trop drôle par moments s'est renfermé dans sa solitude. Il fuyait ses parents lorsqu'ils étaient là, ne tolérant que la présence de son chien, Haku. À douze ans, Jin n'était plus ce petit trop intelligent et rigolo que tout le monde appréciait, il était devenu un pré-adolescent en manque de reconnaissance, un peu trop triste, un peu trop seul, un peu trop usé.

À l'âge de treize ans, Jin prenait part un des rares moments de partage familial, et sa mère lui annonça qu'elle était enceinte d'une petite fille. Pas franchement emballé à l'idée de devoir s'occuper d'une sœur qui ne cesserait de brailler que lorsqu'elle aurait trois ans, le garçon se contenta, blasé, de quitter la table sans un mot pour aller, prétexta-t-il, sortir le chien. Comment, se demandait-il, ses parents avaient-ils eu l'idée de faire un autre enfant alors qu'ils n'étaient déjà pas capables de s'occuper correctement du premier ? Jin était en colère, Jin était triste pour la prochaine Noh, Jin était fatigué. Haku à ses côtés, il déambulait des les rues de Séoul lorsqu'il croisa un camarade de classe. Il s'appelait Noah, il venait d'Angleterre et était arrivé l'année précédente.

Noah lui proposa de passer chez lui, et l'après-midi dura, dura, dura… Jin venait de découvrir ce que ses parents ne supporteraient pas qu'il touche : la drogue. L'herbe, pour commencer. À bientôt quatorze ans, le gamin avait commencé à fumer en cachette, d'abord chez son ami, dont les parents étaient toujours en voyage d'affaire, avec pour seule compagnie l'homme à tout faire de l'appartement gigantesque qu'il habitait, puis chez lui, sur sa terrasse lorsqu'il n'y avait personne. Au début, ce n'était pas grand-chose. L'arrivée de sa petite sœur a occasionné un arrêt de travail pour la mère de la famille, et Jin allait chez Noah le plus souvent possible, quelques fois par semaine. Rien de bien méchant.

Mais lorsqu'il eut quinze ans et que sa mère repris le travail, Jin avait grandi, Jin en voulait plus, Jin était devenu dépendant. Alors il lui achetait des quantités faramineuses d'herbe quand ce n'était pas offert, qu'il fumait avant d'aller en cours, après les cours, avant de manger, après manger, avant de dormir, entre quelques heures de sommeil la nuit quand il se réveillait la tête lourde, après un cauchemar. Ses notes ne baissaient pas. Ses aptitudes scolaires ayant toujours été à un niveau au-dessus de la moyenne, et Jin ayant toujours travaillé dur, il continuait sur cette lancée sans jamais se laisser abattre, sans jamais laisser cette drogue douce le priver de ça. Puis Jin fut forcé d'aller voir un thérapeute. Sa façon de se renfermer n'était pas normal, disaient ses parents. Son ton passif-agressif n'était plus tolérable, ses disparitions mystérieuses non plus.

Mais Jin refusait de parler. Alors, comprenant qu'il n'en tirerait rien à l'oral, son thérapeute lui demanda une chose, une seule : écrire. Et Jin écrivit. D'abord une heure, puis deux, puis toute la nuit. Il maniait les mots avec une aisance toute particulière, tout lui venait naturellement, comme s'il l'avait fait toute sa vie. Il découvrait une partie de lui qu'il n'avait jamais vraiment connu, et bien que ses professeurs lui aient toujours assuré qu'il était un petit génie ayant un talent naturel pour les dissertations et autres travaux d'écritures, Jin n'avait jamais écrit sur des sujets qui lui semblaient intéressants ou importants.

Après quelques séances, Jin fut finalement relâché, et trouvait dans l'écriture une forme de thérapie qui l'aidait à mieux tout supporter. Alors il s'est plus ou moins rouvert au monde. À ses parents, à sa petite sœur, à ses camarades de classe, à Noah. Il sortait, buvait plus que de raison, fumait, avalait toute sortes de cacheton du moment que ça lui faisait passer un bon moment, et en rentrant chez lui, il écrivait, encore, et encore, et encore. Son imagination, grandement aidé par les états seconds dans lesquels il se trouvait souvent, ne semblait jamais se tarir. Des contes pour enfants aux nouvelles pour adultes avertis, Jin écrivait de tout.

Quelques mois après ses dix-sept ans, son ami Noah qui passait la nuit chez lui et avait déjà lu quelques-unes de ses œuvres, lui conseilla d'envoyer toutes ses créations à un éditeur. Ou deux, ou trois. Six mois plus tard, son premier livre était publié, classé comme best-seller. Ses parents étaient fiers, ses professeurs également, ses amis étaient heureux pour lui, et plus que tout, Jin était enfin épanoui. Il avait signé un contrat avec la plus grande maison d'édition de Séoul, lui offrant la chance de se faire connaître en tant qu'écrivain, et avait promis six livres de plus sur une durée de six ans.

Noah, dont Jin était tombé amoureux au fil des années, lui fit une déclaration le jour de ses dix-huit ans. Ils passèrent deux ans ensembles, avant que Noah ne doive repartir en Angleterre pour suivre ses études, et se rapprocher de sa grand-mère mourante. Jin ne l'a pas oublié, Jin n'oubliera jamais ces années de complicité, d'amour, de tendresse passées à ses côtés. Peu après le départ de Noah, son compagnon Haku est mort. Jin a alors sombré à nouveau dans la dépression, passant son temps à boire, consommer des drogues dont il ignorait jusqu'au nom, coucher avec n'importe qui pourvu qu'il ou elle soit l'opposé de Noah.

Aujourd'hui, quatre années ont passé depuis sa première publication, et Jin s'est bien calmé sur les drogues qu'il avait pu expérimenter dans son adolescence. Ne lui reste plus maintenant que son addiction la plus ancienne, l'herbe. Quelques doses d'autres choses par ci par là, mais sans ressentir ce besoin vital d'en prendre. Un peu d'alcool de temps en temps, le sexe parfois. Mais surtout, l'écriture. Écrire, pour se soulager de ses péchés, écrire pour évacuer la frustration, écrire pour se sentir vivant, écrire pour se sentir libre.