I.
Elle parle pas beaucoup Emi, mais dans sa tête, il se déroule des dizaines de monologue en même temps. Un entremêlement de pensées qu'elle n'ose pas prononcer ou qu'elle ne préfère pas avouer. Alors au lieu d'énoncer de vive voix ses idées, elle trouve plus de réconfort à les écrire ici et là. Des fois les mots finissent par échouer sur des pages de journaux, des bouts de serviettes en papier ou encore sur le coin de pages cornées. Quand elle n'arrive pas à trouver de support approprié, elle choisit ses mains, tant pis si ces traces ne sont qu'éphémères.
II.
Elle faisait partie du club de calligraphie à son école au Japon, c'est sûrement de là qui lui est venu cette manie de vouloir écrire partout.
III.
Elle a commencé à fumer il y a de ça un an. Elle espérait qu'avec une clope entre ses doigts elle apparaîtrait comme « rebelle » mais c'était aussi une façon pour elle de s'affirmer afin de montrer à la société qu'elle n'était pas une fille faible. D'après son expérience ça n'a pas vraiment fonctionné, pourtant, elle s'accroche encore à cette idée.
IV.
Elle habite avec sa grand-mère maternelle depuis peu, selon sa propre initiative. Ses parents n'ont pas cherché à la dissuader, ils ont fait bien pire en acceptant sa proposition sans aucune objection, le soulagement au fond des yeux. Elle ne pensait pas voir ses parents si indifférents face à sa situation.  
V.
Elle dort sur un matelas à même le sol, ça lui rappelle les futons sur lesquels elle dormait étant petite. Surtout que sa grand-mère ne touche pas une retraite assez confortable pour qu'elle puisse lui demander un lit de princesse. ( de toute façon, Emi n'aime pas les princesses.)  
VI.
Elle a bien essayé de boire du café le matin comme sa mère a l'habitude de faire juste après s'être levé. C'est l'une des rares choses qu'elle a inconsciemment voulu reproduire de ses parents, malheureusement ce n'est pas au petit jour de demain qu'elle réussira à confronter son dégoût pour cette boisson. À la place, elle a trouvé une alternative : un verre de lait froid qui à l'inverse du café a conservé le goût de l'enfance.
VII.
La mer est une vraie obsession chez elle. Peut-être à cause des embruns marins, du son répétitif des vagues s'écrasant contre le sable ou alors l'inconnue des profondeurs ? Elle n'a jamais voulu expliquer pourquoi, pour elle c'est juste l'endroit où elle doit et veut être.  
VIII.
Emi, c'est certainement pas une bavarde comme peuvent l'être certain à la voix criarde. Elle garde dans ses silences les vérités qu'il est préférable de ne pas rapporter et laisse à son interlocuteur le soin de comprendre ou non son mutisme. Parfois, les mots sont plus efficaces que les non-dits, mais elle a bien trop peur d'affirmer de vive voix ses idées, l'angoisse d'être jugée bloquant dans sa gorge tous les mots qu'elle voudrait crier.
IX.
Une lève-tôt qui échange volontiers quelques heures de sommeil contre la belle occasion de voir le jour reprendre ses droits dans tout Séoul. À peine réveiller, une clope entre ses lèvres serrées, elle observe de sa vision floue la ville se réveiller, puis à chaque fois elle se demande si finalement cette ville s'était jamais couché.  
X.
Les boites de nuit, les soirées entre copines, l'alcool qui rempli inlassablement les verres qui eux ne deviennent jamais vides. Toute ça, toutes ces choses qu'elle n'a jamais vraiment connue, mais qu'elle se refuse de part son courage bien insuffisant (si ce n'est inexistant) face à cet univers si intimidant. Emi ne sait pas s'amuser, c'est un fait, pourtant ce qui lui manque ce n'est pas l'envie, mais des amis.Des fois, elle aurait presque pitié d'elle-même.
XI. Bien qu'elle se considère comme étant une enfant unique, Emi sait que son père a déjà eu une vie avec une autre femme que sa mère. La jeune fille ne devrait pas être au courant, mais ses grand-parents ne se gênaient pas pour lui raconter toute cette affaire dans le dos de ses parents, inconscients des remarques parfois désobligeantes que recevaient leur fille. Emi ne faisait pas vraiment attention à ce dont on lui faisait part, ils avaient commencé à la harceler avec leurs histoires depuis son entrée au collège la jugeant assez grande pour comprendre, depuis longtemps elle avait arrêté d'écouter. Pourtant, certains soirs, il lui arrive de se rappeler de certaine bribes de conversation et elle se souvient qu'au-delà des réflexions sur son métissage faisant d'elle un enfant "partiellement parfait", revenait fréquemment "notre petit ange". Un surnom associé à cette affirmation : " notre petit ange, l'enfant parfait contrairement à toi, tu sais bien l'enfant parfaitement japonais de ton père et la femme qu'il aurait dû épouser". Il y a donc quelque part, une personne qu'elle aurait du appeler grand-frère ou grande-soeur, mais cette personne elle ne l'a jamais rencontré.
XII.
Son prénom est purement japonais, un choix de ses parents qui ne voulait pas que leur fille se démarque parmi les autres enfants. Au moins, à l'école, personne ne pouvait la juger sur ses origines en partie étrangères.
XIII.
Emi est arrivée en Corée quelques semaines seulement avant la rentrée universitaire à Séoul  selon son propre souhait. Ainsi, son départ concordait au mensonge qu'elle avait sorti à ses parents et lui donnait  la possibilité de ne pas les avoir dans les pattes pendant cette fameuse rentrée où elle ne s'était pas rendu.
XIII.
Elle se débrouille plutôt bien en coréen étant donné les stricts cours de langue de sa mère. Cela dit, elle a vraisemblablement quelques lacunes dans sa prononciation à l'inverse de son expression écrite qui est presque excellente.
XIV.
Elle n'avait même pas à tendre l'oreille, ils parlaient déjà assez fort pour elle. Ses camarades, ses professeurs, ses voisins ainsi que ses parents à la tombée de la nuit. Une longue liste de personnes dont elle ne connaissait pour la plupart l'identité. Une longue liste de personnes qui se permettaient de porter un jugement, qui n'hésitait pas à ramener dans leur conversation ce dont on l'accusait. Personne n'avait voulu rechercher la vérité puisqu'ils préféraient sans aucun doute considérer le mensonge qu'ils répétaient à longueur de temps comme étant la pure vérité. Un jour, le principal l'a convoquée, lui donnant l'espoir que peut-être quelqu'un allait pour une fois l'écouter. Mais non, on lui a juste fait comprendre qu'il fallait mieux pour elle de continuer les cours à domicile. Après tout, il est toujours préférable pour eux de virer les soucis. 
XV.
«Pensaient-ils tous réellement que je me plaisais à être la catin d'un stupide lycée remplie d'adolescent malsain ? Moi, qui n'est connu l'amour qu'au détour d'un couloir ?»