« ah donc on est comme ça, toi et moi, on s’dit plus rien. »

son regard s’écroule quelque part, vient mourir au recoin des graviers – se perd ailleurs que dans le regard où il avait l’habitude de se noyer. il n’y a pas de sanglot qui vient distendre le charbon de son regard, rien qui vient le troubler ni témoigner du désordre de son esprit. il y a que sa voix qui parfois tremble, déraille sur la fin de la syllabe, pointe du doigt son coeur troublé.

« t’avais peut être tes raisons. t’avais peut être même une très bonne raison de rien me dire mais – »

mais quoi yujin ?
il y a rien qui sort – que ses lèvres qui se pincent et se tordent dans le plus grand des chagrins camouflés. il entend quelques tessons de verre s’entrechoquer et devine de leur provenance ; à sentir soudainement la brèche du palpitant s’intensifier.
mais comme toujours,
yujin il ment.

« busan hein ? t’auras la plage à côté, les jolies meufs à mâter, c’est cool. vraiment très très cool. »

les mains qui lacèrent presque le fond des poches de son jean avec le nez qui pointe soudainement vers le sol – la perte de l’équilibre alors que tout doit demeurer perpétuellement calme. il va pas chialer. il est pas comme ça.

« t’aurais quand même pu m’annoncer la grande nouvelle. j’veux dire. j’sais pas. j’croyais que toi et moi on. on – »

on rien. on sans suite, sans point, sans fin de phrase. on sans hypothèse confirmée, sans histoire à raconter – parce que c’est inachevé. on rien du tout parce qu’au final il n’y a rien eu, que des murmures, des sourires, la main qui effleure – juste parfois – d’une audace dont seul yujin a le secret. à sentir l’électricité qui vrillait la pulpe de ses doigts et chercher l’étincelle dans le regard de l’autre. y trouver en ce jour le vide d’un cratère.

« tu m’connais. j’veux toujours être spécial, j’en sais rien, j’veux toujours que tu. j’en sais rien. »

les épaules se haussent, doucement. retombent sans élégance – dévoilent les travers de l’artiste.

« j’vais pas te mentir. ça m’gave, de l’apprendre de quelqu’un d’autre. »

c’est écrit dans ses yeux, sur ses paumes et le long de sa jugulaire dévoilée alors que ses obsidiennes cherchent réconfort dans la voute céleste. et lui il accuse seulement le silence, le vide d’une relation qui perd soudainement son sens. subitement il aurait voulu apposer un nom sur ce qu’ils sont, rien qu’une fois – juste pour voir.

« c’est cool pour toi. à toi la belle vie. »

il est pas plus con qu’un autre yujin, peut-être un peu barré, détraqué, mais pas con. certainement pas con – il avait remarqué qu’un truc clochait.
et le menteur reproche ainsi le mensonge ; l’imposteur l’imposture – le fraudeur les faux sourires. les faux sentiments.

« c’est trop con. de s’oublier sur ça. »

il est pas plus con qu’un autre yujin,
et il sait qu’ici se signe la fin de quelque chose.






« tu nous as tous menti. à moi. à maman. à sunhi. »

sa voix est déformée par le combiné, ça grésille par la distance, s’amenuise en grains de saturation soudaine.
la nuit est froide, glacée. les couches de vêtements ne suffisent pas à atténuer les tremblements de sa dernière main fourrée dans sa poche. 23h45. le temps qu’arrête pas de lui bourrer le crâne, lui matraquer la tempe – avec l’envie soudaine de s’échapper. de lâcher ce putain de téléphone et de le planter.

« yujin, arrête. on va pas se disputer à des milliers de kilomètres, si ? »

projection nocturne de souvenirs éclatés qui défilent sous sa rétine – comme un disque rayé à l’image abîmée ; ballets des ombres funestes.
sa tête s’éclate contre la vitre de verre et n’arrive pas à le calmer.

« comment va maman ?

– t’as pas le droit de me poser cette question.
– comment toi tu vas ?
– ça t’importe vraiment ?

– yujin. »

la courbe toujours glorieuse de ses lèvres tombe, se redresse soudainement dans un rictus presque forcé – à pas vouloir s’effacer dans la pénombre du chagrin. tenir debout ; presque instable, les deux giboles qui tremblent au travers du jean troué. s’marrer un peu pour faire passer la pilule, la forcer à dévaler tout l’gosier.
la nuit colorée glisse contre ses iris noires, à boire les néons de l’orée nuptiale ; l’apothéose soudaine des rires ivres qui ne devrait pas tarder.

« alleeer, j’t’en prie papa, c’est plus l’moment de s’inquiéter. »

il y avait le mois d’avant,
les années auparavant,
à huit, dix ou quinze ans –
il avait tout le temps de s’informer,
de s’poser des questions,
d’faire le point – comprendre les illusions personnifiées de son fils ; les humeurs étiolées, étirées de sourires factices, les vannes mal câblées, et puis ses yeux éclatés, bouffés d’une autre démence jamais encore rencontrée.
il avait l’temps.
fallait juste le prendre.

« j’me les gèle, là, j’vais rejoindre les autres.
– fais attention.
– t’es chiant, vraiment. salut. »

j’te dis plus au revoir.


Take a breath, take it deep
Calm yourself, he says to me
If you play, you play for keeps
Take the gun and count to three
I’m sweating now, moving slow
No time to think, my turn to go


(et si je devais peindre,
tu sais ce que je prendrais,
du noir,
du noir partout,
pour ne plus voir tes yeux,
pour ne plus voir ta bouche,
pour ne plus voir ton visage,
tes mains,
ta démarche,
pour ne plus voir ne serait ce que ta présence,
ton odeur,
aussi,)

c’est peut être la deuxième, la troisième purification de la semaine.
ça suinte par tous ses pores, c’est la terreur qui cherche à s’extraire de l’habitacle pour venir bleuir l’opale des âmes malheureuses. c’est la colère qui déforme les traits, gonfle les muscles, explose quelques secondes après à l’encontre d’un corps bousculé. énième projet d’éducation à coup de canons – la mâchoire qui retombe, qui claque soudainement dans le silence pétrifié ; à s’abandonner à un dernier gémissement incontrôlé.

« j’t’en prie, yujin, arrête. »

pourtant son sourire se déchire dans les pétales sanglantes de ses plaies, fleurit dans un rire cassé. son corps glisse en cadavre le long du mur épinglé de vieilles photos, s’échoue au parquet des épaves. juste le regard qui percute le visage contracté du fauteur de trouble, dévie lassé vers le visage de la fausse veuve.

« ça s’rait pas drôle de s’arrêter au début de son oeuvre, man'. regarde, il a l’air inspiré. »

prêt à embrasser à pleine bouche la détonation du révolver, d’finir avec l’arcade défoncée, la moitié du visage enfoncée. mais il n’y a rien qui vient, qu’un cri épouvanté ; les pleurs d’une mère déchirée. et il se demande pour qui les larmes coulent vraiment, pour qui cette averse s’abandonne au dessous de son regard. certainement pas lui.

«pourquoi tu fais ça pourquoi tu fais ça, pourquoi pourquoi pourquoi - »

il s’épuise d’un nouveau sourire édulcoré, qui bave dans une tristesse infinie.

« va t-en, s’il te plait. dégage d’ici yujin. »

silence. silence à enterrer, silence qui vient tout bouffer, qui s’étire, qui s’étale, qui accapare tout ce qu’il peut trouver. sa souplesse aux coups, cette complaisance à la violence devinée – attendue – l’écoeurent ; comme cette habitude qui s’ancre doucement, écrase la moitié de ses chairs alors qu’il est objet de l’autre.
c’est un coup d’état.
sa cage thoracique semble broyée par la demande – à demi désarticulé il se relève. il fait face à l’autre, à elle, se détourne sans élégance, à demi fracassé.

(et parfois j’me dis,
j’aurai aimé être aveugle,
avoir les paupières collées,
fixées,
pour pas voir tout s’bousiller, se briser,
voir le monde s’éparpiller,
j’aurai aimé être sourd, aussi,
j’aurai aimé être infirme, peut-être,)

yujin vit.
et c’est cette douleur qui le lui rappelle.


Say a prayer to yourself
He says close your eyes
Sometimes it helps
And then I get a scary thought
That he’s here, means he’s never lost





bonjour mademoiselle vous êtes si belle parée de vos sourires diamants et de vos rubis aux joues – bonjour mademoiselle m’accorderiez vous la danse de vos regards et de vos bras contre ma peau ;
bonjour mademoiselle aujourd’hui dans ces draps blancs vous perdez de votre superbe vous savez ; où est dont la soie où sont les perles et les bijoux, les belles coiffures et les jolis souliers ? où sont vos sourires éclatants et tout ce qui vous caractérise tant – mademoiselle.

mademoiselle m’entendez vous ?

« mimi ? »

elle a le visage un peu vide mimi et le regard fané. les camélias n’ont plus leur jolie couleur et forment un nid de pétales morts autour de sa silhouette abandonnée. des crevasses sous ses yeux décrivent des arabesques terribles, témoignent des douloureuses minutes qui s’égrainent contre sa peau – et l’être tout entier de yujin craque ; à se souvenir de l’avant, des joies, des rires d’aurore qui venaient s’échouer dans le creux de ses oreilles.

« je vais bien, mon djinn. »

il en aurait chialé.

la réalité se déforme et aucune ivresse n’en est responsable. son humeur se distend, s’étire dans une presque colère ; les poings se contractent et yujin se sent définitivement abandonné.
il repense aux bêtises grandioses, les mains vissées sur le guidon de sa moto – il repense aux promesses oubliées, défoncées par la drogue trop ingérée ; il repense à ce qui était encore beau, coloré, foutu sous les néons d’un univers qu’il croit définitivement préférer.  

elle est si triste, mimi.

tout est triste, dégueulasse, injuste. tout est triste et ses tripes se serrent – les viscères qui se tordent jusqu’à lui faire dégueuler un nouveau sourire digne des plus grands millésimes.

« j’vois ça, que tu vas bien. j'suis content, c'est vraiment cool. »

une vingtaine de secondes à laisser l’esprit divaguer, s’perdre ailleurs et venir accrocher quelques espoirs vains ; avec soudainement l’infime sensation qu’elle lui échappe, qu’elle se dissous quelque part. le myocarde perforé de nouveau par l’impact de ses yeux qui se vident soudainement ; mimi qui perd de ses paillettes pour devenir elle aussi du plomb.

il étouffe.

« eh t’sais quoi. j’vais aller prendre un café. j’reviens plus tard. »

il n’est pas revenu.