01 — le hasard elle l’emmerde. elle aurait aimé pouvoir le provoquer, que dès le départ elle ait les mêmes chances d’y arriver. devenir musicienne, c'était son rêve ; devenir une pute, une idée lointaine. mais a-t-elle eu le choix ? ses parents lui ont-ils demandé son avis avant de la prostituer ? jamais! pas une seule fois! mais comment lutter quand votre destin est déjà scellé ? 02 — longtemps, elle a gouté à la moiteur des corps entremêlés, longtemps, dans ces draps de velours chauffés par des culs étrangers. pataugeant dans d’improbables inversions de cris, de rires, de larmes, elle gardait son chagrin pour elle. maudissant chaque main qui la profanait, elle étouffait sa rage, sans que jamais personne n’entrevit ce qu'elle ressentait. c’est calme, le coeur léger, qu’elle quitta ses parents. sans se retourner, la tête pleine de rage envers celle qu'elle appelait la ville des plaisirs où elle n’avait cessé de subir la bestialité des hommes et particulièrement celle de son propre père. c'est son goût immodéré de la lecture qui l'a poussé à vouloir approcher d’autres mondes, sous d’autres cieux plus paisibles. 03 — partout où elle va les murmures affluent, les visages abondent et les regards la fixent. à séoul ou ailleurs, c'est sans cesse la même chose. on blâme son existence qu'importe ses explications. on hurle à la putain qu'importe ses raisons. alors pourquoi essaye-t-elle encore d'être comme le voisinage ? pour l’absurdité d’être là. pour oublier sa jeunesse écumée qui l'a perdue, qui l'a tuée. 04 — lorsque les nuits blanches retiennent son sommeil, elle glisse dans ce vieux bar. mais lorsqu'elle débarque tout le monde se barre — sa mélancolie se marre. ce soir encore, elle boit seule au comptoir coincée entre un whisky coca et un shot de tequila : cocktail molotov pour défoncer ses peines, goûter l’atmosphère, à en perdre haleine. 05 — dans cette espèce de galetas assez spacieux meublé d'un matelas posé à terre, d'une table et de quelques chaises, elle suffoque des minutes entières, respire des jours sans fin. lors des après-midi pluvieux, pour rompre avec le silence des milliers de questions qui entrent dans sa tête, elle penche ses névroses sur une feuille grise de papier à musique : un amalgame des tons mineurs qui dépeignent ses colère, ses excès de rage et de peine.