Une douce mélodie s’élevait dans la pièce, surplombée par des rires d’enfants. Une insouciance fascinante que les adultes prenaient plaisir à contempler. Le bel âge, loin des sentiments complexes de l’âge adulte, ou une simple dispute n’est qu’éphémère et se résout par le partage d’un goûter sur le banc de l’école ou par un rire complice. Han Yu Mi tournoyait dans la pièce avec ses amies d’écoles. Elle n’avait que sept ans et son rire était une douce mélodie aux oreilles de sa mère, témoin silencieux de la joie de sa princesse. Elle ferait de grandes choses un jour, c’est ce que Mihan répétait souvent à son mari. Oh que oui elle ferait de grandes choses, mais la question qui restait en suspens sur le bout des lèvres n’était autre que : « Quoi ? » Mais sous cette couche de douceur, la malice prenait place, s’insinuant dans ses mots, dans ses gestes.

Cavalier en E1. Le début de la malice. L’herbe verte et fraîchement tondue narguait Yu Mi depuis le petit matin. L’odeur venait chatouiller ses narines, l’appelant à profiter des premiers rayons du soleil. Nous étions en plein été. Du haut de ses onze ans, elle ne tenait plus en place. Elle voulait s’abandonner au plaisir de son insouciance et courir dans l’herbe, observer les nuages. « Cesse de gesticuler ma puce. » La demoiselle grimaça, soupira et laissa sa mère terminer de la coiffer. « Tu vas bientôt pouvoir y aller. » L’amour. Mihan avait toujours été des plus douces avec la demoiselle, préférant laisser le rôle de policier à son époux. À vrai dire même pour son père, il était dur de réprimander la jeune fille. Cela, Han Yu Mi le savait et plus d’une fois elle s’était amusée à en jouer. « C’est bon. » La malice brilla sur son minois enfantin alors qu’elle observait sa mère dans son miroir. « A tout à l’heure ! » Elle ne patienta pas plus longtemps pour s’éclipser hors de la maison. Pédalant à toute vitesse, le vent venait fouetter son visage. Le nombre de fois ou son père lui avait répété de ne pas prendre la descente de la rue à vélo. Elle ne les comptait plus. Puis combien de fois avait-elle vu son grand frère le faire ? Alors si lui le pouvait, elle aussi. Le vélo glissait et au fur et à mesure que le portail de chez elle, la brune se concentrait, prête à tourner subitement pour provoquer ce dérapage qu’elle n’avait cesser d'espérer de réaliser. « Tchiiiiiii » Elle freina un grand coup, tournant le guidon de l’engin à deux-roues. Yu Mi comprit sa bêtise que trop tard. Le sentiment de peur qui naquit dans son corps en fut cependant exaltant, mais son corps bascula et elle tomba sur l’herbe de son jardin. Elle rit. Son corps se laissa totalement retomber dans l’herbe alors qu’elle laissait sa voix résonner dans l’air. Mais son euphorie passa bien vite. À quelques mètres d’elle, une scène de crime avait lieu. Le hideux garde jardin de son paternel gisait sur le sol. Son cerveau sembla se déconnecter un instant pour que seuls ses gestes la guident à agir. C’est ainsi que le nain de jardin se retrouva dans la poubelle du voisin et que sa journée à l’extérieur se transforma en journée lecture dans sa chambre. Le soir, la disparition n’était pas passée inaperçu et l’interrogatoire commença. « Yu Mi, tu jouais dehors ce matin, tu as vu mon nain ? » La demoiselle releva son regard sur son père avec un visage indifférent. « Non du tout, par contre, il y avait des bouts sur le sol, je me suis coupée en faisant du vélo. » Le premier mensonge et étonnement tout le monde autour de la table sembla croire les mots de la jeune fille. Quelques jours plus tard, le père découvrit que le corps morcelé de son nain de jardin reposait de manière grotesque dans la poubelle de son voisin. Il se mit à le détester et Yu Mi, garda la vérité pour elle-même.

Le début des mensonges débuta ce jour-ci. Évidemment rien d’important, mais un mensonge n’en reste pas moins un péché qui ne devrait pas sortir d’une bouche si innocente. L’art venait d’être lancé et Han Yu Mi comprit que le mensonge pourrait devenir son plus grand atout.

S C I N T I L L A

         La musique, les lumières, que c’était beau à voir malgré ce petit budget. BOOST avait fait leur début et Yu Mi se tenait dans les gradins, lightstick à la main pour crier le nom de son grand frère. Oh, comme elle en était fière de le voir réussir, mais cela ne dura qu’un temps. Naïveté. « Hey Yu Mi, ça fait longtemps. » « Oh, Yu Mi, tu veux venir chez moi ? » « Yu Mi tu es si jolie. » Naïve et souriante, un sentiment de joie prenait place au fil des mois. La jeune fille douce et réservée était devenue subitement la personne que tout le monde désirait avoir dans son cercle d’amies. Yu Mi, se sentait désirée, intéressante et elle, qui avait toujours été avide d’amitié, se retrouvait baignée dedans. Dégoût. Les questions changèrent. « Ton frère revient quand ? » « Tu pourrais m’avoir des places pour son concert ? » « Je peux venir avec toi, rencontrer son groupe ? », « Il sera là, à ton anniversaire ? Oublie pas de m’inviter t’étais là au mien. » Garde le sourire, tout n’est que curiosité, Yu Mi. Ils sont là pour toi, juste toi. Faux. Après tout, qui était elle a part la petite sœur de la grande idole 11 ?


Décembre, 2018 quelques jours avant les fêtes.

         La neige tombait. Du rouge, du vert, de l’or. Que c’était beau de voir Busan sous ce déguisement. Chaque année, c’était la même chose et Yu Mi ne s’en lassait pas, son regard brûlait d’admiration face aux décorations les plus laides les unes que les autres. L’odeur des pâtisseries chatouillait ses narines alors qu’elle tournait dans une petite rue bondée connue pour ses fameux cafés à thème. Il y avait du monde et elle était définitivement en retard. Un petit soupir s'échappa de sa bouche alors qu’elle redressait son sac sur son épaule, maudissant son professeur de l’avoir retenue. Quelques minutes plus tard elle arriva au café où ses meilleures amies l'attendaient. « Madame est en retard. » Elle sourit prête à les surprendre de son arrivée. « Elle doit se prendre pour son frère à nous faire attendre. » Immobilisation. « Les filles, soyez mignonne bientôt vous pourrez approcher son idole de frère » lança l’un des garçons du groupe. Silencieuse, caché derrière une colonne de décoration du café Yu Mi découvrait la vérité. Et oui Yu Mi, tu n’es personne. Tu n’es qu’un nom.  « Ca devient long, après toutes ses années à devoir la supporter.» Les mots sont brutaux et le voile du doute s’envole. Ils rient, et la conversation continue la descendant mot après mot. Ce n’est que lorsque l'un d’entre eux se lève pour aller aux toilettes, que sa présence est enfin révélée. « Yu Mi ? » La voix n’est qu’un murmure, pourtant, il vient la réveiller. La brune relève son regard vers son interlocuteur avant de simplement sourire et tourner les talons.

Le froid saisit son corps une fois dehors. « Qui peut l’aimer. » « Elle n’a pas de talent. » « Elle doit faire la honte de sa famille. » Ses dents se serrent et elle augmente le son de ses écouteurs pour cacher leur voix. La douleur, la sensation de trahison pourtant ne fait qu’augmenter.

Pion en E6. La tromperie. La partie venait de commencer, le temps serait l’ultime juge de son évolution. L’échec et mat venait la guetter par ce roi intouchable au milieu de sa cour. Pendant que dans l’ombre, la reine agissait, préparant le terrain par son poison indolore. Les prémisses d’une tornade guettaient la demoiselle, brûlant sous ses veines. Innocente Yu Mi, laisse toi porter par le vent, un jour, tu seras le plus beau des soldats.

La porte claque dans l’entrée alertant les deux adultes de la soudaine intrusion de leur fille. Yu Mi ne répondit rien à leur protestation se dirigeant vers la cuisine alors qu’elle tentait de retenir ses sanglots. La sensation de brûlure dans sa gorge devenait de plus en plus insupportable. Elle ne s’attarda pas et attrapa un sac-poubelle rageusement, alertant sa mère qui était au téléphone. « Yu Mi, qu’est-ce que tu as ? » Elle vit le visage noyé de larme de sa fille et se sentit désemparée. Silence. Han Yu Mi ne dit pas un mot et se dirigea jusqu’à sa chambre suivie par sa mère qui appelait son prénom. Mihan ne comprenait rien à la situation et tentait d’attraper la brune qui tremblait sous ses sanglots. Elle en oublia le téléphone, laissant à son locuteur le loisir d’être le témoin auditif de la scène.

Précipitation, colère, elle bouillait intérieurement. Elle ne pouvait retenir ses gestes et sous les yeux horrifiés de sa mère elle venait jeter chaque objet en rapport avec son grand frère. Yumi ne voulait plus être associée à lui, elle ressentait ce besoin de briser leur lien pour vivre sans mensonge, sans manipulation. Hangyeol n’y était pour rien, mais ça elle ne le comprenait pas, tout était de sa faute. Il était la cause des mensonges.

Tout y passait et sa mère, incapable, de la stopper se mit à pleurer. Yumi ne semblait pas s’en préoccuper, elle voulait juste le faire disparaître, faire disparaître le sentiment qui la rongeait et venait la plonger vers la folie. Son père arriva enfin, il découvrit la chambre de l’adolescente, retournée : du verre sur le sol, des cadres cassés, mais surtout, sa fille au centre de la pièce qui venait de jeter le visage de son fils dans un sac-poubelle. Il l’attrapa pour la stopper. Le carnage était pourtant entamé et la demoiselle ne voulait pas s’arrêter. Les bras de son père se pressèrent autour d’elle et à bout de force elle explosa en sanglot tout en lâchant le sac.

Le lendemain matin, Yumi avait changé définitivement. Elle arrêta la danse et coupa contact avec Hangyeol.

I G N I S

« Tu veux une clope ? T’en fais pas, personne ne dira rien. » L’hésitation et la tentation d’être comme tout le monde. La haine est là, mais une part d’elle ne veut pas salir l’image de son frère. « J’oubliais, tel frère, telle sœur. » Et pourtant, les mots suffisent pour la faire craquer. Ce n’est qu’une idiote. Elle succombe à la manipulation des mots, goûtant sa future addiction, nouant avec ses futurs démons. Le jeune homme lui sourit alors qu’elle vient aspirer sur la tueuse, un peu trop fort sans doute, car la toux qui suivit lui arracha des larmes aux yeux. « Je me trompais sur toi Han Yumi, tu es bien plus intéressante. » L’égo flatté et ce manque de confiance qui vient s’attacher au moindre compliment personnel. La demoiselle sourit avant de reprendre une bouffée de nicotine.

Une rencontre n’est pas toujours bénéfique. Telle une mante religieuse, il vient s’agripper à elle, prêt à la dévorer à tout moment et naïvement, elle se laisse entrainer. Il est plaisant d’entendre les mots justes, sans doute faux, sans doute présents uniquement pour manipuler. Cependant, elle n’en avait plus rien à faire, alors si d’illusion, on voulait lui faire croire qu’on s’intéressait à elle, Yumi acceptait de se laisser berner. Dans son influençable jeunesse, inconsciemment, elle vient s’armer. Elle tangue poussée par eux, ses nouveaux amis, poussés par cet homme pour qu’il, elle vient s’éprendre d’affection. Ils la tiennent au creux de leur main et pourtant, Yumi s’épanouit. Un début hésitant face à tous ces changements. Au final, elle sourit à ce renouveau. Trompant et mentant sans même ressentir l’ombre d’un remord. La voix ne la quitte plus, lui rappelant qu’elle est enfin elle-même, que son image parfaite se brise peu à peu.

« J’aimerais tellement avoir ce collier. » « Qu’est-ce qui te retient princesse ? » « L’argent, je n’ai pas l’argent. » Un sourire malicieux, l’homme à ses côtés porta le dos de sa main à ses lèvres, l’embrassant telle une caresse avant d’un pas se reculer. L’incompréhension se lisait sur le doux visage de la jeune coréenne alors qu’elle suivait des yeux son petit ami rentrer dans le magasin. Les minutes passaient et elle était partie s’asseoir sur un banc non loin pour l’attendre quand soudain devant ses yeux, un pendentif entra dans son champ de vision. Elle resta silencieuse un moment avant de bégayer : « Mais.. Mais co-comment tu as fait ? » « Il suffit d’être habile de ses doigts, je t’apprendrais Yumi. »

La balance pencha un peu plus. Elle glissa vers une obscurité grandissante dont elle n’avait pas pleinement conscience. Cependant, tout semblait aller bien mieux. Yumi se sentait vivante, happée par ce sentiment de liberté qui grandissait en elle de jour en jour. Le vol devint une habitude. Chaque soir après ses cours à l’université de Busan, elle retrouvait son petit ami et ils s’offraient une vie de roi, une vie de hors-la-loi. Que c’était bon de sentir la peur s’insinuer dans son corps à chaque fois qu’elle allait dérober ce qu’elle désirait. Au fur et à mesure, elle se prit donc au jeu et inconsciemment elle n’attendait que de se faire attraper, de venir ruiner l’image de la famille parfaite que son frère possédait et ainsi tacher sa popularité. Égoïste, c’est ce qu’elle devenait, mais elle jugeait cela essentiel. Elle méritait une vengeance et elle n’était pas la seule à le penser.

Un après-midi, ce qu’elle recherchait arriva. Assise au poste de police, elle attendait l’arrivée de ses parents. Un énième vol, mais cette fois-ci, la demoiselle avait échoué. Son copain avait eu le temps de partir, mais pour elle, il était déjà trop tard. Son père arriva le premier et avant même de dire quoique ce soit, il sortit son portefeuille. Il imposa le chantage, le silence contre de l’argent. Yumi ne comprit pas. Son père venait offrir de l’argent pour protéger l’image d’Hangyeol que la demoiselle risquait de salir ? C’est ainsi qu’elle analysa la situation, loin de se douter que ce dernier faisait cela pour elle. Ce jour-là, elle perdit la confiance de ses parents.


Reine en E7. Et la reine s’empare de Yumi. La princesse perdait ses couleurs à mesure que le temps passait. Du haut de sa tour, le poison l’avait atteinte. Douce odeur envoûtante qui pourtant venait la pousser vers un abysse inconnu.

« Hangyeol est blessé, il est à l’hôpital. » S’apprêtant à sortir en douce, la jeune femme s’arrêta subitement pour écouter le reste de la conversation de ses parents. Son frère blessé ? L’inquiétude, la culpabilité se mit à la ronger. Elle resta figée de longues minutes pour comprendre la situation, mais la réalité la rappela à l’ordre. Son portable vibra, un message de son copain lui demandant si elle arrivait. Elle sortit de la maison.

Calme d’apparence, dans sa tête et son corps tout venait bouillir. Elle ne savait pas quoi faire, quoi dire. Pouvait-elle même dire quelque chose ? Ses yeux se fermèrent un moment alors que ses pieds, suspendus dans le vide, venaient se balancer. Yumi tenait son téléphone en main, tapant des mots, les effaçant. L’hésitation la berçait et l’empêchait d’appuyer sur envoyer. Une main finie par se poser sur son épaule et elle sentit des lèvres se poser contre sa joue. « Qu’est-ce que tu fais ? » « J’hésite à lui envoyer un message.. à Hangyeol. » Il attrapa son téléphone pour le verrouiller et le ranger dans sa poche. Yumi songea que c’était pour son bien, il avait toujours agi pour elle, juste pour elle. Du moins, c’est ce dont elle était persuadée. La vérité était bien plus sombre et l’emprise qu’il possédait sur la demoiselle était des plus malsaines.

Un soir, tout dérapa. La peur prit place sur la confiance. Les masques venaient tomber petit à petit. Cet homme qu’elle avait présenté à ses parents, qu’ils avaient appris à aimer. Après tout, qui ne l’aurait pas aimé ? C’était le parfait gendre, du moins en apparence. Au fond il n’avait fait que manipulation, poussant Yumi à la cigarette, lui apprenant à voler et exploitant son talent pour le mensonge. Ironie du sort.

Ce soir-là, les voix s’élevèrent. « Tu es à moi. » Possessivité maladive accompagnée de gestes un peu brutaux. Il la tenait entre ses doigts alors que l’innocente essayait de se sauver. Elle n’était qu’un pion, une proie facile. Son corps tomba au sol, effrayé. Il n’en resta pas là, devenant le démon de ses futurs cauchemars. Le jeune homme, si parfait d’apparence, répéta combien elle lui appartenait en venant marquer sa peau. La lame brûla son poignet puis plus rien. Le démon reprenait l’image d’un ange, murmurant combien il l’aimait. Il la tenait et la peur des mois qui suivirent l’empêcha de le quitter. La peur était devenue le synonyme de Yumi. Inquiétant ses parents face à son renfermement. Les vols augmentèrent, les mensonges aussi. Et remarquant l’augmentation de ses achats nocifs, ils décidèrent de lui couper son argent de poche.

Et autour de ça, il était toujours là, souriant et lui répétant qu’il l’aimait. Elle en avait simplement peur et personne à qui en parler. Puis la lettre d’acceptation arriva, Yumi était acceptée à l’université de Séoul. Ses parents acceptèrent de la laisser partir, espérant que ce nouveau départ mettrait un terme à ses anciennes relations. Ce jour-là, le jour de son départ, elle réussit à quitter son cauchemar.