Il a le choix entre tout arrêter ou continuer. Il jette un coup d’œil à ses mains recouvertes de pointillés rouges mais pourtant, il fait le choix de poursuivre le jeu. Noam, c’est pas le genre à baisser les bras. La première fois qu’il est tombé de skate, il a littéralement mangé le bitume et ça lui a valu trois points de suture au menton plus une dent cassée. Le lendemain de sa sortie des urgences, il est remonté sur sa planche et des gamelles, il en a prises, encore et encore. La plus spectaculaire remonte à ses seize ans quand il a cru bon de dévaler une pente à toute vitesse mais il a vraiment pas pensé à l’arrivée. Si bien qu’il la faite sur le pare-choc d’une voiture qui a juste eu le temps de freiner en voyant le drôle d’oiseau passé devant son parebrise. Heureusement pour lui, il a eu qu’un bras dans le plâtre. Alors c’est pas quelques roses qui vont l’arrêter.

Et comme un gosse capricieux, il se jette par terre, arrache l’herbe dans laquelle il se roule avant de se retourner sur le dos, les yeux perdus dans le ciel bleu parsemé de petits cotons blancs. Quand il était gamin, il s’imaginait qu’un jour, il vivrait dans les nuages. Alors pour se calmer, il tend la main, ferme un œil et coince le coussin moelleux entre son pouce et son index comme s’il essayait de l’attraper. Et puis sa main retombe mollement sur le sol, ses doigts courant entre les brins d’herbe qu’il a malmené il y a deux secondes à peine. « J’aurai peut-être la médaille du mec le plus malchanceux de la Terre ». Il soupire, fixant encore l’étendue bleue avant se relever, la chevelure déstructurée. Tout le monde avant lui a réussi, il a entendu Ja crier victoire juste avant lui alors ça doit être possible non ? Il va cueillir la bonne, il en est sûr !

Quand il cueille la bonne, y’a une petite larmichette au coin de son œil tellement il est heureux de ne pas s’être piqué la main encore une fois. Il a arrêté de compter après la deuxième fois parce qu’il sait plus trop où les épines ont rencontré sa peau, ça le pique de partout. Le kit désinfectant plus pansements aurait dû être gratuit, il le pense vraiment et en parlera aux organisateurs. Fier de lui, il respire le parfum de la fleur qu’il a mis tant de temps (et de sang) à trouver avant de prononcer les mots de sa déclaration. « Ma Mimi jolie. Cette fleur, elle est peut-être pas aussi belle que celle que je t’ai offerte, celle de la Bête mais pour celle-ci, je me suis saigné pour te la décrocher. Mais c’est pas grave parce que je serai capable de tout pour toi. Je ferai le tour du monde si c’est pour te rendre heureuse même si j’ai plus envie qu’on soit séparés. Toi et moi, je continue de penser que c’est héréditaire, écrit dans les étoiles, dans les lignes de nos mains. J’ai promis à ta mère de toujours te protéger et c’est ce que je ferai jusqu’à la fin de mes jours. Je t’aime Mimi ». Ça le regonfle à bloc, faire renaître son sourire sur ses lèvres tandis qu’il s’essuie une nouvelle fois les doigts sur son haut, prêt à affronter vents et marrées pour cueillir la dernière.

Il s’y attendait, il peut pas tomber deux fois de suite sur une bonne rose, ce serait trop facile et surtout ce serait pas drôle. Il est sûr que les épines rigolent entre elles tout en savourant les gouttes de sang qu’elles lui volent. C’est ça, les fleurs sont comme des vampires, avides de ses globules qui le quittent petit à petit. Bientôt, il se sera tellement vidé de son sang qu’il sera aussi blanc qu’un cul de poule. Et puis la dernière, c’est toujours la plus difficile à trouver. Comme le jeu des différences, on cherche toujours la huitième de longues minutes avant de s’apercevoir qu’elle était juste sous nos nez. Et Noam, il est persuadé qu’elle est juste là, pas très loin. Alors il cherche, encore et encore. Et toujours. S'il le faut, il les arrachera toutes jusqu'à trouver la bonne.

C’est qu’il commence à avoir faim en plus. Et soif aussi. S’il meurt pas vidé de son sang, il mourra probablement déshydraté en plein milieu du campus. On installera un banc en sa mémoire avec une plaque avec les mots suivants gravés : « Ici Yang Noam y a laissé sa courte vie. Il était jeune, beau, intelligent, serviable, modeste et aimé de tous. Il sera regretté de tous. Que son âme repose en paix. #y #yangang #squad ». Parce qu’il y va à fond pour cueillir cette dernière rose alors la moindre des choses, c’est qu’au moins, on se souvienne de son incroyable périple pour décrocher cette rose pour son cher et tendre. Mais il l’aura et lui ramènera fièrement même s’il en aura probablement rien à faire, qu’il lui dira que c’est un idiot. Mais il aura qu’à bouder, faire ses yeux de chien battu pour récolter un bisou par bobo. Alors cette rose, il l’aura.

Il arrête de râler, il arrête de hurler parce qu’il a compris que de toute façon, engueuler les fleurs, ça menait à rien et s’en prendre à la terre entière non plus. Il a juste pas de chance, faut qu’il s’y fasse. Y’a des gens qui gagnent des milliards en jouant une fois au loto, d’autres qui trouvent de l’argent de parterre ou qui ne perdent jamais leurs affaires (contrairement à lui). Et puis y’a Noam qui trouve pas cette dernière fleur. Une pauvre petite plante à pétales rouges. Mais il y arrivera. Même s’il doit y laisser une main et toute son intégrité, autant physique que morale. En dernier espoir, il sort son téléphone, branche ses écouteurs et lance la musique. Il chante par-dessus les paroles tout en continuant de chercher vivement la rose manquante.

Au lieu d’hurler sa douleur, il hurle les paroles de la chanson qui passe en ce moment même. « I WON’T GIVE UP NA NA NA ». Il se dit que c’est toujours mieux que de crier des injures qui lui vaudront un blâme ou une plainte des étudiants et clairement, il a pas envie d’être viré ou de retourner chez les flics. Il a donné une fois, plus jamais. Alors il entame un concert à lui tout seul, chante toujours plus fort et tant pis si ça ameute tout le monde, il veut pas abandonner et s’il se laisser aller à la douleur, il sait pas s’il pourra continuer. Il se croit seul sur scène, s’improvise guitariste ou batteur alors qu’il repart vigoureusement dans sa quête chevaleresque. A cote de lui, le prince Philippe est un naze. Prince Noam, c’est tellement plus classe et c’est pas Mimi qui dira le contraire.

Bordel, encore une mauvaise. Mais il se laisse pas abattre ! Il décide même de choisir une chanson pour l’occasion, une qu’il connait par cœur. Toujours en trépignant, il cherche parmi la longue liste de chansons qu’il a, riant quand il tombe enfin dessus, les premières notes de la célèbre chanson de Gloria Gaynor, « I will survive ». Et Noam ne serait pas Noam sans une petite mise en scène digne de ce nom. « At first I was afraid, I was petrified, kept thinking I could never live without you by my side but then I spent so many nights thinking how you did me wrong, and I grew strong, and I learned how to get along. And so you're back from outer space, I just walked in to find you here with that sad look upon your face, I should have changed that stupid lock I should have made you leave your key If I had known for just one second you'd be back to bother me. Go on now, go. Walk out the door. Just turn around now 'cause you're not welcome anymore. Weren't you the one who tried to hurt me with goodbye? Did you think I'd crumble? Did you think I'd lay down and die? Oh, no, not I! I will survive. Oh, as long as I know how to love I know I'll stay alive. I've got all my life to live. I've got all my love to give. And I'll survive, I will survive, hey, hey ! »

Et comme ça marche toujours pas (putain de merde, elle est où cette rose ?!) il continue de chanter en secouant sa main comme un crétin. « It took all the strength I had not to fall apart. Kept trying hard to mend the pieces of my broken heart. And I spent, oh, so many nights just feeling sorry for myself. I used to cry but now I hold my head up high. And you see me somebody new. I'm not that chained-up little person still in love with you. And so you felt like dropping in, and just expect me to be free and now I'm saving all my loving for someone who's loving me. Go on now, go. Walk out the door. Just turn around now 'cause you're not welcome anymore. Weren't you the one who tried to break me with goodbye? Did you think I'd crumble? Did you think I'd lay down and die? Oh, no, not I! I will survive. Oh, as long as I know how to love I know I'll stay alive. I've got all my life to live. I've got all my love to give. And I'll survive, I will survive ».