It’s Britney B****.

Deux yeux aigue-marine s’ouvraient dans un cri sur l’île d’émeraude. Raven était née. 

Chapitre 1 – Get Up # 01.08.05

« Rav ! Tu viens jouer ? »

Une mèche bond roux s’échappa de sa capuche lorsque Raven releva la tête pour répondre. Cela faisait maintenant trois heures qu’elle était assise, dans le sable, sur la plage, perdant son regard dans l’horizon. Elle avait vu des bateaux traverser son champ de vision vers des contrées lointaines, des oiseaux planer et virevolter librement dans les courants d’air. Elle avait observé la lumière du soleil s’enflammer, baignant le monde d’une somptueuse lumière dorée, embrasant les vagues, le sable, et sa peau de porcelaine. Jusqu’à présent elle avait réussi à se faire oublier des autres enfants. C’était un bel anniversaire. 

« Allez viens pour une fois ! On joue à cache-cache c’est marrant ! »

Bon au moins, elle n’aurait pas à leur parler. Raven se releva en souplesse et épousseta le sable accroché à son pantalon de ses petites mains d’enfant avant de rejoindre la bande de gamins quelques mètres plus loin. La plage n’était pas très vaste mais il y avait des falaises avec des petites grottes et des recoins. Un terrain de jeu idéal pour une partie de cache – cache. 

« Raven tu comptes jusqu’à 20 et tu commences à nous chercher ! Pas le droit de se cacher ailleurs que sur la plage. »

Les enfants se dispersèrent en courant, criant de rire et d’excitation. Leurs piaillements se mêlaient avec les cris des mouettes. Raven égrenait les secondes l’éloignant du début de sa traque. Elle se réjouissait à l’idée d’avoir à débusquer ses camarades. Elle détestait avoir le sentiment d’être une proie attendant son heure, cachée dans un trou. A l’inverse, chercher des gens mettait tous ses sens en exergue. Observer, analyser… cette pensée déclencha un frisson d’excitation qui descendit en vibrant le long de sa colonne vertébrale.

« 19... 20… J’arrive! »

Raven bondit du rocher sur lequel elle s’était isolée pour compter, atterrissant dans une gerbe de grains de sables. Elle vit les traces de pas qui avaient labouré la plage et décida de suivre la piste avec le plus de traces. Elle arriva bientôt au pied d’une structure rocheuse friable, éventrée par une faille juste assez large pour laisser passer une personne. Raven y jeta un coup d’œil. Il y faisait sombre et l’odeur de varech qui en sortait lui fit plisser le nez. Pourtant, par-dessus le ressac des vagues, il lui sembla percevoir les chuchotements pressés d’un groupe d’enfants. Elle enjamba la faille et s’introduisit dans une sorte de petite grotte, à l’abri des regards. Ils étaient là, tapis dans l’ombre. Elle les avait trouvés, elle avait gagné!

Une main tira violemment sur sa capuche. Déséquilibrée, Raven tomba et s’ouvrit les mains sur les coquillages agglutinés sur les rochers.

« Hey! C’était quoi ça ? Qu’est-ce que... »

Sa phrase fut coupée au même moment que son souffle quand un des garçons du groupe envoya son pied dans ses côtes. Raven toussa, se recroquevilla autant qu’elle le pu. Il avait suffit d’un coup pour que tous se jettent sur elle. Des mains maladroites tâtonnèrent jusqu’à son cou, se resserrant brutalement autour de sa trachée. Raven avait mal, elle ne pouvait plus respirer. Le poids de l’enfant qui l’étranglait écrasait ses poumons. D’autres lui jetaient des cailloux au visage et lui donnaient des coups dans les jambes.

« Vas-y ! Elle est trop bizarre ! On aurait du la noyer à la naissance comme un chien ! »

Sa vision commençait à devenir floue. Lutter devenait plus difficile. Les coups et les insultes paraissaient s’éloigner. La douleur était pourtant là, lancinante, cinglante.

Soudain, elle ne sentit plus le poids de son agresseur – ni ses mais autour de son cou. Les coups avaient cessé de pleuvoir. Les insultes s’évanouissaient totalement. Une paix intérieure l’envahit avec la douce puissance d’une vague emportant du bois flotté.

« LAISSEZ MA SŒUR TRANQUILLE ! TIREZ VOUS ! NE L’APPROCHEZ PLUS JAMAIS ! »

Des bras vinrent soutenir le corps meurtri de Raven, leur chaleur… un doux confort.

« Allez Rav, lève-toi, ces c*nnards sont partis. Lève-toi s’il te plait… »

La voix implorante de Sean, son frère, la sortit de sa torpeur. Elle tenta d’ouvrir les yeux. Son œil gauche semblait collé. Sa voix ne lui obéissait plus. Seul un croassement étouffé lui parvint. Elle avait mal aux mains, aux bras, au dos. Ses jambes tremblèrent lorsqu’elle essaya de se relever. Elle roula sur le côté, ne pouvant réprimer un gémissement. Une larme tiède roula sur sa joue bleuie. Son corps s’éleva soudain, en douceur. Son frère la tenait dans ses bras comme une poupée de porcelaine. Désarticulée, elle s’avachit de tout son poids contre l’épaule de son frère. Bientôt Raven se perdit dans son inconscient, seul moyen d’échapper à sa douleur.

***

Les draps de son lit d’enfant sentaient bon la lavande. Ses mains étaient bandées. Un pansement apaisait son œil gonflé. De son autre œil elle ne voyait que le reflet bleuté de la luminosité nocturne d’une nuit de pleine lune. Une voix douce et chaleureuse, mais teintée de tristesse, lui parvint. Sa mère avait veillé à son chevet.

« Tu es réveillée ? Tiens essaye de boire ça… Pour ta gorge. C’est au miel, tu aimes le miel, hein ? »

Raven opina faiblement. Elle fit de son mieux pour relever la tête, et trempa ses lèvres dans la boisson chaude. Déglutir lui coutait. Elle avait faillit mourir étranglée. Cette pensée la faisait bouillir de rage… et l’accablait de tristesse. Elle se sentait trahie, abusée, brisée. Que valait-elle si des enfants voulaient la tuer ? Rien. 

« Dès que tu seras remise, je vais t’apprendre à casser la gueule de ces imbéciles. Tu vaux mieux qu’eux Rav. C’est pour ça qu’ils ne t’aiment pas, tu es bien meilleure qu’eux tous réunis. »

Chapitre 2 – Stand Up # 01.08.15

Pum

Pum Pum

Pum

Pum PumPum Pum

Le revêtement du punching ball claquait sous les poings de Raven. Le rythme de son souffle s'accordait au rythme de ses coups. La sueur perlait sur son front, glissant sur la courbure de son cou pour finir sa course dans le creux de son dos. La pendule de son club affichait déjà 5h30. La salle était vide. Elle pouvait se concentrer pleinement sur ses coups, sur son combat. Esquive, Esquive, Crochet. Esquive. Riposte. Direct. Direct. Esquive. Feinte. Uppercut. Direct. Le sac était balloté, sa chaîne cliquetant, claquant, cognant, luttant en grinçant pour le maintenir en place.

Raven fit une pause, essuyant la sueur de son visage d’un coup de serviette. Après avoir enlevé ses gants, elle but de l’eau à grandes gorgées. Dans deux heures elle aurait officiellement 17 ans. Dans deux heures et demie son job commencerait. En attendant, elle s’entraînait.
 
Elle reposa sa bouteille, sa serviette, vérifia que ses bandes étaient toujours bien posées et remis ses gants. D’un coup de pied médian, elle redonna du mouvement au sac. Direct, Direct, Genoux. Esquive. Feinte. Esquive. Crochet. En arrière. Coup de tibia. Doublé. Coup de pied haut. Esquive. Coup de coude. Esquive. Direct visage. Feinte. Direct Descendant. En arrière. Esquive. Circulaire crocheté. Elle était rapide sur ses pieds. Précise. Montant sa garde. Ses coups étaient puissants, rapides. Après dix années de pratique, boxer était devenu une seconde nature pour elle. Les coups qu’elle avait pris pendant ses entraînements n’avaient fait que renforcer sa hargne, et l’avaient poussée à perfectionner sa technique. Elle se mouvait comme une panthère et frappait comme une lionne avec la rage d’une tigresse.

Pum Pum Pum

Pum

Pum Pum

Pum
Pum 

PumPum Pum

Pum

6h12. Fin de l’entraînement : Etirements puis douche. L’eau chaude coulant sur son corps sec délassa ses muscles gorgés de sang. Elle resta ainsi plusieurs instants, à gouter au plaisir simple d’une douche chaude. Elle en profita pour laver sa crinière blond roux. Elle sortit de la douche, dans les vestiaires embués. Elle se sécha rapidement, sortit ses affaires propres et fourra ses vêtements de sport imbibés de sueur au fond de son sac. Elle passa ses mains dans ses cheveux humides, les brossa consciencieusement et les sécha du mieux qu’elle pu avec la serviette et le vieux séchoir mis à disposition par son club de boxe. Elle appliqua une crème teintée sur son visage. Sur ses paupières, un fard corail, un trait de khôl et du mascara pour surligner son regard de glace.
 
7h02. Elle avait tout juste le temps de courir prendre son bus pour aller au boulot. Elle travaillait comme barista pour une grande chaîne américaine dans le coffee shop du coin. Tout le monde passait par là sur le chemin du boulot. Son bus arriva dans le chuintement de ses freins hydrauliques. Elle bondit agilement, carte en main, passant machinalement son badge sur le détecteur qui bipa en réponse. En saluant le chauffeur d’un mouvement de tête, elle alla trouver son siège habituel, près des portes de sorties, le long de la fenêtre. Cherchant dans la poche de côté de son sac, elle en extrait son smartphone et ses écouteurs qu’elle s’empressa de caler dans ses oreilles. Elle regarda le paysage défiler au rythme du bus. Observant les ombres changer, et l’intensité de la lumière augmenter, à mesure que le soleil se levait. Happy Birthday Raven.

Arrivée à son arrêt de bus, elle descendit les marches prestement et se dirigea vers la porte de service du café. Karim passait déjà la serpillère. 

« Salut R ! Joyeux anniversaire beauté, t’as prévu quelque chose pour fêter ça ? »

« Salut ! Merci Karim. Nan je vais simplement fêter ça en famille, ça me convient mieux comme ça. »

Il hocha simplement la tête, tentant sans doute de s’abstenir de formuler un jugement qui aurait pu blesser son amie. 

Raven attrapa son tablier et le noua autour de sa taille avant d’attraper un chiffon et du produit nettoyant pour désinfecter les surfaces avant le début du service. Karim avait mis une de ses chansons préférées. Elle fredonna les paroles timidement avant que la voix de son ami ne l’encourage à laisser vibrer son cœur.

« Can't you see that you cannot control the man I am

I am not a puppet on your string

So maybe you should check yourself before you tell me what you think of me

If I'm too hot to handle baby

Drop the heat

Cause this is me »

Leur duo fut interrompu par une cliente qui toqua à la porte. Raven intima à Karim de baisser la musique et posa ses affaires de nettoyage avant d’aller déverrouiller la porte.

« Bonjour, excusez-moi êtes-vous déjà ouverts ? »

« Dans une minute, mais nous venons de terminer le ménage. Entrez-donc. »

« Ah parfait, il me faudra un très grand caramel macchiato avec du lait de soja, un supplément cannelle et sans crème fouettée, merci. »

La cliente franchit le seuil en récitant sa commande comme un automate. Ah… le café du matin… Raven mis ses appareils en marche, réunit les ingrédients et exécuta la recette avant de servir la boisson avec une serviette et une paille en carton.

« Attention c’est très chaud. Bonne journée madame. »

Ce fut une journée sans évènement. Un vieil homme, un habitué, souhaita poliment son anniversaire à Raven comme le font les vieilles personnes éduquées. L’heure de fermeture arriva rapidement. Les derniers clients finissaient leur café, fermaient leurs ordinateurs portables et ramassaient leurs affaires avant de quitter le local. Raven retourna le panneau « Ouvert » sur le côté « Fermé » derrière le dernier client. 

« Bon allez, on n’a plus qu’à nettoyer tout ça avant de rentrer. Je passe la serpillière pour changer ? »

«  Raven, c’est ton anniversaire, tu devrais rentrer chez toi… Tu en as fait assez pour aujourd’hui. Je vais fermer tout seul t’inquiète pas… Tu me revaudras ça une autre fois, je fais confiance à ta loyauté » Karim ponctua sa dernière remarque d’un clin d’œil.

« Bon… Tu sais qu’habituellement je te passerai un savon pour m’avoir proposé une chose aussi indécente… Mais je crois que pour une fois je vais me rendre sans combattre. Merci K. Je te revaudrais ça ! »

Raven alla chercher ses affaires dans l’arrière boutique. Elle défit son tablier et se regarda dans la glace pour tenter de dompter ses cheveux. Relativement satisfaite du résultat, elle se dirigea dehors dans la lumière blafarde du crépuscule. Entre chien et loup, sa vision n’était pas aussi bonne qu’en plein jour. Les lampadaires municipaux s’allumaient au fur et à mesure. L’humidité tombait, amenant le froid. Fichu île. Pourquoi n’habitait-elle pas dans un pays tropical ? Et ce bus qui n’arrivait pas… Résignée, agacée et surtout congelée, Raven se décida à marcher pour rentrer chez elle. 

Une goutte tomba sur le sommet de son crâne. Génial. Il ne manquait plus que la pluie. Raven se dirigea vers le raccourci qu’elle connaissait bien, une petite ruelle entre deux pubs. Ignorant les remarques graveleuses des buveurs de Guinness, elle remonta la ruelle en évitant la rigole au centre qui commençait à se remplir d’eau. Débouchant de l’autre côté, elle fut stoppée par la main d’un homme sur son épaule. Surprise, elle recula en se cognant dans un autre. D’un mouvement sec, elle se dégagea de leur contact, agacée.

« Eh, mec, eh ! Tu la reconnais pas ? C’est Raven, tu sais la sal*pe qu’on avait presque réussi à calmer quand on était gosses ! »

« Oh merde !! Ouais t’as raison c’est cette pouffiasse ! Ben elle est sacrément bonne maintenant. »

Raven aussi les avait reconnus. Dans la lueur blafarde de l’éclairage public, leurs cheveux collés par la pluie, ils étaient pathétiques, hideux. Le regard du plus petit s’anima d’une lueur mauvaise. Une grimace qui aurait du être un sourire tordit son expression. Il tendit une main lubrique vers Raven. 

« Allez viens ! On est désolés pour l’autre fois à la plage hein. On va être gentils, on va prendre bien soin de toi »

Raven dégagea sa main d’une tape. Il tenta de rétorquer par une claque. Elle le stoppa à nouveau.

« J’ai pas envie d’être gentille. »

« Oh ben alors ? Le petit chaton a des griffes maintenant ? »

Il rit et tenta de la ceinturer. D’un bond elle recula, lui assénant un coup de pied descendant au visage. Il tomba au sol en se tenant le nez. Son comparse pris la relève. Il agrippa les cheveux de Raven. Attrapant sa main, elle se retourna en lui tordant le poignet et lui porta un coup de coude au visage. Il le prit de plein fouet, lui lâchant les cheveux, mais tenta de répliquer. Raven esquiva avant de lui asséner deux directs. Son nez cassé pissait le sang. Enervé, il se jeta sur elle. Il était bien plus grand et plus épais qu’elle. Mais elle avait la vitesse… et l’entraînement. Elle se déporta sur le côté et lui donna un coup de genoux dans les côtes du toutes ses forces et enchaîna avec un semi-circulaire descendant à la tête. Il tomba au sol en gémissant. L’autre s’était relevé et l’insultait. Elle fondit sur lui, profitant de son élan pour lui flanquer un uppercut bien senti suivi d’un latéral pistonné. Il accusa le coup, titubant, perdant l’équilibre. 

« Rav, arrête ! Ils ont eu leur compte » 

Karim ?

Des lumières rouges et bleues fendirent l’obscurité. Des policiers en sortirent, hurlant à Raven de s’écarter de se mettre à terre, de mettre ses mains en l’air. Elle s’allongea sur les pavés sales et humides, la pluie battant sur son visage, se mêlant à des larmes de rage. Elle s’était vengée. Elle s’était défendue. Le métal froid des menottes se referma sur ses poignets dans un cliquetis glaçant. On l’emmenait dans la voiture des flics et ses deux agresseurs repartaient en ambulance. Elle entendit Karim tenter d’expliquer la situation aux officiers, leurs voix distantes noyées dans le vacarme de la sirène.

Chapitre 3 – Don’t give up the fight # 01.08.19

Le procès et ses conséquences ont eu des effets délétères sur les finances de Raven. Heureusement, le témoignage de Karim lui a évité la prison. Toutefois il a été jugé que l’usage de ses compétences en boxe pour se défendre contre deux hommes qui ne maîtrisaient pas de techniques de combat ne lui permettait pas d’invoquer la légitime défense. Certes. Elle aurait sans doute du les laisser la défigurer…  encore… voire pire. Elle s’était défendue. Elle n’était pas vengée. Elle ne pouvait pas avoir confiance en la justice.

A la suite de ce procès, elle avait perdu son emploi au café. Elle avait enchaîné plusieurs petits boulots avant d’atterrir comme Barmaid dans un bar à cocktails des quartiers chauds. Les clients lourds qui lui proposaient de rémunérer plus que le service du verre étaient monnaie courante. Les ignorer était devenu une habitude. Parfois une phrase cinglante bien sentie était nécessaire. Sinon, un regard aussi froid que ses yeux de glace suffisait généralement à repousser les avances lubriques.

En quatre ans et de nombreux pourboires, elle avait assez pour un aller-simple pour quitter l’Irlande. Son frère, parti travailler à Dublin, la soutenait dans ce projet à la condition qu’elle aille à l’université. Il avait même proposé de l’aider à financer sa première année. Il s’agissait pour elle de trouver où cette année se déroulerait. Le plus loin possible de ce pays serait le mieux.

Lors de son dernier passage à la bibliothèque, elle avait ramassé plusieurs dépliants sur des universités étrangères. Elle les prit un à un, regard vaguement les photos parfaites d’étudiants parfaits souriant de leurs dents parfaites qui présentaient l’Université parfaite qui les formait pour le monde imparfait de demain … Comment choisir sa nouvelle vie quand on ne connaît rien du monde ? Son regard se posa sur un dépliant un peu différent des autres, plus épuré. Quelque chose d’autre attira son attention. Un sentiment d’équilibre se dégageait de la présentation de cette Université. De… paix ?
 
Un vol pour Séoul, en 25 heures et 42 minutes avec une escale lui coûterait 918€… Bon… Au moins c’était dans son budget. Il ne lui restait plus qu’à appeler son frère.

« Sean, c’est moi… J’ai trouvé une Université. Je vais aller y étudier le droit. »

« Salut R ! C’est formidable, où est-ce que tu veux postuler ? King’s College ? Columbia ?... »

« Séoul. Je veux postuler à la Séoul National University »

« Ah… Tu n’as pas trouvé plus près évidemment… Et tu ne parles même pas le Coréen ?? »

« C’es tout vu : une fois mon dossier accepté, j’irai là bas dès que possible, je ferai des petits boulots dans un bar – ce genre de job ne connait pas de frontières, et je sais faire – comme ça je pourrais apprendre le Coréen avant le début des cours »

« Donc tu comptes apprendre une langue dans un alphabet TOTALEMENT différent du tiens en… quoi… quatre mois ? Tu es folle… Mais je n’ai qu’une parole. Si ton dossier est accepté je t’aiderai à y aller. »

« Tu sais qui es le meilleur des frères ? TOI ! Merci merci merci merci ! »

« Vas plutôt peaufiner ta lettre de motivation. »

L’âme ravie, elle raccrocha le téléphone et commença son dossier. La date limite pour les envoyer n’était que quelques jours plus tard. Elle travailla jusqu’au dernier moment, revoyant chaque mot, demandant conseil à son frère jusqu’à user ses nerfs. Enfin, elle envoya son dossier…
 
En attendant la réponse de l’Université elle devrait s’occuper l’esprit. La programmation et les manipulations informatiques avaient toujours été un de ses passe-temps préférés. Grâce au procès, elle avait eu accès aux noms complets de ses agresseurs. Ressortant ses vieux dossiers, elle se mit à la tâche.

***

Trois mois plus tard, elle reçut un e-mail « Séoul National University : votre candidature ». La main tremblante, elle dirigea le curseur de sa souris sur l’intitulé du mail. Elle expira lentement et au moment d’inspirer, elle cliqua sur le lien « Bonnet Raven, nous avons le plaisir de vous annoncer que votre candidature a été acceptée par la Séoul National University pour la formation de Droit Pénal. »  La suite de l’email était une liste d’informations pratiques et techniques pour finaliser son inscription. 

Débordante de joie, Raven survola à peine ces informations, pressée d’annoncer la bonne nouvelle à son frère. Elle réserva son billet d’avion pour Séoul en même temps qu’elle discutait des détails de sa folle entreprise avec Sean.

***

Une semaine plus tard elle était dans le terminal international de l’aéroport de Dublin. Sean à ses côtés.

« Raven… Avant que tu partes… Maman m’avait confié ceci. C’était à l’un de nos ancêtres. Apparemment c’était un pirate, ou peut-être un corsaire, mais c’est un porte bonheur. J’aurai sans doute du te le donner plus tôt… Enfin… Il est gravé ‘audaces foruna juvat’. »

« La chance sourit aux audacieux… »

Raven prit délicatement le bijou en argent dans ses mains et l’observa. Il était magnifique, délicat. Sean l’aida à l’accrocher à son cou.

« Les voyageurs à destination de Séoul, vol AL75632, l’enregistrement est ouvert »

« Bon… Je crois que nous nous laissons ici. »

Le frère et la sœur s’étreignirent fermement, dans un au revoir au goût d’adieu. Leurs mémoires respectives tentèrent de retenir les moindres détails de l’autre. Son odeur, sa chaleur, sa voix, la texture de ses vêtements, les reflets du soleil dans ses cheveux… Ils se quittèrent dans un dernier regard, arrachés l’un à l’autre par la vie et le temps. 

Au moment de monter dans l’avion, Raven entendit derrière elle deux jeunes s’exclamer.

« T’as vu ? Apparemment y’a des gars qui ont essayé de tuer une fille deux fois, et ils ont fait plein d’autres trucs horribles aussi ! Ca aurait fuité sur un site d’information indépendant. » 

« C’est ouf. En plus ils ont fait un procès contre elle mais elle a perdu… What the… »

« Mais regarde y’a des photos de leurs crimes, et y’a des screenshot de leurs messages aussi !! »

« Mais là leur vie elle est fichue ! Attends mais y’a trop de preuves, ils peuvent pas démentir ça ! Ils vont aller en taule c’est sûr ! »

Elle s’est défendue- elle a perdu. Elle a continué le combat - elle est enfin vengée. Elle continuera -jusqu’à ce que justice soit faite pour tous. 

Elle s’installa à sa place, 8 A – un hublot. Le brouhaha des passagers se fondit dans le ronronnement des moteurs. La puissance contenue de l’avion au roulage la fascinait. Il faudrait qu’elle apprenne à piloter un jour. Les consignes de sécurités s’égrenaient à mesure que l’avion atteignait la piste de décollage. Les hôtesses et stewards regagnèrent leurs sièges. Le monstre d’acier accéléra. Raven se sentit plaquée au fond de son siège, happée par la puissance de la poussée. L’avion se cabra avec la fougue d’un cheval sauvage. Son ventre de métal quitta définitivement le sol de l’île d’émeraude, s’enfonçant dans le ciel rougeoyant, s’élançant vers le soleil levant en direction du pays du matin calme.