Le jeu de la rose, pour une âme de romantique comme lui. Pas mal, il devait l'avouer. Ça l'emballait déjà plus que de raison, le fait de chercher comme un petit farfadet des forêts la rose la plus convoitée de la partie, à la manière d'un cache-cache parfumé et amusant. Et puis, Ja aimait beaucoup les fleurs. Pour sûr, il avait su s'éprendre de celle aux plus ravissants pétales, était inéluctablement tombé amoureux de la plus belle ; mais pour l'heure, il lui fallait démontrer ses talents de jardinier séducteur, et ainsi mettre la main sur trois jolies roses rouges. « Allez, pourvu que je ne me pique pas trop tôt. Motivé, yosh ! » Scanda-t-il dans un élan d'enthousiasme rayonnant, un sourire optimiste sur ses lippes rougies. Parti pour dénicher la première fleur qu'il put trouver, il se ravisa dans un élan de méfiance enfantine, rabattant son choix sur une rose plus loin. Oh non, il n'allait pas se faire avoir du premier coup. Certainement pas, même. Prions pour que celle-ci n'ait pas d'épines...

Ah, bon. The Lucky One, c'était pas pour aujourd'hui. « AYAYAYA AWHAH, AÏÏE ! » Un appel à l'aide chargé de douleur et de supplications franchit la barrière de ses lèvres, aiguë comme il se doit, criard comme à son habitude. Ouch, ça faisait bien mal comme il fallait. Peut-être n'avait-il pas calculé son coup assez correctement ? Il se pinça la lèvre sous le joug de la douleur se propageant dans son doigt, contemplant d'un œil judging himself so hard la piqûre de rose ensanglantée. Le Han soupira, se remémorant bien heureusement qu'il était vacciné. Ce n'était pas aujourd'hui qu'il allait mourir du tétanos, thank god. À moins que, plot twist, sa fin ne soit en réalité destinée à être un remake de la Belle au Bois Dormant et son fuseau ? Sans doute allait-il plonger dans un sommeil éternel, maintenant que le mal était fait... Oui, c'était certain. Ça ne pouvait qu'être ça. Sprintant de manière fébrile pour aller s'acheter un pansement, il ne perdit pas de temps pour partir à la recherche de sa deuxième rose, d'ores et déjà un peu plus rassuré d'avoir protégé son doigt mutilé. « Bon, ça va mieux comme ça. La prochaine a intérêt d'être la bonne. Celle-là, par exemple ! »

« AHHHHHAHAY ! AHAAHAÏE, J'AI MAAAAL. » Gémit Ja dans une plainte sonore, sursautant en découvrant la pomme empoisonnée du jardin. Ou plutôt, la rose empoisonnée, oui. Dieu tout puissant, qu'est-ce que ça faisait mal. S'il aimait les fleurs, lui commençait tout juste à penser qu'elles ne le portaient pas dans leur cœur. Pourquoi tant de haine, pourquoi tant d'animosité ? Crispant ses mâchoires, le Han se mit à hurler (oui, hurler) Le Mal Aimé intérieurement, une chanson française de dépressifs qu'il aimait plutôt bien. Il ne savait plus de qui c'était, en fait. Clovis Francia, peut-être. Peu importe. Rire jaune le secouant, deuxième aller-retour pour se bander le doigt, et le voilà revenu avec sa pouty face un peu confuse, plus ou moins boudeuse. Oh non, il n'allait pas abandonner. Un romantique dans l'âme n'abandonnait jamais, n'est-ce pas ? Prenant toutes ses précautions pour la troisième prise, il referma sa main sur une rose d'apparence éblouissante, pestant pour qu'elle soit inoffensive.

« AISH AISH AIIIISH EOMMA, EOMMAAAAAAA » Bonne étoile envolée, disparue. Épines et écorchures plein les paumes, douleur à son petit cœur de beagle. Mal aimé, il était le mal aimé. Besoin qu'on l'aime, mais personne ne le comprend. Et il a bien peur toute sa vie d'être incompris, car aujourd'hui il se sent mal aimé. Forçant un sourire pour se donner du plomb, du courage et pour (pourquoi pas) provoquer un miracle de l'optimisme, il ne put s'empêcher de rigoler nerveusement en allant reprendre un troisième bandage, grièvement blessé malgré sa bonne volonté. Blessures de guerre, cicatrices de viking. C'était comme se démener à manger des fruits du dragon, mais en pire. Il avait intérêt à être récompensé en nourriture, après cette partie riche en malchance et en fleurs vicieuses. « Ahhh, ce jeu n'est pas fait pour moi. Vraiment pas. » Constata-t-il de lui-même avant de tendre la main vers une rose rougeoyante, légèrement amusé de la tournure absurde que prenait les événements.

Enfin. ENFIN. Incommensurable exploit. « RYUJIN NO KEN WO KURAEEEEEEEEEEE !! » Hurla Ja de son cri de guerre Japonais sous la joie d'avoir trouvé sa première rose rouge, aka l'ultimate d'Hanzo dans Overwatch qui défonçait tout. Il ne pouvait pas y croire. Était-ce seulement vrai ? Pas besoin d'aller racheter un pansement. Son bouquet commençait tout juste à prendre forme, alors pas question de faire le moindre faux pas ! Subitement revigoré par cette trouvaille chanceuse, le Han laissa un rire satisfait et amusé relever ses pommettes, curieux de respirer le parfum de sa nouvelle fleur. Comme quoi, c'était une vrai. Se raclant la gorge, il connaissait les règles du jeu et s'y prêta volontiers, s'agenouillant d'un air aussi sérieux qu'au bord de la crise de fou rire. Action. Go. Et là voilà enfin, sa déclaration adressée au ciel, sa main sur le cœur et son petit sourire hilare sur les lèvres, alors que ses yeux se fermaient promptement pour éviter d'éclater de rigolade. « J'aimerais dire à Julian qu'il est la plus belle drag queen que je n'ai jamais vu. La plus belle femme de cette planète, celle qui me séduit sans le moindre mal, juste avec un regard qui décrit l'Univers. J'aime son parfum de fleur et ses jupes trop courtes, la façon dont elle se déplace avec ses derniers escarpins à la mode... Ah, j'aime tout d'elle. Ahhh, mes émotions, je... Je ne sais pas si je... Ah, Juliana... » Larmoyant. Il se sentait larmoyant. Jamais il n'avait fait plus sincère de sa vie. Il aimait tellement son meilleur ami, à un point réellement inimaginable. Se dépêchant de se relever, Ja ne perdit pas de temps pour partir à la recherche d'une autre rose, secoué par des spasmes traduisant sa fourberie et ses gloussements idiots.  

Dans un éclair de douleur lancinant, Han Ja jeta la rose épineuse un peu plus loin, tombant à genoux dès lors qu'il sentit ses forces le quitter. Abuser, vous dites ? Bien sûr que non, au contraire. Désabusé. Malchanceux. Mort. Voilà ce qu'il récoltait, lui, le bourreau des fleurs. Et certainement pas bourreau des cœurs, cette fois-ci. Quoi que, les fleurs faisaient d'ores et déjà office de bourreau impitoyable, alors...  Il s'octroyait la garantie qu'il ne mettrait plus jamais les pieds dans une fleuristerie, au moins. Chassant tant bien que mal les épines de ses doigts, après s'être plaint de braillements indignés et de plusieurs interjections inconnues, Ja partit une nouvelle fois soigner ses plaies comme il le pouvait, fatigué de faire des allers-retours dans les jardins de l'Université. « Bon. J'ai triomphé de l'épreuve saute-mouton même après m'être éclaté à plusieurs reprises. Je vais quand même pas me laisser marcher dessus par des fleurs, si ? » Pensa-t-il tout haut en apposant son pansement sur sa nouvelle plaie, bien décidé à y passer la journée s'il le fallait. Il allait continuer de réfléchir quant à ses choix, car comme le voulait l'adage : prudence est mère de sûreté. Soigneusement, le Starchild évita une rose qu'il crut tout d'abord être épineuse, se rabattant sur sa voisine. Cheers.

« DANS LA VIE J'AI PAS DÉCIDÉ D'ËTRE— AÏÏÏE AÏIEIAIE AHHHH, D'ÊTRE MALMENÉ PAR DES PLANTES, O— AHIAAÏA ! » Dur. Beaucoup trop dur. Dorénavant, la souffrance ne se résumait plus à la totalité de ses doigts tailladés, mais en venait même à s'étendre jusqu'au plan psychologique. Il souffrait psychologiquement, Han Ja. Se faire bolosser par des fleurs, vous le vivez, vous ? Non. Vous ne connaissez pas. Vous n'avez aucun moyen de le comprendre. Et c'était tout sauf simple, tout sauf supportable. Il avait envie de porter plainte contre tous les botanistes de la terre pour avoir légalisé les roses à épines dans le monde. Qu'on les enterre ou qu'on les bannisse du pays, mais que quelqu'un fasse quelque chose, nom de dieu ! Ne pouvait-on pas les interdire de la même manière que le cannabis a été proscrit ? Pour ça, il était prêt à devenir Président de Corée du Sud, et ainsi chasser ces immondes fléaux loin de ses terres. Parce que c'était son projet : annihiler les roses à épines une bonne fois pour toute. Make Korea great again. Soufflant un bon coup après avoir recouvert ses pauvres petites mains de quelques bandages, il s'épongea un instant le front, les paumes brûlantes. Allez. Celle-là avait l'air hors de danger. Du moins, il l'espérait.

Là-haut, quelqu'un lui voulait du mal. Une force supérieure qui jouissait tout naturellement de son malheur, se délectant de le voir galérer à un pauvre jeu de rien du tout, où il ne faisait que gentiment chercher deux minuscules petites fleurs inoffensives. La vie était si compliquée. Honnêtement, ce n'était pas le scénario qu'il s'était imaginé, mais l'échec menait ostensiblement à la victoire. Respirant bruyamment après s'être piqué pour la 37ème fois, le Han passa une main (meurtrie) dans sa chevelure, subitement traversé par un élan de détermination imminente. Qu'est-ce qui pouvait bien lui arriver de pire, sérieusement ? Si la suite du parcours désirait qu'il se pique inlassablement, alors soit : il continuerait de se blesser encore et encore, jusqu'à trouver la perle rare et terminer sur une victoire amplement méritée. Il n'était plus à ça près, après tout. Se mettant en chasse sur un regard spontanément vif, il sauta par conséquent sur la première rose qu'il vit, peu enclin à réfléchir plus que ça après tant de mésaventures.

« CLICK CLACK BADABIM BADABOOM, GEUCHORA GEUCHORA GEUCHORA BADABOOM ! » OUI. Oui. C'était l'hymne un peu chelou de Jennie dans Boombayah (ajouté à ça du charabia un peu incompréhensible, sous l'effet de l'excitation et de la victoire), mais on s'en fout. Parce qu'il était trop heureux à l'instant-même, trop comblé pour ce monde de mortels. Enfin ! Dieu avait finalement eu pitié de son âme égarée ! Il ne souffrait pas, et il ne lui manquait plus qu'une rose pour se pavaner avec la place numéro une du jeu ! Ah, il aurait pu en pleurer. Lâcher une petite larmichette d'émotion, faire un speech à la Martin Luther King pour exprimer ce qui pesait à l'instant sur son cœur. Il se promettait de chérir cette rose de la chance inopinée comme celle de la Belle et la Bête, jusqu'à ce qu'il devienne vieux et ridé, jusqu'à ce qu'il rende son dernier souffle. Brandissant sa rose telle l'épée de Damoclès vers le ciel, l'air solennel qui prit place sur son visage trahit alors ses intentions trop enthousiastes. « J'aimerais dire à Kim Jong Dae que.. Qu'il est le dernier de mon top d'amis, et qu'il devrait se considérer reconnaissant de l'être ! Et aussi, que je pense qu'il est trop intelligent pour cette nation. Je tiens réellement à ce qu'il sache que je porte le chiffre numéro quatre à merveille, parce que je sais à quel point il me maudit d'être dans sa vie, d'être dans ses bras, comme Baracuda ! Oh, Jong Dae-hyung.. Si tu m'entends... Sache que... Que.. Que tu es si chanceux, d'avoir un ami tel que moi. Je ne te remercierai jamais assez, tu sais ! Oh, oui. Vraiment. Merci d'être là pour me permettre d'être là. Merci ! » Et une fois fait, il récupéra sa jolie rose rouge avec un sourire parfaitement ironique, habitué des joutes sarcastiques avec son ami l'épouvantail de la BU. Quoi que les gens penseraient, pour Ja et Jongdae, c'était un rituel on ne peut plus commun. Se taquiner et se rembarrer pour se dire je t'apprécie, t'es mon meilleur ami. Motivé à trouver la dernière fleur qu'il convoitait, le Han se redressa avec véhémence, désormais guère craintif pour un sou. Il en voyait une d'ici, et n'avait plus peur de se faire mal ou d'échouer. Son but était proche, à présent. La prochaine serait la bonne.

Oh, non. Non, non, non, n o n. Ce stratagème ne fonctionnerait pas, vile engeance de Satan. Il ne fonctionnerait PLUS. Une fois, d'accord. Deux fois, ok. Six fois, certes, ça passait... Mais cette fois-ci, il ne faillirait plus. Il ne se laisserait plus avoir par le joug maléfique que ces roses essayaient de lui faire subir. Rien ne l'empêcherait d'atteindre son but ultime, maintenant qu'il avait en sa possession deux roses, deux magnifiques roses qui lui avaient offert bénédiction et détermination. La fin était proche, alors autant s'amocher les mains un maximum, si ça lui permettait de trouver plus vite la dernière petite fleur de son palmarès. Ravalant un cri de douleur, Ja s'empressa d'aller recouvrir ses mains ensanglantées de nouveaux pansements, se précipitant afin d'en finir au plus vite. Une fois de retour dans ce dédale qu'était les jardins, il mit la main sur la première rose qu'il trouva, secoué par une nouvelle décharge d'énergie. Carpe diem. Prions pour que celle-ci ne se la joue pas hardcore.