"Faire une fugue. Action de fuir, de s'enfuir. Le fait de disparaître du milieu familial sans prévenir pendant une durée plus ou moins longue. On dit d'un mineur qu'il fugue lorsqu'il s'enfuit de son domicile."

Dans notre société actuelle, patriarcale à souhait remplie d'adultes qui pensent que l'autorité est quelque chose qui doit être respectée envers et contre tous, voir un gamin fuguer, c'est classique. C'est même la base. Chez moi, t'es pas considéré comme un homme tant que t'as pas survécu dans les bas-fonds de Busan pendant deux semaines avec mille wons. Et si tu en fais trois... Purée, ça veut dire que t'as des couilles énormes. Cinq kilos chacune, minimum. Du coup, des potes qui ont fugué pour défier l'autorité de leurs géniteurs ou pour montrer qu'ils en ont des grosses, j'en connais plein. J'ai même pas assez de doigts pour les compter tellement ils sont nombreux !
Personnellement, je considère qu'il y a deux types de fugueur. Y'a les intellectuels, ceux qui anticipent leur sale coup (non parce que partir avec mille wons, en réalité, c'est clairement suicidaire alors ne le faites pas chez vous, vraiment) et qui savent quand rentrer (parce que le but d'une fugue, honnêtement, c'est de mettre un coup de pression sur tes parents pour qu'ils desserrent un peu la vis, hein, pas que tu finisses clamsé dans une poubelle. Ou pire. Dans deux poubelles !). Et les idiots. Ceux qui partent vraiment avec mille wons, trois slips et un t-shirt et qui pensent qu'avec leur expérience dans les jeux vidéos de survie, leur ceinture marron de taekwondo et les trois notions de mathématiques qu'ils ont appris à l'école, ils vont survivre dans la jungle qu'est la société, seul tout.

Donc oui, j'ai fugué. Et comme vous pouvez l'imaginer en regardant ma gueule d'ange et mes gros biceps, je fais partie... de la seconde catégorie.
La vérité je pensais pas que c'était aussi compliqué que ça, de fuguer. Je dirais même que je l'ai appris sur le tas à ma grande tristesse. Alors oui, je savais que partir avec mille wons, trois slips et un t-shirt c'était pas parfait mais qui aurait pensé que j'allais m'engueuler avec mon con de vieux le jour de la lessive ?! J'ai pris le reste de mes affaires propres et mon portefeuille et j'ai claqué la porte au nez et à la barbe de mes parents (et les autres pygmées de frère et sœur, mais ils étaient trop petits pour comprendre ce qui se passait) (remarque que, avec un peu de recul, j'étais aussi trop jeune pour comprendre ce qui se passait aussi). Donc jour de lessive combiné au fait que j'étais qu'un lycéen fauché, bah forcément je me suis retrouvé avec rien.

Pourquoi je me suis embrouillé avec mon paternel ? Eh bien, ceci est mon histoire. L'histoire de la vie !

Le jour où je suis né, mon père versa les premières larmes de son existence car il savait qu'il ne sera jamais aussi cool que moi... Bon, c'est un peu capillotracté comme raison mais c'est la seule valable que j'ai trouvé expliquant un tant soit peu pourquoi il ne m'aimait pas. Sincèrement, je n'ai jamais reçu le moindre signe affectif de la part de mon père, homme intègre et sévère calqué sur le stéréotype de l'asiatique des années 60. Mais en pire, car si le stéréotype du parent asiatique difficile se permet parfois de faire des choses inattendues mais chaleureuses (genre au lieu de s'excuser, il va te préparer une assiette de fruit. Ou t'offrir une petite wii le jour de ton anniversaire ni vu ni connu), lui était aussi stoïque qu'un bouddha dans un temple. Et encore, parce que le bouddha il sourit lui !

Mon enfance et mon adolescence fut un long chemin de croix où je servais de punching-ball et d'exemple pour mes sœurs et frères. S'il était sévère mais juste, il n'y aurait jamais eu de ressentiment mais je sentais bien qu'il préférait les autres à moi. Alors forcément quand t'es un gamin, t'es jaloux. Tu comprends pas. Tu fais le mariole pour te faire remarquer (naruto si tu me lis, j'te feel bro) mais ça marche pas. Tu performes à l'école mais ça ne suffit pas. Tu te lances dans le sport mais ta petite sœur est plus forte que toi (wtf nayoung ? Tu pouvais au moins me laisser ça !). Puis, plus le temps passe et plus tu sens quelque chose mourir en toi : que tu n'es pas à ta place, que tu ne seras jamais aimé, que peu importe ce que tu fais tu ne seras jamais assez bon.

Donc à la question "pourquoi est-ce que tu as fugué ?", la réponse est vraiment toute bête. Le genre de choses que tu vois dans les dramas. J'étais sur ma deuxième année de lycée et je souhaitais entreprendre des études qui ne lui plaisait pas. Il voulait que je devienne médecin. Ou avocat. Enfin, n'importe quel métier qui apporterait l'honneur et la dignité sur la famille pendant au moins trois générations. Et honnêtement, j'en étais capable. Je veux dire, le nombre de coup de plumeau et de ceinture que j'ai pris dans la gueule pour que je révise et fasses mes devoirs, quand j'étais gamin, je les compte plus.

Donc je suis parti. Ils se sont même pas fait chié à me chercher parce qu'ils étaient persuadé qu'après trois jours je serais rentré (je vous rappelle que j'avais mille wons. Avec mille wons je m'achète même pas un slip au supermarché. Heureusement que j'en avais trois et qu'au pire, tu peux les retourner !) Mais je suis jamais rentré. Les trois premiers jours j'ai dormi chez mon ex de l'époque. J'ai du partir après qu'ils aient trouvé mes slips dans leur machine à laver. Les quatre suivants, c'était chez un pote. Je me suis cassé quand sa mère voulait appeler la mienne pour qu'elle vienne me chercher. Je pouvais pas me faire griller après une semaine même pas (vous vous souvenez de ce que j'ai dit plus haut ? L'honneur, tout ça, tout ça) donc je suis parti en courant. Et c'est à peu près à ce moment là que j'ai compris que la vie cette garce, elle n'allait pas me ménager.

J'étais donc seul et sans logis (et sans pognon. Les mille wons sont partis dans des ramens instantanés) mais je pouvais compter sur ma grosse... Capacité d'adaptation et mon insolente chance. Je suis passé de logement social à logement social et j'ai pu m'en tirer grâce à des petits boulots ici et là. Une erreur de jeunesse faillit me faire plonger dans le monde de la nuit mais un policier, pas véreux pour un sous, m'a tiré de là et m'a remis sr le droit chemin. C'est une des raisons pour lesquelles j'avais émis le souhait de devenir flic aussi, à l'époque (ça et le fait de pouvoir devenir un grand ponte de la police et d'appointer mon père comme secrétaire. Oui j'ai un gros father complex).

Mais de l'eau a coulé sous les ponts et j'ai grandi ; j'ai passé mon service militaire, j'ai bossé dans un commissariat de quartier et je me suis rendu compte de plein de choses. Je préférerai m'occuper de gamins, en fait. Ils sont peut-être turbulents et peuvent rendre fous le plus Gandhi des moines mais au moins, ils boivent pas, fument pas et se droguent pas. Et même s'ils le font... Bah ils font pas un mètre quatre vingt et pèsent pas quatre vingt dix kilos...